En écoutant Jean Davignon retracer les étapes de sa longue carrière,
on fait la connaissance de plusieurs personnages aussi attachants les uns que
les autres. Bien avant d'évoquer ses travaux de recherche clinique en
lipidologie (étude des lipides du sang) reconnus mondialement, Jean Davignon
préfère parler des hommes et des femmes qui ont marqué
son existence. Il y a, notamment, Rita, sa compagne depuis 39 ans, dont il n'a
de cesse de louer les multiples talents, les yeux pétillants d'amour
derrière ses lunettes de sexagénaire.
Une expertise qui dépasse les frontières
Après des études de médecine à l'Université
de Montréal, qu'il termine avec la mention summa cum laude à
l'âge de 22 ans, Jean Davignon opte pour la recherche. Il se joint à
l'Hôtel-Dieu de Montréal, au groupe du docteur Jacques Genest,
futur fondateur de l'Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM).
Le docteur Davignon y étudie le rôle des hormones surrénaliennes
dans l'hypertension et s'initie à la médecine vasculaire. Il est
l'un des premiers Canadiens français travaillant dans un hôpital
francophone à obtenir une maîtrise en médecine expérimentale
de l'Université McGill.
Jean Davignon quitte le Québec au début des années 60,
en direction de Rochester au Minnesota et de la célèbre clinique
Mayo, berceau de la médecine vasculaire en Amérique. Pendant trois
ans, il y complète sa spécialité en médecine interne.
Appréciant profondément le respect accordé aux patients,
il décide d'y parfaire ses connaissances en matière de physiologie
vasculaire avec le docteur John T. Shepherd. Son goût pour la recherche
dans le domaine cardiovasculaire s'accroît et il passe trois autres années
à l'Université Rockefeller, à New York, dans le laboratoire
d'un des maîtres à penser de la recherche clinique en lipidologie,
le docteur E.H. Ahrens. « Ces années comptent parmi les meilleurs
moments de ma vie », précise Jean Davignon. Acceptant l'invitation
du docteur Jacques Genest, il revient à Montréal pour se joindre
à l'IRCM nouvellement fondé. De 1967 à 1972, la prestigieuse
bourse Markle en médecine académique contribue à l'établissement
d'un laboratoire de recherche sur les dyslipidémies et l'athérosclérose,
relié à une clinique de nutrition, de métabolisme et d'athérosclérose.
L'équipe de Jean Davignon, qui s'élargit et compte jusqu'à
une quarantaine de collaborateurs, acquiert vite une réputation d'excellence
en matière de lipidologie, jamais démentie depuis.
Une curiosité insatiable
« Quand je regarde l'ensemble de mes travaux, je constate que ma curiosité
m'a entraîné à explorer un vaste territoire », note
Jean Davignon. Constamment stimulé par les avancées dans sa spécialité
et toujours avide d'établir des ponts entre les différentes disciplines,
il s'illustre dans des domaines aussi variés que la nutrition, la génétique
et la pharmacologie clinique. Cependant, un thème central revient toujours
: la compréhension des processus complexes qui régissent les maladies
liées aux lipides et au système vasculaire, comme l'hypercholestérolémie.
Ses travaux sur les hyperlipidémies héréditaires, fréquentes
au Québec, l'ont conduit à découvrir, entre autres, cinq
mutations d'un gène engendrant une hausse anormale du taux de «
mauvais » cholestérol dans le sang, expliquant environ 80 p. 100
des cas d'hypercholestérolémie familiale chez les Canadiens-français.
En compagnie du généticien des populations, Charles F. Sing, de
l'Université du Michigan, il démontre l'importance de l'apolipoprotéine
E parmi les facteurs qui modulent la susceptibilité aux maladies cardiovasculaires.
Tout au long de ses 33 années de carrière à l'IRCM, le
docteur Davignon dirige aussi de nombreuses études cliniques ayant pour
objet de vérifier l'efficacité de médicaments hypolipidémiants.
Parallèlement, sa clinique reçoit plus de 8 000 patients par
an. Elle lui permet de se pencher sur certains cas inusités, qui lui
servent souvent de point de départ pour des avancées originales
: « Mettre à profit la recherche fondamentale au service de la
santé, et s'appuyer sur des patients pour faire avancer les découvertes
est passionnant. » Jean Davignon, avec son enthousiasme communicatif,
s'est beaucoup appliqué à établir des liens entre chercheurs
cliniciens et chercheurs fondamentalistes. De ses discussions avec des patients
parfois gravement atteints, à qui il accorde une attention empreinte
d'une grande humanité, le médecin tire une source de motivation
sans cesse renouvelée et l'énergie nécessaire pour consacrer
un temps considérable à son travail. Très sollicité,
Jean Davignon prononce près de 30 conférences chaque année
partout dans le monde. En 1994, il préside, à Montréal,
le Xe Symposium international sur l'athérosclérose qui obtient
un succès retentissant. Membre de plusieurs sociétés savantes,
il est aussi lauréat de nombreuses distinctions : un doctorat honoris
causa de l'Université Paul Sabatier de Toulouse (1992), la médaille
FNG Starr de l'Association médicale canadienne (1993), la Grande Médaille
d'or du centenaire de l'Institut Pasteur de Lille (1994), l'Ordre du Canada
(1995) et le Prix de la carrière scientifique de l'Association des médecins
de langue française du Canada (1996). Le docteur Davignon s'avoue toujours
étonné et un peu intimidé par les honneurs, lui qui, dans
sa vie, a connu tant de personnes remarquables. Il s'en dit par contre très
heureux puisqu'il y voit une reconnaissance pour la qualité du travail,
le dévouement et la loyauté de toute l'équipe qui collabore
avec lui.
Sa légendaire curiosité, toujours intacte, est entretenue par
le bonheur d'apprendre et la joie de transmettre la connaissance. « J'ai
beaucoup de plaisir en ce moment à étudier les effets pléiotropes
des médicaments, c'est-à-dire les effets autres que ceux qui sont
recherchés au point de départ », précise Jean Davignon.
Il se passionne aussi pour les applications biologiques de la théorie
de la complexité. Son bureau couvert de piles de documents, ses deux
ordinateurs et une liste interminable de messages en attente trahissent une
activité intense, reflet d'une carrière bien remplie.
Résumé de carrière
1958
Diplôme de médecine de l'Université de Montréal
1958
Licence du Conseil médical du Canada
1963
Associé (Fellow) du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, en médecine interne
1967-
Directeur du Groupe de recherche sur les hyperlipidémies et l'athérosclérose de l'Institut de recherches cliniques de Montréal
1968
Fellow, American College of Physicians
1972-1994
Chef de la Section de médecine vasculaire de l'Hôtel-Dieu de Montréal
1981
Prix Marcel-Piché de l'Institut de recherches cliniques de Montréal
1985-
Directeur de recherche clinique à l'Institut de recherches cliniques de Montréal
1986-1987
Président de la Société canadienne d'athérosclérose
1987
Scientifique canadien de l'année (Société Radio-Canada)
1992
Doctorat honoris causa de l'Université Paul Sabatier
1994
Récipiendaire de la Grande Médaille d'Or du centenaire de
l'Institut Pasteur de Lille
1995
Membre de la Société royale du Canada, Académie des sciences
1995
Officier de l'Ordre du Canada
1996
Prix de l'uvre scientifique de l'Association des médecins de langue française du Canada
2000
Prix Wilder-Penfield
Qui
était Wilder Penfield ?
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Date de remise du prix :
7 décembre 2000
Membres du jury :
Krešimir Krnjevic (président)
Yvette Bonny
Vincent François Castellucci
Gilles Dupuis
Normand Marceau
Texte : Valérie Borde
Mise à jour :
Nathalie Kinnard
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