Norman Clermont, lauréate

Naissance le 16 octobre 1940 à Grand-Mère, décès le à 

Biographie

À la fin de ses études classiques en 1961, Norman Clermont
annonce à un auditoire médusé qu’il sera paléoanthropologue.
Dans l’exaltation de sa jeunesse, il est loin de se douter que sa passion le
condamnera « à la vie anormale d’un intellectuel engagé »,
selon sa propre expression. Norman Clermont a fait œuvre de pionnier.
En 1972, il donne le premier cours universitaire de préhistoire
du Québec. En 1973, il crée le premier programme de formation
universitaire continue en archéologie du Québec. De 1975
à 1977, il met sur pied la première École de fouilles
archéologiques au Québec. Pendant près de trente ans, il
mène une carrière exceptionnelle de professeur et de chercheur.
C’est un penseur, un philosophe et un érudit doté d’un grand talent
de communicateur. Pionnier de la pratique moderne de l’archéologie chez
nous, il a largement contribué à la formation d’une première
banque de données professionnelles sur la préhistoire du Québec.

Norman Clermont a souvent été « victime »
de ce qu’il appelle dans son langage coloré des accidents biographiques.
À ranger parmi les premiers, la rencontre de Gilles Boulet alors
professeur au Séminaire Sainte-Marie de Shawinigan où il poursuit
ses études classiques sans grand enthousiasme. Il dit de Gilles Boulet
qu’il a été le professeur le plus stimulant qu’il ait connu dans
sa vie. Un homme qui, comme lui, était curieux de tout, posait des questions
et cherchait des réponses. Sauf qu’à partir de cette rencontre,
Norman Clermont peut chercher les réponses ailleurs que dans l’Encyclopédie
de la Jeunesse
. Gilles Boulet lui a prêté des livres et
une curiosité. « J’ai accepté ce prêt »,
dit-il. C’est d’ailleurs l’un de ces livres qui provoque le second accident.
Il y est fait référence au livre de Marcellin Boule, Les
Hommes fossiles
, qu’il s’empresse de commander auprès du bibliothécaire
du séminaire. C’est le seul livre qu’il pourra alors s’offrir. Il le
lira et relira jusqu’à l’apprendre par cœur. Quand il en a terminé,
il sait ce qu’il veut faire dans la vie.

Comme la préhistoire ne s’enseigne pas au Québec au début
des années 60, Norman Clermont part pour la France et frappe
à la porte de ceux qui ont pris la relève de Marcellin Boule.
Il se jette dans la recherche scientifique avec « une gourmandise
épouvantable ». Il travaille 20 heures par jour. Il est
même fâché de devoir dormir. Il est émerveillé
d’avoir ainsi accès à des collections et à des bibliothèques,
à des professeurs qui se montrent disponibles et de pouvoir aussi effectuer
du travail sur le terrain. « Puis le soir, j’allais entendre une
conférence de Jean Rostand. » Quand il revient, il a
en poche un diplôme d’études supérieures (D.E.S.) en sciences
naturelles, de la Sorbonne et au bras une femme, Renée Matteau,
originaire de la Mauricie comme lui, qu’il a épousée à
Paris.

À l’automne 1963, il s’inscrit à la maîtrise (bio-anthropologie)
au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal
qui a vu le jour l’année même de son départ pour la France.
Il obtient son diplôme en 1965, devient alors chargé d’enseignement
au Département d’anthropologie, fonction qu’il occupe pendant deux ans,
s’inscrit ensuite au doctorat tout en enseignant à la Faculté
de médecine. Il veut devenir un spécialiste de l’hominisation
avec cette originalité de conjuguer l’étude des comportements
avec la biologie. Dans le Sud-Ouest américain, les matériaux sont
abondants et en bon état. Comme pour prouver qu’il a de la suite dans
les idées, sa thèse de doctorat s’intitule : « Paléoanthropologie
des Anasazis ».

Jusqu’en 1971, le Québec n’avait jamais fait partie de son univers
de recherche. C’est lors de fouilles qu’il effectuait en Iran cette année-là
que se produit un autre accident biographique. On lui propose alors de devenir
archéologue du Québec au Département d’anthropologie de
l’Université de Montréal. Il accepte pourvu qu’il puisse poursuivre
ses recherches sur les chasseurs-cueilleurs. Le défi est de taille car
à l’époque on ne connaît à peu près rien de
notre préhistoire. À l’automne 1972, Norman Clermont
conjugue donc la théorie d’un cours intitulé Éléments
de préhistoire
à la pratique de fouilles, les premières
pour lui au Québec, sur une rive du canal de Chambly. Les étudiants
y participent avec entrain et le travail se poursuit jusqu’aux premières
neiges.

En 1973, sa thèse de doctorat est terminée, le pari de sa
jeunesse est gagné, il est paléoanthropologue. Il est aussitôt
nommé professeur adjoint au Département d’anthropologie. Il adore
enseigner. Il crée de nouveaux cours. À l’été, il
se rend chez les Attikameks de la Haute-Mauricie, enquête sur la vie traditionnelle
et s’initie à la chasse pour vivre l’expérience des chasseurs-cueilleurs
qu’il considère comme cruciale pour la compréhension du processus
d’hominisation. Cependant, ses étudiants mettent peu de temps à
réclamer une véritable école de fouilles comme on en trouve
dans les grandes universités nord-américaines. Avec la complicité
d’un assistant qui deviendra plus tard son collègue, Claude Chapdelaine,
il s’attaque au projet avec énergie même s’il sait qu’il provoquera
une nécessaire bifurcation dans sa vie et son rêve de chercheur.
L’endroit doit en effet être situé près de Montréal
et pouvoir être exploité pendant plusieurs années. Ce ne
peut donc être un site de chasseurs-cueilleurs nomades. Norman Clermont
y voit pourtant un autre accident de parcours qui se transforme en capital.
Il deviendra archéologue amérindianiste intéressé
à la fois par les groupes chasseurs et les groupes agriculteurs. Puis,
comme les contacts avec les premiers Européens l’intéressent vivement,
il fera aussi de l’ethnohistoire. Enfin, en tant que biologiste, l’étude
de squelettes lui permettra de s’adonner à l’anthropobiologie. C’est
ainsi qu’après deux ans de débordement, naît en 1977
l’École de fouilles de Pointe-du-Buisson, la première au Québec.

Norman Clermont est un professeur exceptionnel parce qu’il sait allier
rigueur scientifique et sens inné de la communication. À l’oral
comme à l’écrit. Par des expressions, des intonations, une gestuelle,
il réussit non seulement à fasciner son auditoire mais aussi à
vulgariser des concepts parfois fort complexes. Ce dont il se dit le plus fier,
c’est d’avoir pu accompagner une cinquantaine d’étudiants dans leurs
projets de maîtrise et d’en avoir dirigé sept autres jusqu’au doctorat.
On doit reconnaître l’apport exceptionnel de Norman Clermont à
la formation d’une première génération d’archéologues
québécois.

Norman Clermont a aussi été un chercheur infatigable. Il
a grandement bénéficié de l’exemple de Jean Piveteau,
professeur à la Sorbonne et un modèle, selon lui, de l’intellectuel
à temps plein. « Il m’a montré que si on veut arriver
à quelque chose dans la vie, il faut travailler. Être sur la ligne
de front, ça se mérite, ça se prépare chaque jour.
C’est épuisant. » Fort de ce précepte, il a toujours
combiné l’enseignement, le travail de fouilles, de laboratoire et la
publication des résultats de ses recherches. Norman Clermont a beaucoup
écrit : 9 livres, 8 livres édités, 44 articles
sur la préhistoire, 21 articles sur l’ethnohistoire, 9 sur
l’histoire de la discipline, 5 sur l’anthropobiologie ainsi que 26 articles
sur des sujets variés, 10 textes de vulgarisation et la rédaction
de 6 préfaces de livres. Il a toujours encouragé ses étudiants
à communiquer les résultats de leurs recherches.

Le prix Gérard-Morisset vient s’ajouter au prix Smith-Wintemberg qu’il
a reçu en mai dernier de l’Association canadienne d’archéologie
pour sa contribution exceptionnelle à l’avancement des connaissances
et à la promotion de la discipline. Norman Clermont avait été
honoré en 1996 par ICOMOS Canada pour sa contribution exceptionnelle
à l’héritage culturel du Québec et avait reçu en 1994
un Prix de reconnaissance pour son œuvre comme archéologue de l’Association
des archéologues professionnels du Québec.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
5 novembre 2002

Membres du jury :
Yves Laframboise (président)
Mario Béland
Jacqueline Faucher-Asselin
William Moss

Crédit photo :
  • Alain Désilets
Texte :
  • Gaëtan Lemay