Marcel Junius, lauréate

Naissance le 23 janvier 1925 à Verviers, Belgique, décès le 6 juin 2018 à Québec

Entrevue

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Biographie

Le patrimoine culturel québécois résume pour Marcel Junius
la grandeur dans la création des outils premiers des hommes, l’habitat,
les objets, les traditions puis, dans la modernité toujours active,
il l’étend jusqu’à l’avant-garde en architecture
et dans les arts. L’humanisme est au cœur de l’œuvre
de Marcel Junius comme en témoigne son credo « l’homme avant
la pierre ». Le bien-être auquel toute personne a droit par l’équilibre
et l’harmonie entre son habitation, sa ville, son milieu de vie, cela
fait partie d’un idéal à atteindre.

D’origine belge, né à Verviers en 1925, Marcel Junius,
architecte et urbaniste, émigre avec sa famille au Québec en
1961, au moment où se lève le vent de la Révolution tranquille.
Lui, que rien ne préparait à devenir fonctionnaire, est pourtant
enthousiasmé par le dynamisme de la fonction publique mais surtout par
la grande effervescence qui caractérise le Québec des années
1960 et 1970.

En peu de temps, il s’imprègne de nos valeurs, de notre culture,
de notre identité, de notre histoire, de notre mode de vie pour les
partager et les faire siens au point d’être, lui, Québécois
de fraîche date, désigné en 1973 pour occuper la prestigieuse,
mais combien périlleuse, fonction de directeur général
du patrimoine, administrateur de la Loi sur les biens culturels récemment
adoptée par l’Assemblée nationale.

Marcel Junius rassemble alors un corps d’élite de fonctionnaires
de la culture, une force de frappe intellectuelle et concrète à la
fois, respectée par tous les autres ministères. Lui et son équipe
entendent opposer à l’effervescence de la croissance économique à tout
prix une ferveur et une ardeur tout aussi grandes à protéger
et à mettre en valeur les monuments, sites et paysages qui font partie
de notre héritage. La tâche est colossale. Il faut établir
des inventaires exhaustifs des biens mobiliers et immobiliers, clarifier certaines
définitions de la Loi sur les biens culturels comme celle de « l’arrondissement
naturel ». Ainsi naît, à son initiative, P.A.I.S.A.G.E.
ou Projet d’analyse et d’inventaire des sites et arrondissements
géographiques. Il s’agit d’une recherche systématique
basée sur des critères scientifiques entreprise avec les départements
de géographie et d’histoire de l’art de l’Université Laval
et plusieurs chercheurs de diverses spécialités.

Auparavant la culture, le patrimoine culturel étaient des denrées
précieuses flottant, pourrait-on dire, dans les cercles gouvernementaux
pour le plaisir de quelques esthètes perdus dans la fonction publique.
On doit à Marcel Junius d’avoir porté les biens culturels
dans les plus hautes sphères de l’administration publique ainsi
qu’auprès des groupes sociaux.

Cet idéal et la qualité des moyens empruntés, il les
maintiendra à la
Commission des biens culturels du Québec comme conseiller auprès
de Georges-Émile Lapalme. Il passe de la gestion administrative,
combattante et quotidienne, à la vice-présidence et ensuite à la
présidence
de la Commission. Il fait sa marque, là encore, par son approche citoyenne
en multipliant les audiences publiques au cours desquelles il instaure un climat
de confiance réciproque. Sous sa présidence, la Commission s’engage
dans la recherche des meilleures conditions de protection des biens culturels.
Elle recommande de convoquer des États généraux sur l’avenir
du patrimoine, propose des mesures fiscales pour stopper les démolitions
d’immeubles anciens et des incitatifs pour encourager leur restauration,
leur réhabilitation et leur recyclage, et insiste pour que l’on
tienne compte des patrimoines divers, agricole, marin, subaquatique, mais surtout
que le territoire soit considéré comme le premier bien culturel
en partage avec notre langue.

Cette ardeur pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine québécois,
il la puise dans son amour et dans son admiration pour le Québec, pour
ses gens, pour leur ténacité, leur fidélité aux
racines et aux traditions. Sans doute doit-il sa sensibilité à son
nouveau milieu de vie, à sa formation professionnelle et aux valeurs
fondamentales héritées de son éducation familiale.

Marcel Junius aborde un nouveau chapitre de sa carrière en 1985 quand
le gouvernement lui confie la présidence du Conseil consultatif de l’environnement.
Il met en route un processus d’intervention porteur d’un message
sur le développement durable en préparant une vaste consultation
qui englobe toutes les régions du Québec.

Marcel Junius a occupé des fonctions qui lui donnaient comme champ
d’action
le Québec dans son entier. De ce fait, sa vision a propagé l’idée
du patrimoine culturel et naturel comme ancrage sur le territoire. Pour lui,
léguer aux générations futures le respect du patrimoine
constitue le meilleur rempart à l’indifférence généralisée
qui mène à la banalisation et à la dégradation
de notre héritage.

Poursuivant son action à une autre échelle, Marcel Junius
va mener à bien deux entreprises d’envergure internationale dont
les retombées vont être considérables, tant pour la capitale
que pour le Québec tout entier. Nommé directeur général
de la XVIe Conférence générale du Conseil international
des musées en 1989, Marcel Junius a trois ans pour attirer les muséologues
du monde entier, pour les convaincre que cette ville est un haut lieu d’histoire
et de culture qui se doit d’être visité. La Conférence
sera un succès sur les plans intellectuel, scientifique et financier,
en laissant un surplus qui sera alloué aux grandes associations des
musées du Canada et du Québec pour l’établissement
de bourses d’études.

Un autre exploit restait à venir ; ce sera une réalisation
d’une
dimension exceptionnelle qui fera désormais de la ville de Québec
et du Québec un centre de rayonnement international. Dès la fin
de 1992, Marcel Junius met en place et dirige, à titre de secrétaire
général, l’Organisation des villes du patrimoine mondial.
Créer des liens entre les villes inscrites sur la liste du patrimoine
de l’humanité de l’UNESCO et favoriser la solidarité entre
elles vont être pour lui une source d’inspiration intarissable
et une occasion unique pour donner à sa ville d’adoption une visibilité de
grande ampleur. Le maire de Québec, Jean-Paul L’Allier, saluera
cette réalisation en lui décernant en 2001 la première
Médaille de la Ville de Québec.

En 1998, considérant que l’édifice est construit, qu’il
remplit sa fonction et qu’il irradie dans le monde entier depuis Québec,
Marcel Junius, fondateur et premier secrétaire général
de l’Organisation, tourne une autre page, mais ne referme pas encore
le livre. Si, pour la plupart d’entre nous, une quarantaine d’années
d’activité professionnelle suffisent pour donner le goût
de la retraite, ce n’est pas le cas pour Marcel Junius.

C’est ainsi qu’il crée avec d’autres personnalités
la fondation Patrimoine historique international (Canada) dont il est le vice-président.
En 2000, il est l’initiateur d’une première rencontre entre
la Commission des biens culturels du Québec et le Conseil de l’Europe.
Un an plus tard, il fonde et préside l’Institut Québec-Europe
: un patrimoine commun, qui a pour vocation le resserrement des relations
avec l’Europe par l’entremise des repères et des traces
historiques. Ainsi, avec l’Institut européen des itinéraires
culturels et la Commission franco-québécoise des lieux de mémoire
communs, il prépare un itinéraire culturel entre l’Europe
et le Québec qui s’étendra à ce qui fut l’Amérique française.

Depuis son institution, le prix Gérard-Morisset n’a jamais honoré un
administrateur de l’État du Québec. Marcel Junius déclare
le recevoir au nom de l’ensemble des ouvriers, des fonctionnaires, des
professionnels et des gestionnaires du patrimoine qui ont partagé avec
lui ses idéaux.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
18 novembre 2003

Membres du jury :
Paul Trépanier (président)
Anne Carrier
Michel Faubert
Jacqueline Faucher-Asselin
Francine Lelièvre

Crédit photo :
  • Marc-André Grenier