Maurice Savoie, lauréate

Naissance le 22 mai 1930 à Sherbrooke, décès le 20 février 2013 à 

Entrevue

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Biographie

Maurice Savoie est céramiste. Il a choisi de consacrer sa vie à l’un des médiums artistiques les plus anciens du monde. Un médium exigeant, car il engage bien évidemment une part de métier, un savoir technique, une attention à la matière et à ses contraintes. Or, encore aujourd’hui, après 50 ans de métier, Maurice Savoie parle avec passion de la matière sensuelle, malléable, de sa transformation par le feu, de la temporalité qu’elle inscrit.

Il nous faudra souligner, d’entrée de jeu, que Maurice Savoie est le premier lauréat du prix Paul-Émile-Borduas à être associé au domaine des métiers d’art. Il serait cependant également le premier à souligner la relativité d’une telle catégorisation. D’abord et avant tout créateur, Maurice Savoie a, dès les premières années de sa formation, recherché la rencontre fertile de l’apprentissage technique, de l’approche sculpturale et d’une connaissance approfondie de l’histoire de l’art. Il a côtoyé les plus grands artisans européens et canadiens. Il est de ces artistes, cinéastes et écrivains qui, au cours de la Révolution tranquille, auront rêvé et porté une culture en devenir. En tant que céramiste, il a ouvert toutes les portes. Et par son écriture constamment renouvelée, il nous a révélé l’ouverture infinie du langage de la terre. Ainsi, toute sa production témoigne d’un respect profond pour l’histoire et les possibilités de ce médium qui, tout autant qu’il est associé aux civilisations les plus anciennes, aura, il faut le rappeler, accompagné la plupart des avant-gardes du xxe siècle.

L’apport important de Maurice Savoie réside très certainement dans sa volonté incessante d’aborder la céramique dans une attitude d’expérimentation et de recherche. À cet égard, il se révèle un modèle et un maître pour plusieurs générations de créateurs et de créatrices qui se sont nourries de son influence au fil des cinq dernières décennies. Car non seulement se sera-t-il consacré à l’enseignement pendant de nombreuses années, mais il demeure, encore aujourd’hui, une source d’inspiration pour ceux et celles qui ont choisi la terre comme médium d’expression. C’est donc tout autant à l’apport technique qu’à l’ouverture de multiples avenues de sens que l’on doit la richesse de sa contribution.

Favorisant d’abord et avant tout la création d’objets uniques, il exploite les possibilités formelles de la céramique tout en puisant, aux confins de son histoire, l’amorce de mythologies hybrides et réinventées. Sous son oeil, la terre se rappelle, relance les références aux écritures les plus anciennes, aux civilisations lointaines qui en ont développé les formes, aux multiples modes d’inscription de cette matière dont il désire profiter sans relâche. L’objet devient ainsi porteur d’une histoire toujours vivante et à refaire. Pour Maurice Savoie, la terre raconte mille fables et récits portés par le temps.

Cette importance du récit est présente, dès les années 60, dans la création des premières murales et écrans muraux que réalisera Maurice Savoie, tant pour l’entreprise privée que dans le contexte de commandes publiques. Cet engagement dans le domaine de l’art public résulte non seulement d’un intérêt pour l’architecture et d’une volonté de tisser des liens avec les architectes de son temps, mais aussi de l’attrait indéniable que représentent pour lui les possibilités nouvelles de ce contexte de production. On pense, entre autres, aux murales de briques fabriquées en industrie et conçues pour la compagnie Eaton au début des années 60, à l’oeuvre d’intégration du Pavillon du Québec de l’Exposition universelle de Montréal en 1967, mais aussi à la murale de béton et d’argile réalisée à la chancellerie du Canada à Belgrade en 1984, des oeuvres d’une étonnante actualité encore aujourd’hui. Dans cette production muraliste, où Maurice Savoie excelle et ouvre la voie, il fait le pari d’une collaboration fertile entre l’art et l’industrie, une collaboration dont il aura été tout d’abord le témoin lors de stages à l’étranger dès les années 50, notamment en Italie, et dont il aura voulu poursuivre l’exploration à son retour au Québec. Il est alors tout particulièrement sensible à l’apport de la mécanisation en ce qui a trait à la manipulation de la matière. Il évitera d’ailleurs toute distinction manichéenne entre le travail de la main et celui de la machine au profit d’expérimentations plurielles. Cette attitude détermine encore aujourd’hui la singularité de son approche.

Au sein de sa production sculpturale, des loups-garous, samouraïs et bêtes noires naissent de ce jeu complice de la main et de la machine. Maurice Savoie s’abreuve ici de lectures, de Borges, de contes symboliques et de sa connaissance aiguë de l’art oriental. Nous connaissons bien ce bestiaire, cette suite d’objets pansus dont l’espace intérieur évoque quelque fonction oubliée et parle parfois de rituels étranges. Puis il nous a bientôt proposé, dans le vaste éventail de ses registres narratifs, d’autres stratégies. Aux bêtes étranges, aux objets organiques, ont succédé des bateaux, sous-marins et véhicules de toutes sortes. Ces embarcations et ces chars aux couleurs, aux textures bigarrées et aux roues surdimensionnées, introduisent, dans la production récente de l’artiste, des récits de plus en plus diserts, fables contemporaines ou commentaires ironiques, où l’objet est un tremplin au foisonnement de l’imaginaire. Ces oeuvres se composent, tel un bricolage savant, de fragments en attente. Des fragments qui pullulent dans l’atelier, des tiroirs remplis de bouts de toutes sortes, figurines miniatures, en terre, en bronze, étoiles, roues, petits objets géométriques, etc. Sous nos yeux se déploie un répertoire volubile de textures, de qualités de matière et de modes d’application de la couleur. On sent là un plaisir évident du faire où le processus acquiert une importance capitale. Des objets qui semblent ne jamais se clore.

Poète délinquant, Maurice Savoie connaît aujourd’hui une période de liberté nouvelle. Il nous faudra en effet souligner, avec insistance, l’actualité toujours vive de sa production récente, cette folie créatrice qui l’anime encore, et l’ébranlement que suscitent ses audaces. De son médium, il bouscule de plus bel les attendus et les coutumes. Cette production met allégrement en scène le jeu débridé des références, le dérapage des genres, une pseudo-naïveté où le ludique tient une place essentielle. Telle une narration débridée qui insuffle à son oeuvre un pouvoir de dépassement.

C’est donc à ce maître délinquant que revient ce prix, à cet homme d’une générosité et d’une vivacité contagieuses. Cette reconnaissance vient affirmer le respect de ses pairs et notre appui à ses dérives heureuses.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
9 novembre 2004

Membres du jury :
Maryla Sobek (présidente)
Chantal Boulanger
Susan Edgerley
Ghislain Papillon

Crédit photo :
  • Denis Chalifour
Texte :
  • Lisanne Nadeau