Léa Pool, lauréate

Naissance le 8 septembre 1950 à Genève, Suisse, décès le à 

Entrevue

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Biographie

Le prix Albert-Tessier récompense chaque année une personne
ayant apporté une contribution importante au cinéma québécois.
Il prend pour beaucoup de lauréats la forme d’un bilan, ce que
ne refuse pas Léa Pool, qui le reçoit cette année. « C’est
un prix qui met l’accent sur la carrière, souligne-t-elle. Il
est vrai que j’ai le sentiment aujourd’hui d’avoir bâti
une oeuvre. L’accumulation des films t’oblige à faire
un bilan. » Et elle ajoute : « J’ai cinquante-cinq
ans, mais j’ai encore l’impression d’avoir du temps pour
réaliser des films même si je suis actuellement perplexe face à ce
que pourrait être mon futur cinématographique. Je garde toujours
un désir d’expérimentation dès que j’ai une
idée de film. »

La démarche de Léa Pool a été constamment marquée
par une exigence formelle, ce qui confère à son oeuvre une
place d’exception dans l’histoire du cinéma québécois.
Peut-être a-t-elle rapporté d’Europe ses préoccupations
esthétiques qui caractérisent son parcours et l’ont imposé autant
au public québécois qu’étranger (ses films ont été présentés
dans plus de 40 festivals dans le monde).

Et pourtant… Née en Suisse, d’un père d’origine
juive polonaise et d’une mère suisse alémano-italienne
et protestante, elle se destine à l’enseignement. C’est
en vivant dans une commune, comme le faisaient beaucoup de jeunes à l’époque,
qu’elle a la piqûre du cinéma puisqu’elle est entourée
d’amis qui travaillent dans l’audiovisuel. Elle quitte en 1975
une Suisse qu’elle sent sclérosante et vient étudier à Montréal,
en communication. Quelques mois après avoir obtenu son baccalauréat,
elle se lance dans la réalisation de Strass Café, tourné en
noir et blanc. « J’étais dans une liberté créatrice
immense à ce moment-là, dit-elle. Ce qu’un spectateur demande,
ce que tu as le droit de faire et de ne pas faire, ce qu’exigent les
institutions, le box-office, la critique, je ne connaissais pas. Je n’avais
aucune idée des problèmes et des obstacles que je rencontrerai
plus tard. » Léa Pool rit maintenant de l’accueil à la
première de son film à Montréal en 1980 : la moitié de
la salle s’est vidée! Le film ira pourtant dans quatre festivals
qui reconnaissent la nouveauté narrative et visuelle qu’apporte
la cinéaste, avec ses thèmes sur la solitude et l’exil
et son organisation filmique (longs travellings, cadrages particuliers,
dialogues syncopés, rythme incantatoire de la voix).

Mais c’est La Femme de l’hôtel (1984)
qui la fait connaître à un plus grand nombre. Le film est accueilli
avec enthousiasme par la critique et le public, en particulier par le public
féminin, voire féministe, qui le considère comme un film-phare.
Ce deuxième long métrage est construit autour de trois femmes :
une cinéaste se lie d’amitié avec une femme en proie à l’errance
et s’inspire de sa vie pour mettre en scène son personnage d’artiste
chanteuse en pleine crise existentielle. Au centre de l’oeuvre,
l’incertitude, les relations difficiles avec les autres, le ratage de
l’amour.

Comme les deux précédents films, Anne Trister, qui
sort en 1986, est balisé par les thèmes de l’errance et
de la recherche d’identité, auxquels s’ajoute celui de la
judéité. En partie autobiographique, comme le sera Emporte-moi en
1999, le film aborde ouvertement, mais avec pudeur et profondeur, sur fond
de mélancolie, un sujet peu traité dans le cinéma d’alors,
le lesbianisme (Anne, peintre, tombe amoureuse d’Alix, une femme médecin).
Le monde y est moins évanescent, le social se fait plus palpable, ce
que confirmera l’oeuvre suivante, À corps perdu (1988).

« Je sentais le besoin d’aller ailleurs, de séparer
ma vie personnelle et ma vie artistique. Je me suis tournée alors vers
l’adaptation », nous confie la cinéaste. Même
si elle adapte fidèlement le roman d’Yves Navarre, Kurwenal,
elle ne trahit pas l’univers qu’elle a mis en place depuis presque
dix ans. L’introspection, la quête douloureuse de soi à travers
les autres (c’est l’histoire d’une relation à trois
qui se désagrège), la demande d’affection et le désir
homosexuel sont soutenus de manière obsédante par la richesse
et la poésie des images.

Avant de retrouver la Suisse avec le tournage de La Demoiselle sauvage (1991),
qui est tout autant retour aux origines, quête de l’absolu, impossibilité amoureuse
que lutte contre les pulsions de vie et de mort, Léa Pool part sur les
routes des États-Unis avec Hotel Chronicles (1990). « C’est
une lettre sur une déception de l’Amérique vue à travers
une rupture, nous dit-elle. Même si c’est un documentaire, c’est
un film aussi particulier que mes fictions, avec un personnage qui explore
ce qui se passe ailleurs pour tenter de se retrouver, car il est en déséquilibre
constant. »

Ce déséquilibre travaillera fortement le couple, dans La
Demoiselle
sauvage, sa fusion inaccomplie, son aliénation.
Le monde de la réalisatrice se fait plus dur, plus sombre, comme l’avait
annoncé Rispondetemi, le sketch qu’elle a signé dans Montréal
vu par…
en 1991, juste avant ce nouveau long métrage.
La souffrance et la mort sont dorénavant présentes, imbibent
des images qui, par leur grande beauté formelle, dynamisent une narration
où la contemplation prend dorénavant une large part. Mais les
rêves, les fantasmes, les pulsions dessinent des personnages souvent
autodestructeurs, comme dans Mouvements du désir, qui date
de 1994.

Frôlant la performance par son défi lancé à la
narration avec son unité de temps et de lieu (un voyage de trois jours
en train d’une femme et d’un homme qui s’y rencontrent), Mouvements
du désir
est bâti sur une idée purement cinématographique,
soit de mettre trois films en un : le trajet en train avec les vitres
comme toile blanche, l’histoire du couple à montrer et le cinéma
que se fait chaque personnage en se projetant, jusqu’à la névrose,
dans l’Autre.

Après avoir tourné quatre documentaires, qui sont autant de
récits, Échos du futur, Le Tango des sexes,Lettre à ma
fille
(tous trois de 1996) et Gabrielle Roy (1998), Léa
Pool sent le besoin de se retrouver dans une fiction. On ne sera pas alors
surpris que Emporte-moi soit si autobiographique avec son histoire
d’une jeune fille de 13 ans, curieuse et inquiète, avec le
Québec dans le rôle de la Suisse. « Jamais un film
n’a été aussi proche de moi, avoue la réalisatrice.
Né du sketch de Montréal vu par…, il résume
en quelque sorte tous mes films. C’est aussi ma dernière oeuvre
aussi personnelle. »

En effet, après cette fiction complexe et fluide, elle accepte des contrats,
avec des scénarios clés en main qui seront tournés en anglais : Lost
and Delirious
(2001) et The Blue Butterfly (2004). Ces deux longs
métrages qui ont du succès, et pas seulement au Québec,
assurent-ils la poursuite d’une carrière si bien remplie? Léa
Pool hésite à répondre et se demande si les critères
mis en place par les organismes gouvernementaux favorisent des films où la
vision singulière d’un auteur l’emporte sur la course au « box-office ».
Elle n’a pas encore réussi à mener jusqu’à la
réalisation Pilgrim, adapté du roman de Timothy Findley.
Elle travaille avec Gil Courtemanche à l’adaptation de son roman, Une
belle mort
, ainsi que sur Cantique des plaines, de Nancy Huston. « Je
dois, comme beaucoup de cinéastes, trouver un dénominateur commun
entre ce que les institutions et le milieu ordonnent et ce que je désire
faire », insiste cette cinéaste dont l’oeuvre rigoureuse
et passionnée est reconnue dans le monde entier.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
8 novembre 2006

Membres du jury :
Lucille Veilleux, présidente
François Gill
Marcel Jean
Rita Lafontaine

Crédit photo :
  • Alain Désilets
Crédit vidéo :
Production : Donald Charest, Les Productions Donald Charest inc.
Réalisation : Donald Charest
Caméra, direction photo : Daniel Desrosiers
Prise de son extérieure : Thierri Frankel
Prise de son studio  : Jean-Pierre Limoges, Studio JPL
Montage : Donald Charest / Sylvain Rioux
Compression numérique : Joël Bertrand
Infographie : Alain Dubois
Musique originale : Alexis Le May
Musiciens : Katia Durette, Yana Ouellet, Stéphane Fontaine, Annie Morier, Caroline Béchard, Suzanne Villeneuve, Benoît Cormier, Jean Robitaille, André Villeneuve, Daniel Tardif, Alexis Le May, Éric Pfalzgraf.
Narrateurs : Stéphane Garneau, Suzanne Laberge
Entrevues : Suzanne Laberge
Mixage son  : Jean-Pierre Limoges, Studio JPL
Extraits de films  : À corps perdu, Emporte-moi, La demoiselle sauvage, Mouvements du désir, Le papillon bleu, Rispondetemi (Montréal vu par...)
Texte :
  • André Roy