Daniel Bertolino, lauréate

Naissance le 1 septembre 1942 à Paris, décès le à 

Entrevue

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Biographie

On ne compte plus les réalisations de Daniel Bertolino, fondateur et président de la fameuse maison de production de documentaires,
Via le monde. Près de 1000 films de dix minutes, de trente minutes ou d’une heure en sont sortis. Une trentaine de prix ont couronné l’œuvre de cet infatigable explorateur des continents. Ce pionnier de l’industrie télévisuelle se définit comme un homme engagé; il se remémore tous les jours comme un mantra cette phrase d’Henri Laborit : « Nous avons tous la possibilité individuelle d’agir sur la trajectoire du monde ». Son travail est placé sous la volonté – aussi impérieuse qu’elle peut paraître utopique à certains – de changer le monde. Forte et audacieuse, courageuse et constante, telle est sa démarche. Dans son entretien avec nous, dès les premières paroles, nous sentons un homme généreux, ouvert au dialogue et à l’échange. Et ce sera un plaisir de l’écouter parler de son métier qu’il exerce depuis quarante-cinq ans.

Daniel Bertolino a sillonné les cinq continents pour nous rapporter des documentaires qui nous ont fait découvrir au début de sa carrière les modes de vie traditionnels de populations autochtones. Tout en réfléchissant sur la vie de différents peuples, il renouvelle l’approche télévisuelle du reportage et du documentaire. Sa rencontre avec les cultures et les pays a trouvé son noyau dur durant son enfance en France.

« J’ai été confronté très jeune au racisme, par mon origine italienne, nous confie-t-il. J’ai découvert très tôt ce que c’était une minorité. J’étais parmi les laissés-pour-compte, et ils sont devenus ma cause de cinéaste. » Mais le déclic pour le cinéma trouve sa source dans le clan familial. Avec son père passionné du 8 mm, il apprend très tôt le maniement de la caméra, l’enregistrement du son, les lois du montage. Pour garder un souvenir de ses vacances, il cherche des sujets intéressants comme les traditions et les coutumes des petites communautés rurales françaises. Tout s’enchaînera. Il prend déjà des risques pour aller là où personne n’osait le faire.

Né en 1942, c’est à 17 ans qu’il part de Paris pour une expédition difficile de trois mois en voiture avec des amis au Pakistan, une première à cette époque. Deux ans plus tard, il gagne un important concours de la télévision française : parcourir le monde avec 100 dollars en poche. Durant trois ans, avec sa première épouse Nicole Duchênes, il envoie toutes les semaines ses reportages pour l’émission Caméra Stop, l’ancêtre de La course autour du monde. C’est ainsi qu’il atterrit en 1967 au Québec pour présenter ses films au Pavillon de la jeunesse à l’Expo 67. Il s’installe à Montréal. « J’arrivais au bon moment, le Québec s’ouvrait sur le monde, il était très accueillant, et les gens étaient passionnés par les jeunes. » Mais la production du documentaire y est restreinte; l’industrie privée de la télévision commence tout juste à se développer. Il fonde avec François Floquet Via le monde, qui deviendra une maison reconnue pour la qualité et la diversité de ses productions. Il part de nouveau sur les routes de la planète.

Le voici à Cuba aux côtés de Castro pour un film qui fera le tour du monde, Nosotros Cubanos (1968), véritable coup d’envoi de Via le monde. Ensuite, avec François Floquet, il filme les modes de vie ancestraux des peuples de l’Amazonie à la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce sera
Les primitifs (1970-1973), un terme péjoratif qu’il veut démystifier en montrant les valeurs des autres peuples, aussi importantes que les nôtres et dont on peut tirer de précieux enseignements.

L’année 1976 sera importante pour Daniel Bertolino : il présente son premier long métrage documentaire, une rareté à l’époque, Aho au cœur du monde primitif, qui obtient le Prix du meilleur film de non-fiction au Festival du film canadien. Il réalise ensuite avec sa femme Diane Renaud une série semi-dramatique pour Radio-Canada sur les légendes indiennes et reçoit le Prix UNESCO. Il s’intéresse après au travail social des Canadiens dans le monde avec une série intitulée Plein feu… l’aventure. Son désir de raconter des histoires, celles des gens comme celles des sociétés, se confirme. C’est le début des séries pour Radio-Québec comme Laissez-passer, Poste frontière et Des idées, des pays et des hommes.

Celui qu’aucun obstacle n’arrête va se coltiner un projet démesuré avec son associée Catherine Viau : tenter de comprendre les forces qui nous dirigent et nous contrôlent, d’en analyser toutes les dimensions et d’établir un diagnostic pour le futur, et cela dans un style visuel totalement nouveau qui doit correspondre à son sujet aussi universel que globalisant. Il s’agissait de capter un moment donné et une situation donnée à plusieurs endroits et en même temps dans le monde, à Paris, Londres, New York, Moscou ou Le Caire, et d’élaborer une narration qui unifiera une vision aussi complexe que vaste du monde actuel. Ce sera la célèbre série Le défi mondial, d’après le livre à succès de Jean-Jacques Servan-Schreiber, six émissions tournées entre 1983 et 1985 et présentées par Peter Ustinov. « Une folie », dit-il, mais qui annonçait ce que sera la télévision de demain. » Elle se révélera sa grande œuvre, quintessence de son expérience, des connaissances et des découvertes acquises partout sur la planète durant ses voyages. Coproduites par Via le monde, Radio-Canada et la France, les émissions sont présentées en rafale grâce à Robert Roy, directeur des programmes de Radio-Canada à l’époque, et diffusées également sur CBC avec Patrick Watson et Peter Ustinov.

Le défi mondial aura tenu captifs plus d’un million et demi de spectateurs québécois pendant six jours consécutifs. Une série qui demeurera longtemps une référence pour tous les reporters et documentaristes de la sphère télévisuelle. « Je voulais montrer qu’une autre forme de télévision était possible. Qu’on pouvait y présenter des documentaires aux sujets complexes avec succès à un large auditoire et diffusés en grande heure d’écoute. »

Daniel Bertolino, intarissable sur cette série qu’il a coréalisée avec
Daniel Creusot, constate avec regret qu’il ne sera plus possible d’en produire de telles, non pas tant sur le plan de la forme (la technique télévisuelle a beaucoup changé depuis) que sur celui du sujet. « La télévision a besoin de publicitaires, qui, eux, ne sont pas intéressés par les documentaires qui font réfléchir sur les grandes questions du monde, cela leur fait peur », explique-t-il. Il en parle en connaissance de cause : il bute sur la production d’une série tirée du livre de Jean Ziegler, Destruction massive, qui porte sur les origines de la famine. Il en a acheté les droits, mais aucune chaîne de télévision d’ici et d’ailleurs ne veut pour le moment la produire. Difficile d’avoir bonne conscience quand on parle de la famine en 2013!

Il ne se décourage pas pour autant. Il ne s’est jamais découragé! Il sait qu’il faut dorénavant choisir des sujets plus personnels, avec une ambition différente, mais sans abandonner la volonté de partager connaissances et idées. « Je travaille avec Grégoire Viau, qui a réalisé de nombreux documentaires pour Via le monde, et Catherine Viau sur la mémoire et le devoir de mémoire. » Il se penche ainsi sur les missionnaires québécois, qui étaient nombreux dans le monde il y a cinquante ans et qui, on l’oublie, se sont souvent engagés politiquement en découvrant la misère sociale des peuples qu’ils voulaient évangéliser. « Il ne faut pas avoir peur de son histoire. Le Québec doit découvrir combien la sienne est grande malgré des moments douloureux. Il faut l’assumer et grandir avec elle. » C’est dans le même esprit qu’il prépare une nouvelle émission sur les femmes qui ont construit le Québec.

Daniel Bertolino, comme à son habitude, planche sur plusieurs projets à la fois. Il pourrait se reposer. Ses deux fils, Santiago et Josué, sont cinéastes autonomes et sa fille Laetitia, cinéaste elle aussi, a préféré plonger dans la permaculture. Il a formé au documentaire durant trois décennies de nombreux jeunes, dont certains travaillent pour Via le monde. Mais le grand rêve de Daniel Bertolino est de participer au lancement d’une initiative nationale de conservation et de valorisation de ses quarante-cinq années de tournages ramenés des quatre coins du monde. Il souhaite créer un Espace Via le monde, un centre de la mémoire collective doté d’un centre de formation, de production et de diffusion. Ce sera un véritable studio ouvert sur la communauté qui suscitera de nouvelles créations, propulsées par la culture numérique. Daniel Bertolino est persuadé qu’il y a un autre modèle à inventer pour créer, partager et diffuser des contenus. L’Espace Via le monde perpétuera son engagement à donner la parole, et assurera le transfert et le partage de la connaissance et de la mémoire.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
12 novembre 2013

Membres du jury :
Nathalie Barton
François Bugingo
Stéphane Laporte, président
Nancy Sabourin
Myriam Ségal

Crédit photo :
  • Rémy Boily
Crédit vidéo :
Production : Sylvain Caron Productions Inc.
Réalisation : Sylvain Caron
Coordinateur de production : Frédéric Blais-Bélanger
Caméra et direction photo : Frédéric Blais-Bélanger
Prise de son : Serge Bouvier, Jean-François Paradis
Maquillage : Camille Rouleau
Montage : Frédéric Blais-Bélanger, Sylvain Caron, Ian Morin
Mixage sonore : Studio SonG
Musique originale : Luc Gauthier
Entrevues : Suzanne Laberge
Texte :
  • André Roy