Michel Chrétien, lauréate

Naissance le 26 mars 1936 à Shawinigan, décès le à 

Biographie

Dernier d’une famille de dix-neuf enfants, Michel Chrétien est né à Shawinigan en 1936. Pionnier de la théorie des prohormones, ce médecin et endocrinologue a consacré sa carrière aux sciences biomédicales. Il a jeté les bases d’un chapitre moderne de la biologie et apporté une lumière nouvelle sur les causes de plusieurs maladies, permettant à des thérapies révolutionnaires de voir le jour.

Un exemple de sérendipité

Début des années 60. Lors de ses études en médecine et en recherche clinique aux universités de Montréal et McGill, le lauréat 2015 du prix Wilder-Penfield a l’intuition qu’une meilleure connaissance de la chimie des hormones ferait de lui un endocrinologue plus compétent. Il entreprend donc une formation postdoctorale aux universités Harvard (Boston) et de Berkeley (Californie), études qu’il complétera plus tard par des stages sabbatiques à l’Université de Cambridge (Angleterre) et au Salk Institute (Californie). C’est en 1967, alors qu’il est assistant de recherche à Berkeley, qu’il propose la théorie des prohormones, selon laquelle certains types d’hormones (par exemple l’endorphine et l’insuline) proviennent de plus grands précurseurs hormonaux. Quarante-huit ans plus tard, sa théorie continue d’atteindre de nouveaux sommets.

« Ce nouveau paradigme est devenu le thème central de mes recherches et m’a dirigé vers des horizons inattendus en sciences de base et cliniques », résume le principal intéressé. Son intuition de départ n’aurait pu être plus juste.

En 1967, il revient à Montréal et crée le Laboratoire de neuroendocrinologie moléculaire à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM), un établissement de renommée internationale, où il passera la majorité de sa carrière.

La nouvelle recrue de l’IRCM ne tarde pas à confirmer la véracité de sa théorie. En 1976, il découvre la béta-endorphine humaine et réalise que l’objet de ses travaux depuis Berkeley, soit la béta-lipotropine, est en fait le précurseur biologique de celle-ci. « En somme, je travaillais depuis 1964 sur la béta endorphine sans le savoir, un peu comme le Bourgeois gentilhomme de Molière utilisait la prose sans s’en rendre compte », explique de façon imagée le volubile chercheur.

Emballé par cette percée dans la compréhension de la chimie du cerveau – qui le catapulte sur la scène mondiale – il accélère la cadence pour identifier les insaisissables convertases. Ces enzymes, dont on soupçonnait l’existence depuis 1967, participent au découpage des prohormones et à un grand nombre de fonctions biologiques.

« C’est seulement en 1990, après plusieurs échecs et de nombreuses déceptions, que nous avons finalement découvert, mes collègues Nabil G. Seidah, Majambu Mbikay et moi, avec l’aide de nombreux et dévoués assistants et étudiants, les deux premières convertases. Une odyssée qui aura duré vingt-trois ans! » raconte celui qui, pendant ce long périple, a dû appliquer la leçon fondamentale apprise de ses parents : la persévérance et la confiance en l’avenir. S’ensuivra la découverte de sept autres convertases, pour un total de neuf enzymes aux applications dans des domaines aussi variés que le diabète, l’obésité, le cancer, les infections et le métabolisme du cholestérol.

Sa plus récente découverte concerne d’ailleurs l’identification d’une mutation unique de la neuvième convertase chez trois familles québécoises. Présente seulement au Québec, cette forme mutée abaisse le cholestérol à des niveaux tellement bas que les porteurs ont 90 % moins de risque de subir des accidents cardiovasculaires. « Nous tentons de comprendre pourquoi elle n’existe nulle part ailleurs au monde », déclare le lauréat. « Peut-être que mimer cette mutation nous conduira un jour à de nouvelles thérapies. »

Survol d’un parcours impressionnant

Sans négliger ses activités de recherche, le Dr Chrétien s’implique dans la vie universitaire québécoise, canadienne et internationale. Il occupe notamment le poste de directeur scientifique à l’IRCM pendant dix ans, puis exerce les mêmes fonctions à l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa. Entretemps, il cofonde l’Institut de la biologie des systèmes de l’Université d’Ottawa. Comme enseignant, il crée, en 1972, le cours de biologie cellulaire et moléculaire des universités de Montréal et McGill, lequel est toujours offert à l’heure actuelle, et forme une relève scientifique de haut niveau composée de plus de 70 jeunes chercheurs, dont plusieurs sont eux-mêmes devenus des chefs de file du monde scientifique.

Rassembleur par excellence, il suscite des partenariats internationaux en tissant des liens avec les instituts, les chercheurs et les pays, et en bâtissant des ponts entre eux. Ici aussi, les exemples abondent : à la suite de l’épidémie du syndrome respiratoire aigu grave en 2003, il cofonde le Consortium international sur les thérapies antivirales, un réseau composé de 250 scientifiques de 40 pays. Au fil des ans, il noue des relations avec plusieurs instituts chinois, travail de longue haleine qui lui a valu une nomination à titre de professeur émérite de l’Académie chinoise des sciences médicales. S’ajoute également une étroite et loyale collaboration scientifique avec de nombreux centres de recherche en France, particulièrement avec l’Institut Pasteur de Paris.

Un ambassadeur de la science québécoise et canadienne

Chercheur estimé, Michel Chrétien est invité à prononcer des conférences à plus de 300 occasions aux quatre coins du monde, du Canada aux États-Unis, en passant par l’Asie et l’Europe.

Sa production scientifique a également de quoi surprendre le commun des mortels : 7e canadien le plus cité dans toute la littérature scientifique mondiale de 1981 à 1990, il compte à son actif près de 600 publications parues dans des revues savantes.

Et sur le plan national? « J’ai défendu bec et ongles la liberté académique et j’ai été un promoteur têtu du financement de la recherche au Québec et au Canada », déclare celui pour qui « les arts et les sciences font partie de l’intelligence d’un pays, de ce qu’on retiendra de lui plus tard ».

Vers le milieu des années 1970, en tant que président du comité scientifique de l’Association des médecins de langue française du Canada, il prépare pour le ministre de la Santé du Québec un mémoire qui prône la création, par le Fonds de recherche du Québec en santé, d’un programme de chercheurs boursiers. Aujourd’hui, ce programme phare accueille près de 400 récipiendaires annuellement.

Puis, en 1986, en réponse à l’invitation de la Société royale du Canada, il accepte la présidence d’une commission pour évaluer les ravages de l’épidémie du sida. Secondé par une trentaine d’experts de diverses disciplines, il produit un rapport contenant 48 recommandations, lesquelles ont progressivement été adoptées par les différents ordres de gouvernement.

Aux premières loges de l’excellence

La qualité et la portée de ses travaux lui ont valu de nombreux honneurs scientifiques. Élu officier de l’Ordre national du Québec et de celui du Canada, il a récemment été promu au rang d’officier de l’ordre national de la Légion d’honneur de la République française. À ces nominations s’ajoutent de multiples distinctions et cinq doctorats honorifiques, dont un lui a été attribué par la prestigieuse Université Paris Descartes. Fait notable, il est aussi le premier médecin canadien français à être élu Fellow de la Société royale de Londres, un des plus grands honneurs pour un scientifique, toutes disciplines confondues.

La contribution scientifique du meneur à l’esprit visionnaire

Encore très actif à l’aube de ses 80 ans, le clinicien-chercheur, dont le processus de réflexion ne s’interrompt jamais, codirige une petite équipe à l’IRCM. Celle-ci concentre ses recherches sur des domaines d’intérêt, comme la génétique humaine, les maladies cardiovasculaires, la maladie d’Alzheimer, la malaria et le virus Ebola.

C’est dire à quel point Michel Chrétien, modèle de persévérance dont l’œuvre engagée suscite l’admiration, continue à jouer un rôle important dans le paysage canadien et québécois de la recherche, exerçant une influence internationale qui se conjugue aisément au passé, au présent et au futur.

Information complémentaire

Membres du jury :
Christiane Ayotte (présidente)
Geneviève Bernard
Sylvain Chemtob
Samuel Kadoury
François Rousseau

Crédit photo :
  • Éric Labonté
Texte :
  • MEIE