Mohamed Lotfi, lauréate

Naissance le 31 décembre 1959 à Montréal, décès le à 

Entrevue

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Biographie

À la première rencontre de Mohamed Lotfi en 1989 avec les personnes incarcérées de l’Établissement de détention de Montréal, celui-ci leur a demandé : « Qu’auriez-vous à dire devant un micro de radio? » Assurément beaucoup de choses, puisque pendant plus de 30 ans, quelque 30 000 détenus ont défilé dans le studio de Souverains anonymes pour faire résonner leurs aspirations au-delà des murs de la prison. Par la création de cette émission radiophonique unique au monde, Mohamed Lotfi a offert plus qu’une tribune aux hommes de « Bordeaux » : il leur a érigé un trône, faisant reine leur parole. Il est le premier lauréat à recevoir le prix Guy-Mauffette pour sa contribution remarquable à l’excellence de la radio communautaire.

« Le prix Guy-Mauffette représente pour moi une reconnaissance qui dépasse ma petite personne. En m’accordant ce prix, c’est à une façon différente de communiquer qu’on rend hommage. Je n’aurais jamais pu produire pendant plus de 30 ans l’émission Souverains anonymes dans une radio privée ou même à la radio publique. À la radio communautaire, j’ai pu jouir d’une liberté de création que je n’aurais pas eue ailleurs », affirme-t-il.

Né à Settat, au Maroc, Mohammed Lotfi Laraki, de son nom de naissance, y obtient un baccalauréat en littérature avant de poursuivre ses études universitaires à Québec et à Montréal en cinéma et en arts plastiques. Ancien comédien et danseur de ballet, il cumule plusieurs professions et passions, étant à la fois peintre, cinéaste, journaliste, réalisateur, producteur, animateur et chroniqueur. Si c’est d’abord par intérêt journalistique qu’il crée Souverains anonymes à la fin des années 1980, celui-ci se mute rapidement en action humaniste. L’émission, qui poursuit un objectif de réinsertion sociale par la créativité et l’expression, et son animateur ont une influence significative sur les détenus. Peut-être est-ce parce que Mohamed Lotfi accorde une plus grande importance à leurs rêves et à leur façon d’envisager l’avenir qu’aux raisons qui ont mené à leur incarcération. Chose certaine, comme en témoigne le documentaire Des hommes de passage (2002), celui qui se décrit comme un artiste d’abord démontre un respect, un engagement et une sensibilité admirables à l’égard de chacun de ces êtres humains auxquels il donne la parole. Il sait mettre en lumière leur potentiel qui ne demande qu’à éclore, par le chant, la poésie, la prose ou encore le théâtre.

Il n’est donc pas étonnant que Souverains anonymes, de même que son créateur, ait obtenu de nombreuses distinctions, dont la médaille de l’Assemblée nationale (2014), et attiré plus de 1 000 invités d’envergure – des artistes et des politiciens, entre autres –, donnant lieu à de véritables échanges, et ce, dans une relation d’égalité. Plus qu’une oreille à l’intérieur des murs, Mohamed Lotfi se révèle ainsi un promoteur de la culture et un éveilleur de conscience sociale.

Devenue une institution, Souverains anonymes a été diffusée par une trentaine de radios communautaires au Québec, au Canada et en France. Même si, aujourd’hui, l’émission radiophonique n’est plus en ondes, celle-ci s’est trouvé un nouvel écrin en un site Web dans lequel sont conservées ses archives. Mais les « souverains » ne se sont pas tus pour autant. Depuis 2013, ils expriment leur créativité et exposent leur talent dans des capsules vidéo et des courts-métrages, notamment, également accessibles sur le site Web, qui a ainsi pris le relais de plus de 30 ans de travail reconnu et encensé. Mohamed Lotfi entend poursuivre dans cette voie pour les prochaines années, en réalisant toutes sortes de projets artistiques avec les détenus.

« Dans ma carrière, ce dont je suis le plus satisfait, c’est d’avoir été libre », dit-il. Plus particulièrement à propos de l’expérience Souverains anonymes, il ajoute : « Il est très difficile de ne pas être fier d’être libre dans une prison! Quand je rentre à Bordeaux, je me sens chez moi. Il n’y a pas d’endroit où l’on peut se sentir plus libre que chez soi, n’est-ce pas? »

Sans contredit, Mohamed Lotfi doit la longévité et la portée de Souverains anonymes à sa volonté constante de mettre au jour le meilleur des détenus par le pouvoir des mots – de leurs mots – en leur donnant accès, à eux aussi, à un espace de liberté. S’il a fait de ce projet novateur l’œuvre de sa vie, en contrepartie, ce projet a fait de lui un être d’exception, le « souverain des souverains ».

Information complémentaire

Membres du jury

Mélanie Carrier

Jean-Daniel Doucet

Noémi Mercier

Pierre Therrien

Crédit photo :
  • Éric Labonté