Claire Deschênes, lauréate

Biographie

En étudiant les phénomènes hydrauliques qui régissent les turbines, Claire Deschênes a énergisé l’industrie hydroélectrique du Québec et, au passage, ouvert la voie aux ingénieures de demain.

Étudiante chez les Ursulines à Shawinigan au début des années 1970, Claire Deschênes excelle en physique et en mathématiques. Toutefois, une carrière en génie ne s’envisage pas pour les filles à l’époque. L’idée lui vient… par le théâtre, lorsqu’elle interprète le pilote dans une adaptation du Petit Prince de Saint-Exupéry. « L’aviateur est comme un ingénieur mécanique, relate-t-elle. Je me suis dit : je me vois dans ce rôle-là. Ça rejoint mes champs d’intérêt, c’est original. »

Lorsqu’elle obtient son baccalauréat en génie mécanique à l’Université Laval, en 1977, Claire Deschênes est la seule femme de sa cohorte! Après un doctorat à l’Institut national polytechnique de Grenoble, elle revient à Québec, cette fois en tant que professeure. En 1989, elle devient donc la première femme à occuper un tel poste à la Faculté des sciences et de génie de l’Université Laval, tout comme elle est aujourd’hui la première lauréate féminine à remporter le prix Lionel-Boulet pour sa contribution en recherche dans le domaine industriel.

Cinq ans plus tard, la jeune chercheuse fonde le Laboratoire de machines hydrauliques. À l’aide de modèles réduits de turbines, son équipe acquiert des connaissances sur les écoulements qui actionnent les appareils de production hydroélectrique. En 2007, Claire Deschênes encourage la collaboration entre les acteurs de ce domaine en créant le Consortium en machines hydrauliques. La nouvelle organisation regroupe des chercheurs d’universités québécoises, des fabricants canadiens de turbines et des producteurs d’énergie actifs en Amérique du Nord ou en Europe. Grâce à ses talents de leader, maintes fois soulignés par ses partenaires, elle mobilise ainsi autour d’objectifs communs des établissements aux missions variées, dont certains se font concurrence.

Doté d’appareils de pointe, le Consortium s’attaque aux comportements hydrauliques dommageables lors du démarrage des turbines et à la baisse de performance liée à l’introduction d’équipement moderne dans d’anciennes installations. L’équipe de la professeure Deschênes développe de précieux instruments, comme un laser couplé à un endoscope, pour mesurer l’écoulement de l’eau à l’intérieur d’un système. Les informations sur les vitesses et les pressions dans les turbines alimentent des bases de données qui permettent de valider les codes de calculs industriels servant à analyser le comportement de ces machines. Une meilleure compréhension des phénomènes en jeu aide à concevoir des dispositifs plus efficaces et durables.

Les connaissances acquises ont une grande valeur, autant pour les fabricants exportateurs de turbines que pour les producteurs d’énergie. « Le Consortium a contribué au dynamisme de l’industrie hydroélectrique du Québec afin qu’elle demeure à l’avant-garde internationale », dit avec fierté celle qui a été décorée de l’Ordre du Canada en 2019. Elle voit dans cette distinction un succès d’équipe, fruit du soutien de l’Université, des chercheurs, des étudiants et des entreprises.

Auteure d’innombrables articles et rapports, l’infatigable ingénieure s’engage à fond pour sa discipline et son industrie, mais également pour la société. Elle a dû travailler dur pour se tailler une place dans un milieu masculin. Son expérience l’amène à occuper, de 1997 à 2005, la Chaire CRSNG/Alcan pour les femmes en sciences et en génie au Québec, qui promeut des professions non traditionnelles et participe à des recherches sociales sur le sujet. La titulaire contribue de plus à fonder trois organismes à but non lucratif : l’Association de la francophonie à propos des femmes en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques, l’International Network of Women in Engineering and Sciences et l’actuel Institut canadien pour les femmes en ingénierie et en sciences. « Je voyais que plus de femmes pourraient être aussi heureuses que moi en carrière, dit-elle. Aujourd’hui, l’industrie a compris que la diversité des points de vue est porteuse d’idées et payante. »

Après trois décennies, la professeure prend sa retraite en 2019, mais ne chôme pas pour autant. Elle collabore notamment à la création d’archives au sujet des femmes en sciences et en génie à la bibliothèque de l’Université d’Ottawa. « Des femmes ont réalisé des choses intéressantes et sont oubliées. C’est important que leur histoire soit connue, mentionne-t-elle. On doit montrer plus de modèles féminins dans les livres de classe. »

La scientifique dirige aussi la publication Recherches féministes à l’Université Laval, une revue savante qui diffuse des articles révisés par les pairs. Elle découvre avec plaisir de nouveaux univers, ceux de l’édition et des études multidisciplinaires. Maintenant que son rythme est moins effréné, elle s’adonne aux activités sportives et à l’aquarelle. Le choix de la peinture à l’eau est-il une suite logique à ses travaux en hydraulique? Claire Deschênes hésite, puis acquiesce fièrement : « Ma vie, ma carrière, est bâtie sur l’eau. »

Information complémentaire

Membres du jury

Christian Moreau (président)

Vincent Aimez

Daniel Guay

Denis Rodrigue