Jean-Charles Falardeau, lauréate

Sociologue

Naissance le 19 juin 1914 à Québec, décès le 24 avril 1989 à Québec

Biographie

La pensée scientifique dans le discours
sociologique québécois

Le nom de Jean-Charles Falardeau est un véritable symbole de l’accès
du Québec à la modernité. Premier sociologue québécois
à exercer officiellement sa profession, il introduit, en quelque sorte,
le mode de pensée scientifique chez les intellectuels canadiens-français,
dont il se démarque, dès 1943, affirmant qu’il faut désormais
penser la société « en deça de la théologie
et au-delà du nationalisme ».

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Jean-Charles Falardeau revient
de Chicago, où il a poursuivi des études de sociologie, débutées
à l’Université Laval. Contrairement à plusieurs de ses
contemporains, il considère que le « vrai drame » de la société
québécoise ne se situe pas sur le plan des relations constitutionnelles
avec le gouvernement fédéral, mais plutôt sur celui de la
contradiction entre la civilisation urbaine américaine et l’identité
religieuse et culturelle du Canada français. Dès lors, la recherche
devient la clé de voûte de son travail.

Aidé de ses étudiants de la toute nouvelle Faculté des
sciences sociales de l’Université Laval, Jean-Charles Falardeau entreprend
une vaste étude de la société urbaine de Québec
et met en place une tradition de pensée sociologique du type clinique.
Morphologie sociale, logements, migrations, revenus, paroisses et regroupements
ouvriers, tout l’intéresse. Les caractéristiques sociales de plus
de 7 000 foyers sont disséquées et analysées. Animé
d’un nouvel esprit scientifique, le jeune professeur propose une approche objective
pour observer l’essence de la société et suggérer des changements.

À cette époque-là, le scientifique a une vision fédéraliste
du Québec. Pourtant, Nicole Gagnon, professeur de sociologie à
l’Université Laval, considère que sa recherche sociologique, « 
au ras du sol », solidaire des gens d’ici, alimente à certains
égards la réflexion sur le nationalisme.

L’enseignement et l’engagement

« Enseigner les sciences sociales à cette époque, c’était
aussi se prolonger en acteurs sociaux politiquement engagés »,
écrit un jour le sociologue, et ce type d’engagement, plutôt inusité
au Québec, n’est pas sans heurter. « Les sciences sociales, répète-t-on
alors, c’est du socialisme… Vous êtes une pépinière
de communistes… » À deux reprises, au cours de ses premières
années d’enseignement, Jean-Charles Falardeau termine des sessions avec
seulement deux sortants en sociologie! Pourtant, le vent tourne. Dès
1950, « le Département se remet en marche à pleines voiles
et manque d’emporter le cap Diamant dans son sillage », se rappelle le
sociologue.

En 1952, Jean-Charles Falardeau organise un colloque interdisciplinaire qui
donne lieu à de multiples réflexions et recherches sur la société
canadienne-française. Une étude magistrale, Essai sur le Québec
contemporain
, dont le professeur Falardeau est maître d’œuvre,
poursuit la réflexion amorcée à ce colloque et établit
le premier diagnostic concernant les répercussions de l’industrialisation
dans la province de Québec et l’américanisation de la société.

Plusieurs autres observations judicieuses du sociologue sur la société
québécoise donnent lieu à des concepts, dont celui de « 
dualité ». Ainsi, en 1964, Jean-Charles Falardeau souligne le fait
que « notre société est dominée par deux constellations
de planificateurs et de technocrates qui s’opposent, au moins partiellement,
par leurs objectifs et leurs idéologies. L’une est issue de l’université,
l’autre, de la grande entreprise industrielle et financière. L’une et
l’autre cherchent à contrôler l’État. » En parallèle,
se dégagent la dualité du système des classes sociales
et la dualité culturelle du Québec, préfigurant ainsi une
réflexion toujours actuelle.

Jean-Charles Falardeau revient en outre à plusieurs reprises sur le
fait « que la société est passée sans transition
de l’heure des clochers à l’heure de la technobureaucratie, en court-circuitant
la phase libérale de la réflexion, de la discussion, de l’apprentissage
authentiquement démocratique de la responsabilité ». Ce
décalage est la source de nombreuses réflexions pour le professeur
et les étudiants qu’il formera pendant ses 38 années d’enseignement.

L’imaginaire social et la culture

Au début des années 60, Jean-Charles Falardeau se tourne vers
l’imaginaire social et la littérature, et il offre une contribution originale
à la sociologie du roman. Plusieurs de ses travaux retracent l’histoire
des origines de la pensée sociologique, en particulier chez Étienne
Parent, Arthur Buies et Leon Gérin. Ces ouvrages sont aujourd’hui
une référence dans l’histoire des idées au Québec.
Attentif et exigeant, notamment sur le plan de la qualité de la langue,
le sociologue vise toujours la perfection. Roger Duhamel écrit à
son sujet en 1982 : « Ce n’est pas faire injure aux sociologues que de
noter que leur souci essentiel n’est pas l’élégance du propos
[…] Falardeau commet cette excentricité de se distinguer par la
maîtrise d’une langue rompue aux plus hautes exigences combinées
de la justesse et de l’harmonie. »

En faisant du discours sociologique une « conscience sociale »,
Jean-Charles Falardeau figure incontestablement parmi ceux qui sont à
l’origine de la réconciliation de la tradition canadienne-française
et du devenir québécois.

Résumé de la carrière de Jean-Charles Falardeau

1941-1943
Études universitaires spécialisées en sociologie à l'Université de Chicago

1943-1981
Professeur à la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval

1951-1961
Directeur adjoint du Centre de recherches sociales de la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval

1972
Doctorat en sociologie de l'Université Laval

1973
Médaille Innis-Gérin de la Société royale du Canada

1980
Membre de l'Académie canadienne-française

1981
Prix Esdras-Minville de la Société Saint-Jean-Baptiste

1983
Membre de la Société royale du Canada

1984
Prix Léon-Gérin

Information complémentaire

Date de remise du prix :
23 octobre 1984

Membres du jury :
John E. C. Brierley
Nicole Gagnon
Valérien Harvey
Anne Méar
Albert Wilhelmy
Crédit photo :
  • Daniel Lessard
Texte :
  • Élaine Hémond
Mise à jour :
  • Nathalie Dyke