René Jodoin, lauréate

Naissance le 30 décembre 1920 à Hull, décès le 22 janvier 2015 à 

Biographie

Collaborateur de la première heure de Norman McLaren, qui fut pour lui un maître et une inspiration, René Jodoin a été le fondateur du studio d’animation du Programme français de l’Office national du film (ONF) et l’instigateur d’une déterminante collaboration entre l’ONF et le Conseil national de recherches du Canada sur l’application du travail par ordinateur au dessin animé. Cet homme discret, à la réflexion profonde, a marqué de manière directe et indirecte l’art de l’animation, et il est devenu lui-même un maître et un inspirateur dont l’influence se fait encore sentir, bien qu’il ait quitté l’ONF en 1985.

Né à Hull en 1920, transplanté à Chambly avec sa famille à l’âge de choisir un métier, René Jodoin sait de façon certaine, dès l’enfance, ce qu’il veut faire dans la vie : dessiner. Il veut aussi que le dessin se traduise dans des applications concrètes, ce qui le pousse vers l’École technique. Mais, s’étant présenté trop tard à l’inscription, il se retrouve finalement à l’École des beaux-arts. Son diplôme acquis, le destin lui fait un nouveau clin d’œil : Norman McLaren, qui est déjà un maître de l’animation à l’ONF, cherche des dessinateurs ; le directeur de l’École des beaux-arts suggère les noms de Jean-Paul Ladouceur et de René Jodoin. McLaren découvre en René Jodoin un jeune homme qui « s’exprime avec douceur et a tout du rêveur introverti ». Sous la direction de McLaren, Jodoin travaille d’abord avec une petite équipe produisant des cartes géographiques, des génériques, des effets spéciaux et des documentaires. Son sens de la poésie de l’image, sa connaissance approfondie du mouvement, sa vision de l’animation, qui dépasse l’approche réductrice du dessin animé pour enfants, ont tôt fait de le distinguer. Le rêveur est un artiste rigoureux, un pédagogue compétent qui parviendra à mener une double carrière d’animateur-réalisateur et d’administrateur. C’est ainsi que, dès 1945, il réalise trois des courts métrages de la série Lets all sing together dont il est le producteur délégué. Déjà son style personnel est perceptible. Quelques formes, quelques bouts de papier soigneusement découpés, René Jodoin met ses dessins, qui deviendront avec le temps de plus en plus géométriques et dépouillés, au service d’une poésie délicate et dansante.

Jodoin quitte l’ONF en 1947 pour un séjour au Mexique. À son retour, il entreprend avec Norman McLaren le tournage de Sphères, un film que les deux artistes coréalisent et qui sera terminé en 1969. Entre-temps, René Jodoin aura vécu de nombreuses expériences professionnelles.

En 1949, il travaille pour la firme Audio Pictures à Toronto, puis devient directeur artistique de Current Publications Limited, qui édite un grand nombre de publications professionnelles dont Modern Medicine of Canada.

Il revient à l’ONF en 1954 et il y restera jusqu’à la retraite. D’abord responsable du programme d’animation pour la production de films destinés à la Défense nationale, René Jodoin collabore étroitement avec Frank Spiller et participe à la production et à la réalisation d’une grande variété de films scientifiques et commandités ; car malgré les fonctions administratives qu’il assume, Jodoin n’abandonne jamais la création. En 1961, il invite le mathématicien anglais Trevor J. Fletcher et collabore avec lui à la réalisation de Four Line ConicsRonde carrée. Sa compétence et ses qualités de pédagogue sont telles qu’en 1963 on lui confie la direction du programme de films scientifiques.

Mais c’est un défi autrement plus grand qui attend René Jodoin en 1966. La mise en place et la conquête d’un secteur français à l’ONF se sont faites poste par poste et quand on demande à René Jodoin d’être le fondateur et le responsable de la section française d’animation de l’ONF, il sait que la tâche ne sera pas facile. Mais cet homme est de la race des calmes pionniers. Les conditions matérielles imposées aux membres de sa petite équipe sont sous le signe de l’austérité ; les bureaux sont installés dans des roulottes, l’hiver l’odeur des chaufferettes à essence empoisonne l’air et l’été la chaleur est insupportable. De cette pauvreté il fera une force. Sous son influence, le studio français privilégie l’approche artisanale ; les artistes sont libres et responsables de leurs œuvres. Les équipes sont petites et travaillent en collégialité, et la polyvalence des talents, la diversité des approches et des sensibilités favorisent une expérimentation qui restera au fil des ans l’un des traits distinctifs du Studio français d’animation. René Jodoin s’attache à former et à encourager les artistes qui l’entourent. Sa patience, sa bienveillance, ses qualités de pédagogue et son sens de la convivialité feront de lui un patron aimé et respecté.

René Jodoin se révèle tout aussi avant-gardiste comme administrateur que comme créateur. Son sens naturel de l’équité le poussera à recruter sans discrimination autant de femmes que d’hommes à une époque où les luttes pour l’égalité n’ont pas encore fait école, mais il affirme que son seul véritable critère sera toujours le talent. Si les enfants et les adultes des années 2000 ne sauraient être étonnés par les images de synthèse et les films entièrement conçus grâce à l’ordinateur, il fallait être visionnaire en 1970 pour s’engager dans la recherche sur la création par ordinateur avec confiance et enthousiasme. C’est pourtant ce que fera René Jodoin en suscitant une collaboration entre l’ONF et le Conseil national de recherches du Canada. Pour Jodoin, l’utilisation de l’ordinateur permet une vérification rapide des hypothèses de travail et de toutes les variables possibles, donnant ainsi à l’artiste une plus grande liberté de création. C’est pour faire progresser les applications de l’ordinateur que René Jodoin a produit des films comme La Faim de Peter Foldes, encore considéré comme un chef-d’œuvre. En 1977, René Jodoin quitte le Studio français d’animation mais reste producteur et réalisateur à l’ONF, ce qui lui permet de consacrer plus de temps à son œuvre personnelle, mais aussi de continuer son travail de producteur. Il prend sa retraite en 1985.

La géométrie joue un rôle important dans l’œuvre de René Jodoin ainsi que l’intention pédagogique qui garde pourtant une légèreté poétique unique. Parmi ses réalisations les plus importantes, il faut retenir Notes sur un triangle (1966), Rectangle et rectangles (1984), Question de forme (1985) et, en 1999, Entre-temps & lieu. On retrouve d’ailleurs ces œuvres réunies dans un coffret de deux vidéocassettes publiées par l’ONF dans la collection Mémoire.

René Jodoin est un homme modeste, son regard brillant garde une lueur d’enfance que ni les ans ni une sagesse naturelle ne sauraient entamer. À plus de 80 ans, il travaille encore à un nouveau projet. Il trouve « merveilleux d’être honoré dans son pays » car « on passe beaucoup de temps avec ce qu’on fait et on doute toujours ». Le cinéma d’animation est pour lui une passion et une vocation et quand il déclare : « Il faut réussir à créer une expérience cinématographique qui est un peu plus qu’un divertissement passager », son interlocuteur comprend l’immense respect de cet homme pour un art qu’il a largement contribué à établir.

Information complémentaire

Date de remise :
20 novembre 2001

Membres du jury :
Charles Binamé (président)
Serge Beauchemin
Donald Pilon
Monique Proulx
Louis Saïa

Crédit photo :
  • Marc-André Grenier
Texte :
  • Janette Biondi