Emil Skamene, lauréate

Naissance le 27 août 1941 à Buczacz, Pologne, décès le à 

Biographie

Dans les bidonvilles de l’Inde ou de la Colombie, la tuberculose fait encore des ravages. À d’autres endroits, c’est la lèpre qui défigure ses victimes, à raison de 800 000 nouveaux cas recensés chaque année dans le monde. Pourtant, certaines personnes n’attrapent jamais ces terribles maladies, même en vivant en contact étroit avec les bacilles responsables. Pourquoi? C’est ce qu’a découvert le docteur Emil Skamene au début des années 80, contribuant ainsi à mettre en œuvre des stratégies de lutte beaucoup plus efficaces contre ces fléaux.

Emil Skamene naît en Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale, mais c’est en Tchécoslovaquie qu’il grandit et étudie la médecine, à l’Université Charles. En 1968, l’année du printemps de Prague, il quitte son pays d’adoption avec sa femme et deux valises, et s’installe à Boston pour deux ans, le temps de terminer ses études postdoctorales à la célèbre Harvard Medical School. Quand vient le temps de chercher un poste permanent, les occasions ne manquent pas. Le médecin tchèque choisit Montréal, pour l’environnement scientifique qui lui est offert mais aussi pour l’atmosphère de la ville, sa joie de vivre, dit-il. Il termine sa formation clinique en allergologie et immunologie à l’Université McGill. C’est là qu’il fonde en 1988 le Centre d’étude de la résistance de l’hôte, tout en continuant de suivre ses patients, à l’Hôpital général de Montréal.

Pour prévenir ou guérir les maladies infectieuses, on s’acharnait depuis des décennies à mettre au point des vaccins ou des antibiotiques. Le docteur, lui, cherche à comprendre comment le système immunitaire peut, de lui-même, combattre efficacement ou non ces maladies. À une époque où le programme de décryptage du génome humain n’est encore qu’un projet lointain, le professeur explore la piste génétique. Pendant cinq ans, il élève des souris qu’il croise inlassablement jusqu’à obtenir plusieurs milliers d’individus aux caractéristiques génétiques identiques. Il montre alors que certains individus possèdent des gènes qui les prédisposent aux infections microbiennes ou, au contraire, les protègent par rapport à celles-ci. Avec son équipe, il repère le gène NRAMP dans le génome de souris, puis chez l’être humain, sur un autre chromosome. Ce gène confère à ceux qui en sont porteurs la capacité de résister aux mycobactéries, qui causent des maladies telles que la tuberculose, la lèpre, la leishmaniose ou la salmonellose. L’annonce très médiatisée de ces découvertes fait connaître au grand public le chercheur de l’Université McGill, dont la réputation est acquise depuis longtemps auprès de ses pairs.

Avec ses travaux sur la tuberculose, Emil Skamene ouvre la voie à un nouveau domaine de recherche, l’immunogénétique, qui n’a depuis cessé de se développer, à l’Université McGill comme ailleurs dans le monde. Sous sa direction, les treize chercheurs principaux du Centre et une soixantaine d’étudiants diplômés et de chercheurs postdoctoraux tentent de comprendre comment les gènes influent sur la prolifération de plusieurs maladies, telles que l’hypertension, l’asthme, le diabète ou les cancers. Le médecin sait s’entourer. Choisir les étudiants les plus brillants, travailler d’arrache-pied pour leur fournir les meilleures conditions de travail et les laisser faire preuve d’autonomie et d’initiative, la recette fait ses preuves. Aidés de leur mentor, plusieurs jeunes scientifiques accéderont, par la suite, à des postes clés en recherche, au Canada ou ailleurs. Le docteur Philippe Gros, par exemple, qui a étudié avec le chercheur tchèque les gènes de résistance aux mycobactéries, a reçu notamment le prestigieux Prix international du Howard Hughes Medical Institute en 1997.

En l’espace de quelques années, le docteur Skamene devient rapidement la force motrice du Centre de recherche de l’Hôpital général de Montréal. Il ne compte plus les récompenses : en 1992, il reçoit le prix Izaak-Walton-Killam du Conseil des arts du Canada et le Prix de l’Organisation mondiale de la santé; en 1994, le prix Léo-Pariseau de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences et le Prix de l’American Society for Microbiology, de la Société canadienne d’allergologie et d’immunologie clinique; en 1997, il devient membre (fellow) de la Société royale du Canada; et il est lauréat du Prix de l’excellence en recherche de Merck Frosst Canada en 1999; et la liste est encore longue! Il a aussi dirigé la Société canadienne de recherches cliniques et était chercheur principal au sein du Réseau canadien des maladies génétiques. En outre, il est membre de nombreuses sociétés savantes. En parallèle, Emil Skamene se fait entrepreneur lorsqu’il crée, avec les docteurs Guy Rouleau et Philippe Gros, la compagnie RGS Genome, une société privée de génomique médicale qui exploite notamment les populations de souris congéniques brevetées par le médecin.

Reconnu aussi pour ses capacités de rassembleur – et pour son incroyable ardeur au travail –, Emil Skamene se voit confier de nouvelles responsabilités par l’Université McGill. Depuis 1998, il assume la direction scientifique du tout nouvel Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). La tâche est colossale : le CUSM compte 11 000 employés, dont 910 médecins, 200 chercheurs en sciences fondamentales et 400 chercheurs cliniciens, et gère un budget de 400 millions de dollars, dont 70 millions pour la recherche! Bâtir un nouveau centre de recherche, y intégrer des équipes venant de cinq hôpitaux différents, le tout sur un campus virtuel en attendant la construction de nouvelles installations d’ici 2005, voilà de quoi occuper largement les journées du médecin, sans compter les heures qu’il passe avec ses patients et ses étudiants! Pourtant, Emil Skamene s’est lancé tête baissée dans ce nouveau défi. « Je ne pouvais pas refuser une telle offre », raconte-t-il d’un ton enjoué. Jonglant avec des horaires déraisonnables, dormant peu, le médecin trouve encore le temps de lire romans et biographies, d’écouter de la musique, de voyager et de retrouver ainsi famille et amis à Montréal, à Prague ou à Londres, les villes où se sont établis ses trois enfants. Retourner vivre en République tchèque? Le chercheur n’y compte pas maintenant que ses racines sont fermement ancrées à Montréal. Entre deux rendez-vous, il rêve aussi d’un temps futur où il pourra de nouveau se consacrer à la science. « Je n’ai jamais considéré la recherche comme un métier, raconte-t-il, mais plutôt comme une manière de pouvoir continuer à jouer en étant adulte. » Quant à la retraite, elle n’est certainement pas à l’ordre du jour! En 2004, Emil Skamene présidera un congrès international qui attirera près de 15 000 immunologues à Montréal. De quoi combler quelques trous dans son emploi du temps…

Résumé de la carrière de Emil Skamene

1964
Doctorat en médecine de l'Université Charles

1980
Médaille d'or pour l'excellence de la recherche en médecine du Royal College of Physicians and Surgeons of Canada

1986-1991
Bourse de mérite exceptionnel du Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ)

1988
Directeur fondateur du Centre d'étude de la résistance de l'hôte de l'Université McGill

1991
Prix Cinader de la Société canadienne d'immunologie

1992
Prix Izaak-Walton-Killam du Conseil des arts du Canada

1992
Prix de l'Organisation mondiale de la santé

1994
Prix Léo-Pariseau de l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (ACFAS)

1994
Prix de l'American Society for Microbiology de la Société canadienne d'allergologie et d'immunologie clinique

1997
Membre (fellow) de la Société royale du Canada

1997
Prix international du Howard Hughes Medical Institute

1998-
Directeur de l'Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM)

1999
Prix d'excellence en recherche de Merck Frosst Canada

2001
Prix Armand-Frappier

Information complémentaire

Date de remise :
20 novembre 2001

Jury :
Jennifer Stoddart
Guy J. Collin
Richard L. Cruess
Louis-Gilles Durand
Christiane Quérido

Crédit photo :
  • Marc-André Grenier
Texte :
  • Valérie Borde