Marcel Trudel, lauréate

Historien

Naissance le 29 mai 1917 à Saint-Narcisse, décès le 11 janvier 2011 à Longueuil

Biographie

Marcel Trudel est un rebelle. À 84 ans, il défend encore ardemment son point de vue et n’hésite pas à affirmer, documents à l’appui, que la Conquête a eu du bon pour le Canada français, quitte à se faire – encore – de nombreux ennemis. Adolescent, l’historien rêve de devenir le Balzac du Canada français. Pourtant, rien dans l’entourage de ce fils de menuisier, orphelin à 5 ans, ne le prédestine aux belles-lettres. Sa famille adoptive le pousse vers la prêtrise, mais, après cinq mois passés au Grand Séminaire de Trois-Rivières, il ne peut s’imaginer curé. Dans les années 30 et 40, il étudie donc la philosophie et les langues, déterminé à faire carrière dans l’enseignement et à gagner ainsi sa vie tout en s’adonnant à l’écriture. Pendant ses études de lettres, à l’Université Laval, il écrit un roman, Vézine, qui sera publié en 1946. Toutefois, c’est en 1945, lorsqu’il explique dans sa thèse de doctorat l’influence de Voltaire au Canada, que Marcel Trudel obtient son premier grand succès. Il y fait montre d’un remarquable talent pour les études historiques qui lui vaut d’être nommé premier professeur d’histoire de l’Université Laval, en 1947. Là, il se penche d’abord sur l’époque du Régime anglais, mais il constate rapidement que la population québécoise connaît encore mal la période précédente de son histoire.

« Dans les années 40 et 50, explique Marcel Trudel, on enseignait une histoire enjolivée de l’époque de la Nouvelle-France, avec ses héros mythiques, Jacques Cartier, Champlain, Maisonneuve ou Jean Talon… » La réalité historique lui apparaît déformée par la vision idéaliste, nationaliste et dévote que présentent les historiens tels que le chanoine Groulx. Marcel Trudel, lui, veut tout connaître de la vraie Nouvelle-France : son histoire politique, militaire, mais surtout sociale. « Je voulais savoir comment les gens vivaient à cette époque, comment ils s’habillaient, ce qu’ils avaient dans leur assiette », raconte-t-il. Inlassablement, l’historien accumule une incroyable quantité de renseignements, fouillant sans relâche les moindres archives personnelles – alors que d’autres se contentent des grandes archives nationales –, les comptes des fabriques et les inventaires les plus divers, jusqu’à être certain qu’aucun document ne lui a échappé.

Sa manière de travailler, aussi minutieuse que rigoureuse, vaut à Marcel Trudel d’être à l’origine d’un véritable renouveau méthodologique, qui donne une orientation plus scientifique aux recherches historiques. Le recours systématique aux sources, leur critique argumentée, la confrontation des témoignages lui font découvrir une Nouvelle-France plus objective, qu’il racontera dans une œuvre colossale, encore inachevée 50 ans plus tard. De 1963 à 1997, Marcel Trudel publie les quatre premiers tomes de son Histoire de la Nouvelle-France, des vaines tentatives d’implantation (1524-1603) à la seigneurie de la Compagnie des Indes occidentales (1663-1674), pour lesquels il recevra plusieurs distinctions prestigieuses dont le Prix du Gouverneur général en 1967. L’historien a 82 ans lorsque paraît le dixième tome, consacré à la disparition de la Nouvelle-France (1759-1764), en 1999. Aux 612 pages de cet ouvrage, on doit ajouter les 434 pages de son livre Les écolières des Ursulines de Québec, paru la même année! Pendant son demi-siècle de carrière, celui que l’on surnomme parfois « Monsieur Nouvelle-France » a aussi écrit de multiples articles ainsi qu’une quarantaine d’autres ouvrages, tels Louis XVI, le Congrès américain et le Canada, avec lequel il obtient, pour la seconde fois, le prix David du gouvernement du Québec en 1951, ou Le terrier du Saint-Laurent en 1663, qui récolte en 1973 le prix Montcalm en France. L’ensemble de son œuvre est récompensée, notamment par le prix Molson du Conseil des arts du Canada en 1980 et par le prix Macdonald de la Société historique du Canada en 1984. Il est également chevalier de l’Ordre national du Québec, membre de l’Académie des lettres du Québec et officier de l’Ordre du Canada.

Cependant, les travaux de Marcel Trudel attirent aussi sur lui les foudres de ses contemporains, car la vérité qu’il découvre n’est pas toujours très flatteuse pour les héros nationaux. Champlain, montre-t-il par exemple, n’a pas traversé l’Atlantique pour évangéliser les sauvages et cultiver la terre, mais bien pour tirer profit du commerce des fourrures. Et il épousa une fillette de 12 ans… pour sa dot! On reproche souvent à Marcel Trudel de déterrer des sujets scabreux, alors qu’il ne fait que pratiquer le scepticisme méthodologique. En 1960, l’historien choque ses pairs en publiant un essai sur l’esclavage au Canada français, dans lequel il montre, entre autres, que certains évêques, dont Monseigneur de Saint-Vallier, ont à l’époque leurs propres esclaves. Un à un, il recense les 4 000 esclaves que compte alors la Nouvelle-France, sur une population de 60 000 habitants! Ces « révélations », ajoutées à sa nomination en 1962 comme président du Mouvement laïc de langue française à Québec, lui valent de nombreux ennuis. En 1965, las des querelles, il quitte l’Université Laval et l’Institut d’histoire et de géographie qu’il dirigeait depuis neuf ans pour l’Université Carleton, à Ottawa, puis rejoint l’Université d’Ottawa l’année suivante, où il enseigne l’histoire de la Nouvelle-France jusqu’à sa retraite en 1982.

Vulgarisateur et enseignant hors pair, Marcel Trudel forme au cours de sa carrière des dizaines d’étudiants dont plusieurs figurent aujourd’hui parmi les sommités de la recherche en histoire au Canada. Soucieux de rendre sa discipline accessible au plus grand nombre, il produit aussi des manuels et documents destinés aux jeunes, tels que l’Histoire du Canada par les textes, un classique. Issu d’un milieu modeste, il fonde la bourse Théodore-Baril – Mary-Trépanier en souvenir de ses parents adoptifs, pour aider chaque année un jeune de Saint-Narcisse de Champlain, son village natal, à poursuivre des études supérieures.

À 84 ans, malgré des problèmes de vue, l’historien n’abandonne pas la partie. Plus à l’aise à la tribune qu’en société, Marcel Trudel avoue prendre un plaisir fou à raconter sans relâche l’épopée de la Nouvelle-France lors des nombreuses conférences qu’il présente chaque année à l’Université des aînés depuis 1993. Et tous les matins à 9 heures précises, après sa gymnastique, il s’installe devant l’ordinateur, pour écrire inlassablement, grâce à un logiciel qui grossit les caractères à l’écran. Trois ouvrages sous presse, un autre en préparation, Marcel Trudel regrette que le temps lui fasse défaut pour compléter son examen méticuleux des 235 ans de la Nouvelle-France. Toutefois, l’infatigable historien n’a pas écrit son dernier mot…

Résumé de la carrière de Marcel Trudel

1945
Doctorat en lettres de l'Université Laval

1945 et 1951
Prix David du gouvernement du Québec

1960
Prix Léo-Pariseau de l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (ACFAS)

1961
Prix Casgrain de l'Université Laval

1963 et 1966
Prix des concours littéraires et scientifiques du Québec

1964
Médaille Tyrrell de la Société royale du Canada

1966
Prix Duvernay de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal

1967
Prix du Gouverneur général du Conseil des arts du Canada

1967
Médaille du centenaire du Gouverneur général

1976
Prix Montcalm du Syndicat des journalistes et écrivains de Paris

1980
Prix Molson du Conseil des arts du Canada

1984
Prix Macdonald de la Société historique du Canada

1988
Médaille des éditeurs de langue française du Syndicat national de l'édition

1989
Médaille de la Société historique de Montréal

1993
Prix Archange-Godbout de la Société généalogique canadienne- française

1996
Médaille de la Société d'histoire de Longueuil

2001
Prix Léon-Gérin

Information complémentaire

Date de remise :
20 novembre 2001

Jury :
Marie-Andrée Bertrand
Steve Ambler
Janet G. Donald
Simon Langlois
John R. Porter

Crédit photo :
  • Marc-André Grenier
Texte :
  • Valérie Borde