Jacques Languirand, lauréate

Naissance le 1 mai 1931 à Montréal, décès le 26 janvier 2018 à 

Entrevue

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Biographie

En apprenant qu’il recevait le prix Georges-Émile-Lapalme, Jacques Languirand a été « paralysé de la parole » pendant une demi-heure. « Je me demandais – je me demande toujours – si je suis digne de cet honneur-là. »

Comme la plupart des esprits curieux, ce grand communicateur est avant tout un lecteur. Se considérant comme un « scientifique frustré », il observe, analyse, compare, explore. Sa bibliothèque personnelle compte 10 000 ouvrages. « Je n’invente rien, je transmets », dit-il en citant Confucius. Sa capacité d’ingestion d’information est phénoménale. À la radio de la Société Radio-Canada , où il officie depuis plus de 34 ans, il n’hésite jamais à aborder des sujets « difficiles » comme l’altruisme, le cosmos, la spiritualité, les sciences occultes, le suicide, la mort. Les 73 000 auditeurs de l’émission Par quatre chemins le suivent parce que tout en les entraînant sur des sentiers ardus, il ne perd jamais de vue la beauté du monde. « J’essaie d’être utile, dit-il. C’est dans ces moments-là que je suis le plus heureux. » Pour ce père de famille, deux fois grand-père et professeur à la retraite – il a enseigné 12 ans au programme de communication de l’Université McGill -, la cause du français est indissociable de celle de la pensée. « Pour exprimer et ressentir ce que l’on est, il faut un vocabulaire et des mots précis. S’il n’y a pas la langue, il n’y a pas de réflexion. »

Bien qu’il soit surtout connu pour son travail au micro, Jacques Languirand est aussi un auteur prolifique. Depuis 1956, il a publié un roman, deux récits de voyage, un livre d’humour, 11 pièces de théâtre, quelques essais et plusieurs ouvrages de vulgarisation. Sa plus récente pièce, Faust et les Radicaux libres (1999), a remporté un prix spécial du jury au Concours international de théâtre de la Fondation Onassis à Athènes. Son éditeur, Alain Stanké, qui a réédité récemment une bonne partie de ses textes dramatiques1 le décrit comme le seul représentant dans ce pays du théâtre de l’absurde.

Pionnier du multimédia, notamment à Expo 67 où il fut concepteur-designer, Languirand a ouvert la voie à de nombreux créateurs de la génération technologique. À l’enseigne du théâtre, en plus de son travail d’écriture, il a été comédien, metteur en scène, professeur à l’École nationale de théâtre et secrétaire général de la Comédie canadienne et du Théâtre du Nouveau Monde. En 1967, dans le Vieux-Montréal, il a créé son propre centre culturel, ancêtre des Ex-Machina et autres temples de la multidisciplinarité. En 1993, à 62 ans, pour Robert Lepage, il a accepté d’interpréter pendant plusieurs mois, en tournée au Québec et en Europe, trois rôles dans le fabuleux Cycle Shakespeare du théâtre Repère. À Nottingham, en Angleterre, le Financial Times a salué sa prestation dans Coriolan en louant chez lui « un Menenius exceptionnel ».

Porte-parole pour le Québec du Jour de la Terre dont l’objectif est de sensibiliser le public à l’environnement, Languirand a été perçu tour à tour comme un personnage insolite (coïncidence ou non, sa première pièce s’intitulait Les Insolites ), un auteur d’avant-garde, un prophète de la contre-culture, un passeur, un rêveur. Concepteur du site Par quatre chemins ( www.radio-canada.ca/par4 ) qui, avec ses 8 500 pages et ses 600 heures de fichers audio, est l’un des sites Internet francophones les plus importants de la galaxie web, il aborde les idées et les tendances de son époque avec la même agilité depuis plus de 50 ans. « J’ai toujours eu ce besoin d’apprendre.»

Jacques Languirand est né à Montréal en 1931, enfant unique de Clément Languirand-Dandurand et de Marguerite Leblanc morte deux ans et demi après sa naissance. Malgré les attentions d’une belle-mère, d’une grand-mère et de deux tantes aimantes, il garde de son enfance un souvenir douloureux. Professeur à l’école primaire, son père est taciturne, colérique, excentrique… autoritaire. Dans la famille, on est aventurier (le grand-père s’est enrichi aux États-Unis), obstiné, farfelu et parfois rancunier. Ambitieux, Jacques tente de faire sa place dans cette exigeante lignée. Comme l’a déjà écrit son ami Hubert Aquin, « un Languirand est un objet rare, aux contours fauves, de forme bizarre, dont les parois sont couvertes d’hiéroglyphes et qui tient à la fois de la boîte à surprise et de la pile électrique ».

Il a 18 ans lorsqu’il part pour Paris en 1949. À titre de chroniqueur culturel à l’antenne de la RDF, la Radiodiffusion française, il interviewe les grandes personnalités de l’époque comme André Breton, Paul Claudel, André Malraux, Henri de Montherlant, Jean-Louis Barrault. Il se lie d’amitié avec Jean Cocteau, Laurent Terzieff, Léon Zitrone. Mais aussi avec Jacques Normand, Charles Aznavour et nombre d’expatriés québécois. Pendant plus d’un an, sur la rive gauche de la Seine, il partage un appartement avec le montréalais François Hertel, poète et ancien jésuite qui a servi de mentor à de nombreux intellectuels de la Révolution tranquille. À la RDF où ses interventions sont transmises sur ondes courtes jusqu’à Montréal, son patron se nomme Pierre Emmanuel. L’ancien résistant et homme de lettres qui sera reçu une vingtaine d’années plus tard à l’Académie française est le maître à penser du jeune Languirand. « Ma vie a été remplie de ces rencontres avec des gens souvent plus âgés que moi. Je ne me lassais jamais de les écouter. Si bien qu’à cette époque, je passais pour un type des plus silencieux. »

De retour à Montréal à la fin des années 50, il se retrouve devant les caméras de la télévision, à l’émission Carrefour, aux côtés de ces maîtres de la communication que sont René Lévesque et Judith Jasmin. Se considérant toujours comme en apprentissage, il parcourt le monde, se rend à Tahiti, aux États-Unis, au Mexique. Il participe sous surveillance scientifique à des expérimentations sur les drogues psychédéliques et plus spécifiquement sur le LSD. « En tant que créateur, écrit-il à cette époque, avec tout ce que cette définition comporte d’inconfortable, je cherche sans cesse, je ne suis jamais satisfait de ce que je trouve, et tous les matins je recommence. » Par la suite, il s’intéressera à la psychologie, fera de nombreuses conférences, entre autres sur le mal-être, les droits humains et la nutrition dont il deviendra peu ou prou un spécialiste. Inmanquablement, il livre son message de façon élégante avec des mots et une diction impeccable, bien français.

À la veille de recevoir ce prix, il éprouve le besoin d’évoquer tous ceux qui l’ont « formé, accompagné, instruit ». Au nombre de ces gardiens tutélaires, outre ceux que l’on a mentionnés plus haut, il cite ses femmes, ses professeurs à la petite école, « le frère Hilaire, la soeur unetelle ». Il tient également à rappeler l’action de la Société du bon parler français qui, du temps de sa jeunesse, multipliait les initiatives (« un mot nouveau » chaque jour dans les écoles) pour enrichir la pratique de la langue au quotidien. « À mon avis, on s’exprime mieux au Québec qu’autrefois. Si le français a réussi à survivre, c’est grâce aux communautés religieuses. »

Mais avant tout, il voudrait rendre hommage à Clément, « ce créateur – musicien-organiste-professeur – passionné de la langue française » qui, jusqu’à la fin de sa vie, l’a corrigé pour un mot ou une expression qu’il aurait pu employer dans un sens plus juste. Pendant longtemps Jacques Languirand en a voulu à son père pour ses critiques sévères. « Aujourd’hui, je regrette la réputation que je lui ai faite. Clément était assoiffé de culture. Il lisait sans arrêt, fouillait les dictionnaires, recopiant mots et citations, retenant tout, ne laissant rien échapper. À sa manière, il cherchait à transmettre son savoir. Il a eu raison. »

Jacques Languirand a été nommé chevalier de l’Ordre national du Québec en 2004. Il a également été fait officier de l’Ordre du Canada en 2003 et a reçu un doctorat honorifique de l’Université McGill en 2002.

1Presque tout Languirand, Stanké, Montréal, 2001, 892 pages.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
9 novembre 2004

Membres du jury :
Arlette Pilote (présidente)
Esther Croft
Françoise Guénette
Luc Ostiguy

Crédit photo :
  • Denis Chalifour
Texte :
  • Hélène de Billy