Micheline Beauchemin, lauréate

Naissance le 24 octobre 1929 à Longueuil, décès le 30 septembre 2009 à Grondines (Québec)

Entrevue

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Biographie

Alors qu’à la fin des années 1950 se préparait le projet de la salle Wilfrid-Pelletier à Montréal et que la firme du célèbre designer américain Raymond Loewy travaillait à la conception de ses espaces intérieurs, une jeune artiste du nom de Micheline Beauchemin rêvait d’y réaliser un jour un immense rideau de scène. Le caractère visionnaire et fonceur qui l’a toujours habitée l’entraînera jusqu’au Japon pour avoir accès à l’un des plus grands métiers du monde, et aux maîtres lissiers qui travaillaient alors à la restauration du Palais impérial. Aux yeux de ces artisans japonais, cette jeune femme a dû paraître fascinante. Or, Micheline Beauchemin est demeurée cette femme au charisme fou et à la détermination sans bornes.


C’est finalement au Centre national des arts d’Ottawa qu’elle réalisera son rêve, ce rêve d’un art magistral, intégré, vivant, inscrit dans le parcours public. L’immense rideau de scène sera bel et bien réalisé au Japon. Le résultat en sera somptueux. Nous sommes en 1967 et le Québec ne possède aucune tradition en la matière. Dès le début des années 1960, elle ouvre la voie à une exploration toute nouvelle de l’art public, un art intégré à l’architecture. Sur son parcours de création, Micheline Beauchemin ouvrira ainsi, et souvent, de multiples portes et on ne saurait omettre de signaler l’influence déterminante qu’elle aura sur ses contemporains et sur les générations à venir.


Forte d’une formation à l’École des beaux-arts et de voyages dans des pays dont elle aura su demeurer curieuse des traditions textiles ancestrales, elle exposera dès les premières années et de manière assidue. Elle travaillera aussi, au cours de ces premières années de recherche, à la télévision et au théâtre, collaborant notamment avec Claude Gauvreau. C’est à cette époque qu’il rédige sur elle et sa production, déjà empreinte de ludisme et de flamboyance, un texte qui passera à l’histoire. Il dira : « Ses béatitudes considérantes s’imprègnent de la ferveur d’une transfiguration vécue. » Et ailleurs : « La fête avec ses drapeaux de nacre déploie un épiderme cosmique aux pores de lait mordoré. » Dans ce texte d’une grande beauté, daté de 1966 et au sein duquel Micheline Beauchemin se reconnaît encore, Gauvreau témoigne de confidences, de discussions qu’ils ont eues ensemble. Et c’est avec étonnement que l’on constate que les rêves de ces années, les motivations premières de son art, sont demeurés les mêmes. À preuve, ce passage prémonitoire : « Elle dit […] que, finalement dans son oeuvre, ce qu’elle voudrait faire, c’est une seule chose qui soit éblouissante de lumière; qu’elle ne sait pas comment y parvenir, mais qu’elle voit un cristal et ses miroitements; qu’elle aspire à créer un objet qui soit la lumière même. »


La lumière fut et est encore aujourd’hui le matériau premier de Micheline Beauchemin. On pourrait croire que cet intérêt est survenu à la suite de ses voyages dans le cercle arctique ou de l’observation du fleuve, si présent dans son environnement quotidien. Or, dès les premiers travaux de broderie, dans les années 1950, travaux conservés dans le grand atelier de Grondines et encore tout près d’elle, on saisit cette soif d’iridescence, de miroitement, une blancheur de glace, de froid, mais aussi de saturation colorée. Au fil des ans, elle a cherché toujours plus avant les matières qui lui permettraient de trouver cette lumière : des fibres synthétiques, très tôt, notamment en 1967 pour une oeuvre intégrée au Théâtre Maisonneuve, mais aussi des fils d’acier, fils de plomb, fils d’argent ou d’aluminium, jusqu’à l’utilisation récente de la fibre optique. Les paysages du Grand Nord, où elle se rend en 1974 et 1975, donneront lieu à une production déterminée à rendre les effets de mirage de ces étendues désertiques. En sont issus une suite d’objets sculpturaux à structure métallique et se tenant de manière autonome dans l’espace. Puis l’observation du fleuve, chez elle, à Grondines, lui permettra de se nourrir encore de ces miroitements.


Cette lumière est devenue la matière même de son travail actuel et de sa recherche sur les possibilités de la fibre optique. De ses projets les plus récents, on pourra affirmer qu’ils se construisent de manière apparemment aléatoire, tels de grands gestes tourbillonnants et suspendus : tricotage de fibres lumineuses, chaos portés par une énergie envahissant l’espace, amas de lumière libre comme elle l’a souhaité dès l’origine de son aventure créatrice.


Le parcours de Micheline Beauchemin est ainsi celui d’une pionnière tant dans le domaine de l’art d’intégration que dans celui de l’art textile, ce champ d’exploration qui, malgré tant de transgressions, constitue son lieu d’origine. De son intérêt pour la fibre et les gestes minutieux liés au travail de broderie, de tissage et de crochetage, elle retiendra l’essentiel pour les porter à des dimensions monumentales. Et même dans les oeuvres les plus récentes, ce travail manuel, souvent collectif et rappelant des gestes ancestraux, demeure au coeur de son approche. Nouer, tisser, entrelacer les fibres est un travail toujours présent malgré l’audace et l’actualisation de l’approche textile à laquelle Micheline Beauchemin aura donné un nouveau souffle.


Si elle fut tout d’abord intéressée par un art mural, l’artiste explore la tridimensionnalité et les possibilités d’envahissement de l’espace dès les années 1970. Elle ouvre alors d’autres avenues non seulement dans le domaine de l’art textile, mais également dans le champ de l’art public jusqu’alors marqué par la production de sculpture au sol et l’art mural. Les années 1980 poursuivent cette lancée. Prenant souvent l’aspect de grandes voiles translucides ou de mobiles suspendus, les oeuvres de Micheline Beauchemin mettront dès lors en question toute possibilité de classification. Pluie de tiges d’aluminium ou rideau de cuivre tricoté et froissé, l’artiste propose une oeuvre ouverte, éclatée, constituée de mille gestes et écritures où la répétition, on le constatera d’emblée, tisse des liens évidents avec sa formation première. Les oeuvres environnementales de Micheline Beauchemin vibrent ainsi d’être pénétrées de lumière et activent le regard fasciné par tant de mouvance et de variations fertiles.


Micheline Beauchemin bénéficie d’une solide reconnaissance ici et à l’étranger, et cette ouverture sur le monde teinte tout son parcours. Les multiples commandes privées ou publiques l’ont amenée tant au Canada qu’au Japon, aux États-Unis, en Angleterre et en Italie. Ses oeuvres se retrouvent en outre dans de nombreuses collections dont celles du Musée national des beaux-arts du Québec, du Musée des beaux-arts de Montréal, du Musée d’art contemporain de Montréal, du Musée national des beaux-arts du Canada et de la Vancouver Art Gallery. Il est donc indiscutable que cette grande dame de notre histoire culturelle mérite aujourd’hui la distinction qui lui est accordée, le prix Paul-Émile-Borduas. Elle aura su aller bien au-delà des conventions de son médium et oser rêver, toujours plus intensément, d’une oeuvre de poésie et de beauté se vivant sur la place publique.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
8 novembre 2005

Membres du jury :
Chantal Boulanger (présidente)
Olivier Asselin
Marie-Jeanne Musiol
Roland Poulin
Richard Ste-Marie

Crédit photo :
  • Denis Chalifour
Crédit vidéo :
Production : ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale
Réalisation : Alain Drolet
Assistante à la réalisation : Geneviève Allard
Coordinatrice de production : Pascale Rousseau
Caméra et direction photo : Richard Tremblay
Caméra : Alain Drolet
Prise de son : Marcel Fraser
Montage : Daniel Labbé, ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale
Montage sonore : Réjean Gagnon, Studio Expression
Programmation DVD : Daniel Labbé, ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale
Compression numérique : Francis Laplante, IXmédia
Musique originale : Christine Boillat
Musiciens : André Bilodeau, Christine Boillat, David Champoux et Daniel Marcoux
Entrevue : Suzanne Laberge
Lieu du tournage : studio Jean-Pierre-Perreault, Office national du film (Montréal)
Remerciements : La direction de l’Office national du film
Texte :
  • Lisanne Nadeau