André Gaudreault, lauréate

Biographie

Le 16 août 1977, le jour même où Elvis Presley décède, le jeune passionné de cinéma André Gaudreault arrive aux États-Unis. Sa quête ne vise pas à rendre hommage au « King », mais plutôt à visionner deux copies d’un film de 1902, Life of an American Fireman, d’Edwin Porter. Le court métrage est alors l’objet d’opinions divergentes en Europe. Le Québécois en tirera une analyse qui lui ouvrira les portes de l’Université Sorbonne Nouvelle, à Paris, où il obtiendra son doctorat, entamant ainsi une carrière qui révolutionnera l’étude du septième art.

Professeur titulaire en études cinématographiques à l’Université de Montréal depuis 1991, et avant cela rattaché à l’Université Laval, André Gaudreault enseigne depuis plus de 40 ans. Il a écrit une vingtaine d’ouvrages, qui font figure de références dans le domaine de l’histoire et de la théorie liées au cinéma. Du littéraire au filmique : système du récit (préfacé par le grand philosophe français Paul Ricœur), publié en 1988 et réédité en 1999, a assuré sa réputation. Le chercheur a aussi signé plus de 120 chapitres de livres ou articles spécialisés.

C’est d’abord le cinéma des premiers temps, c’est-à-dire celui qui se trouvait sur les écrans entre 1890 et 1915, qui retient l’attention de ce pionnier. Il accomplit un travail d’archivage d’une grande valeur, qui le transforme en historien reconnu de cette période. Sa conception novatrice des productions de l’époque aura un effet majeur sur la manière dont l’histoire du grand écran et de la forme filmique est perçue. « Le cinéma des premiers temps n’est pas l’antichambre du cinéma classique, c’est un phénomène à part », répète-t-il. À ses yeux, ce ne sont pas les « vues » des frères Lumière qui ont muté pour donner lieu aux œuvres hollywoodiennes : c’est plutôt une forme nouvelle qui a émergé.

André Gaudreault a créé plusieurs concepts-clés qui permettent de saisir les liens entre la technique et l’esthétique du septième art, parmi lesquels figure la notion de « cinéma des attractions », élaborée en 1985 avec Tom Gunning, alors professeur à l’Université de Harvard. « L’attraction, c’est le choc visuel qui attire l’attention. Elle est aux antipodes de la narration, explique le professeur Gaudreault. Tout film se situe entre les deux pôles. » Le cinéma à ses débuts se révèle très « attractionnel », alors que les œuvres classiques s’attachent davantage à raconter une histoire. Selon lui, nous vivons aujourd’hui un retour à l’attraction, avec les formats courts, comme le prouvent toutes ces vidéos en ligne qui se résument à une série d’images saisissantes sur un thème étonnant.

Le spécialiste travaille à établir des ponts éclairants entre le passé et le présent. L’identité actuelle du cinéma n’est pas sans rappeler celle de ses débuts, la discipline traversant une révolution sous l’influence des nouvelles technologies et de la convergence des plates-formes. L’homme a tiré de ses observations sur cette métamorphose un ouvrage remarqué, La fin du cinéma? Un média en crise à l’ère du numérique (cosignée avec Philippe Marion, professeur à l’Université catholique de Louvain), en 2013. Sa réflexion porte tant sur le récit et la technique que sur le divertissement des auditoires. « Le numérique est le plus grand égalisateur des médias », dit-il au sujet de la culture médiatique actuelle.

André Gaudreault a contribué de manière exceptionnelle à l’émergence des études cinématographiques. « Avoir participé au développement d’un champ d’études inexistant au Québec et au Canada demeure la réalisation dont je suis le plus fier », confie celui que ses pairs, partout dans le monde, reconnaissent comme le fer de lance du domaine. Il a notamment été nommé l’an dernier chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres de la République française.

Le théoricien a aussi contribué à fonder de nombreux groupes de recherche qui réunissent des collaborateurs de partout sur la planète; l’association Domitor, qui joue un rôle déterminant dans l’étude du cinéma des premiers temps, est l’un de ces groupes. Actuellement, il dirige la section canadienne de Technès, un important partenariat international qui compte 50 chercheurs canadiens et étrangers, et qui regroupe 18 institutions prestigieuses, dont la Cinémathèque québécoise, l’Office national du film du Canada (ONF), la Fédération internationale des archives du film, le Georges Eastman Museum et la Cinémathèque française.

Ce partenariat, qui s’intéresse à l’évolution des technologies du cinéma, est à l’origine d’un projet cher à André Gaudreault : la création de l’Encyclopédie raisonnée des techniques du cinéma, qui sera une sorte de musée virtuel accessible à tous. « Ce site utilisera toutes les ressources du Web pour sauvegarder la mémoire des techniques cinématographiques, dont plusieurs sont en voie de disparition », explique le directeur du projet. L’Encyclopédie mettra à la disposition du public des documents audiovisuels d’époque, des démonstrations du fonctionnement d’appareils anciens et des entretiens avec des artisans du milieu. La première livraison de ce riche outil de connaissance est prévue pour 2019.

Au milieu de tout cela, ce conférencier prolifique continue de prendre part à nombre de colloques spécialisés avec une fougue et une générosité admirées de ses collègues. Et quand il ne creuse pas dans l’histoire du septième art, André Gaudreault mitonne de petits plats. « Je travaille comme un fou, mais jamais je ne lésinerais sur le temps que je consacre chaque soir à nourrir les miens », affirme-t-il. Si ses talents culinaires sont à la hauteur de ses réussites professionnelles, ses convives ont bien de la chance!

Information complémentaire

Membres du jury :
Isabelle Daunais (présidente)
Jorge Niosi
Claire Poitras
Marcel Fournier
Christian Poirier

Crédit photo :
  • © Joël Lehmann
Texte :
  • MESI