Aline Desjardins est indissociable de la Révolution tranquille. On retiendra son parcours exceptionnel, sur plus de 40 ans, à travers l’histoire des médias québécois et les répercussions qu’elle exercera sur l’émancipation des femmes en devenant le premier visage féminin à la barre de l’une des plus importantes émissions d’information à la Société Radio-Canada (SRC) : Femme d’aujourd’hui.
Originaire de Saint-Pascal-de-Kamouraska, elle est la benjamine d’une fratrie de 11 enfants. Il y a sa mère, dont la vie est rythmée par le patriarcat, la religion et les maternités, mais plus encore, dès ses 8 ans, de 1942 à 1946, il y a la voix de sa sœur Marcelle qui émane de cette boite étrange dans la cuisine : la radio!
L’importance de ces 2 modèles féminins sera fondatrice. Tout au long de sa vie, Aline Desjardins sera habitée par 2 feux intérieurs : l’égalité homme-femme et le journalisme.
« Il faut des modèles pour s’accrocher et nourrir ses aspirations. À Femme d’aujourd’hui, on présentait des femmes qui faisaient carrière en sociologie, en oncologie et même une monteuse chez Hydro-Québec! C’est important de ne pas se sentir limité dans ses choix », revendique-t-elle.
En juin 1956, diplôme de pédagogie en poche, elle devient la première femme annonceure à la radio de CKBM, à Montagny.
En 1957, à Sherbrooke, elle travaille pendant 6 ans à la radio et devant la caméra, à CHLT-TV. En 1962, elle est la première femme à remporter le trophée de la meilleure émission d’information.
En 1964, elle commence sa carrière à la SRC. Elle devient la première femme journaliste et annonceure à la nouvelle station de télévision régionale de Québec, CBVT.
De 1966 à 1979, elle est journaliste et animatrice à l’émission Femme d’aujourd’hui, l’œuvre maîtresse de sa carrière, où elle donne la pleine mesure de ses talents.
À partir de 1968, on la retrouve seule à la barre de la quotidienne qu’elle façonne à son image. Appuyée par une équipe de femmes recherchistes, elle innove en quittant l’univers des sujets traditionnellement genrés, jusqu’alors associés aux femmes.
Ainsi, elle brise des stéréotypes, comme : l’information n’intéresse pas les femmes; parler des femmes n’est pas digne d’intérêt; ou, pour être sérieuse, l’information doit être animée ou parrainée par un homme.
La décennie 1970 sera marquante. Aline Desjardins devient une tête d’affiche de l’information. Elle s’affirme en tant que féministe, incarne l’émission et devient à son tour un modèle. Le Montreal Star, à son sujet, titrait « The queen of French TV » (1970).
C’est une femme de carrière libre, célibataire, indépendante, distinguée, mais aussi accessible, joyeuse et inspirante. Malgré un horaire de diffusion atypique, en après-midi, les cotes d’écoute connaissent des pointes qui frôlent le million. Les femmes, majoritairement au foyer, sont captivées.
L’animatrice présente aux Québécoises, et au Canada français, les manifestations du Women’s Lib des États-Unis et de l’Angleterre (1971), les rencontres de l’Année internationale de la femme (1975), puis les réalités des femmes d’ailleurs : Japon, Mexique, Côte d’Ivoire, France, etc.
Le contenu est diversifié : société, culture, politique; et la visibilité des femmes priorisée. Aucun sujet n’est tabou : avortement, homosexualité, divorce, etc. Aline Desjardins milite pour l’avortement libre et gratuit!
Elle sera le liant entre les sujets, les reporters-pigistes et la vingtaine de réalisateurs en rotation chaque jour. Elle mène de front animation, entrevues, tables rondes, reportages ainsi que tournages en studio et sur le terrain.
Tout au long de sa carrière, elle cumule les premières historiques. À partir de 1986, elle investit un nouveau bastion masculin : l’environnement.
Elle est la première femme journaliste à animer occasionnellement La semaine verte. De 1987 à 1990, elle s’impose comme première femme à l’animation de l’émission radiophonique quotidienne culte D’un soleil à l’autre. Enfin, entre 1990 et 1995, elle devient la première femme journaliste à concevoir et à animer une émission sur l’horticulture, Des jardins d’aujourd’hui, qui sera diffusée sur TV5 dans 80 pays.
Grâce à son charisme, à son travail, à son humour et à son sens de l’écoute exceptionnel, la journaliste se démarque par la qualité de centaines d’entrevues menées auprès de sommités d’horizons variés.
Cette intellectuelle-vulgarisatrice donne de la crédibilité à tout ce qu’elle touche. Elle respecte l’intelligence de son auditoire et considère qu’une information de qualité est un catalyseur pour l’élévation des consciences.
Son amour pour la langue française, son érudition et son timbre légèrement voilé en ont fait l’une des voix féminines les plus légendaires de la SRC.
Féministe engagée et dévouée, elle porte la voix d’organismes qui se consacrent à la cause des femmes : Ligue des droits et libertés du Québec (1974-1976), Carrefour pour elle, à Longueuil (1987-2000), Les Femmeuses qu’étaient ces formidables expos destinées à financer des maisons d’hébergement (1987-2006), Vues et voix (1999-2013), etc.
Aline Desjardins fait partie de ces grandes journalistes féministes pionnières, qui ont marqué l’histoire du Québec en balisant des routes par lesquelles ont, par la suite, pu passer les générations de femmes qui l’ont suivie.
Lorsqu’elle jette un regard rétrospectif, la journaliste ne peut s’empêcher de dire :
« On n’a pas toujours cru que les femmes qui travaillaient à Femme d’aujourd’hui étaient de vraies journalistes, alors je suis ravie de voir que les temps ont changé! ».