André Parent pourrait presque passer pour un savant d’un autre
temps. La renommée, les honneurs ? Il ne court pas après,
même s’il les accepte de bonne grâce. Publier des centaines d’articles
scientifiques, participer à des congrès ? Nécessaire,
mais tellement prenant. Trouver des applications, des partenaires industriels ?
Il préfère laisser cela à d’autres. Depuis ses débuts,
il y a plus de 30 ans, André Parent aimerait pouvoir consacrer
chaque minute de son temps à une tâche unique : acquérir
de nouvelles connaissances sur le cerveau.
Lorsqu’on lui demande de raconter sa vie, André Parent évoque
rapidement une enfance sans histoire dans les quartiers ouvriers de l’est de
Montréal, puis la naissance inexpliquée d’une véritable
vocation pour la biologie et la physiologie humaine, qui le conduit sur les
bancs de l’Université de Montréal. Les cours d’anatomie comparée
du professeur Paul Pirlot l’impressionnent : la démarche qui consiste
à comparer différents animaux pour mieux comprendre l’évolution
d’une espèce à l’autre l’intéresse au plus haut point.
En 1967, il termine premier de sa promotion au baccalauréat. L’un
des chercheurs les plus renommés au monde en neurologie comparée,
le docteur Louis J. Poirier, lui ouvre grandes les portes de son laboratoire
de l’Université Laval, à Québec. Là, André Parent
se lance dans une tâche à laquelle il consacrera toute sa carrière
: comprendre le fonctionnement d’une partie clé du cerveau, les ganglions
de la base, qui contrôlent le comportement psychomoteur et le mouvement.
Sur ce sujet, le neurobiologiste est intarissable. Passionné et passionnant.
Pendant son doctorat, André Parent commence par mettre sur pied
une impressionnante collection de cerveaux appartenant aux espèces les
plus variées. Poissons, batraciens, oiseaux… le jeune chercheur
passe des heures à préparer des échantillons. Pour en faciliter
l’analyse, il invente une technique afin de visualiser les neurotransmetteurs,
ces substances chimiques qui permettent aux neurones de délivrer leurs
messages et de communiquer. Cette approche dite immunohistochimique est devenue
depuis une façon standard de comparer le système nerveux de différentes
espèces. Après ses études postdoctorales au célèbre
Institut Max Planck de Francfort, il est nommé professeur au Département
d’anatomie et de physiologie de la Faculté de médecine de l’Université
Laval, qu’il n’a pas quitté depuis. Très tôt, André Parent
multiplie les découvertes : il est le premier, par exemple, à
montrer que le cerveau des reptiles renferme de la substance noire, tout comme
celui des mammifères, ou que celui des amphibiens sécrète
de la sérotonine. Ses avancées changent peu à peu la conception
classique de l’évolution neurobiologique des espèces.
Cependant, le professeur n’a pas l’habitude de s’endormir sur ses lauriers.
Ses travaux en neurobiologie comparée lui permettent d’acquérir
une vision globale de l’évolution du cerveau. L’étape suivante
consistera à comprendre le fonctionnement des ganglions de la base chez
des espèces particulières, proches de l’être humain. La
tâche demande encore une fois patience et minutie. En l’espace de quelques
années, André Parent amasse d’innombrables données
sur des cerveaux de primates et de rats, dans le but de bâtir un modèle
cohérent du fonctionnement normal de ces organes. Il analyse aussi le
cerveau de singes atteints de la maladie de Parkinson, due à un déficit
concernant un neurotransmetteur, la dopamine. Sans tambour ni trompette, le
chercheur saisit peu à peu le fonctionnement neuronal extrêmement
complexe des ganglions de la base des primates. L’analyse très fondamentale
qu’il en présente a toutefois des retombées pratiques immédiates,
puisqu’elle remet en question le modèle qui guide alors les chirurgiens
à l’occasion d’interventions ayant pour objet de corriger des troubles
du mouvement.
Même s’il assure n’avoir rien planifié, la carrière d’André Parent
suit une logique implacable. Après le singe, vient l’humain. Depuis 1996,
le chercheur a mis sur pied une banque de 400 cerveaux provenant en bonne
partie de personnes atteintes de diverses maladies neurodégénératives.
L’origine des maladies d’Alzheimer, de Huntington ou de Parkinson se cache probablement
dans les ganglions de la base. Que se passe-t-il exactement lorsque ces maladies
se développent ? Dans quelle mesure les connaissances acquises chez
les primates sont-elles transférables au cerveau humain ? En cherchant
à répondre à ces questions, le professeur Parent met en
évidence plusieurs phénomènes jusque-là méconnus.
Il montre notamment que certaines parties du cerveau continuent de générer
de nouveaux neurones tout au long de la vie, contrairement à l’idée
reçue. Comment ? Pourquoi ? Voilà de quoi passionner
encore le chercheur pour de nombreuses années. Avec l’espoir qu’un jour,
une meilleure connaissance de ces phénomènes de neurogenèse
permettra de traiter les maladies neurodégénératives ou
certains troubles psychiatriques.
Malgré l’envergure de sa production scientifique, André Parent
n’hésite pas à consacrer plusieurs années à la rédaction
d’ouvrages de référence, un travail de moine délaissé
par bien des chercheurs de nos jours. Cela donnera lieu, notamment, à
deux ouvrages incontournables en matière de neurobiologie. Le premier,
Comparative Neurobiology of the Basal Ganglia, publié en 1986
par John Wiley & Sons à New York, lui demande deux ans de travail.
Le second, Human Neuroanatomy, est une nouvelle édition d’un traité
de plus de 1 000 pages, véritable bible dans ce domaine. Cinq ans
d’écriture quasi quotidienne. Avec ces livres, André Parent
prend alors le temps de s’arrêter, de faire le point, pour bien comprendre
et assimiler l’incroyable complexité du cerveau humain. Ce qui ne l’empêchera
pas de publier nombre d’articles scientifiques tout au long de sa carrière
et de recevoir plusieurs distinctions prestigieuses. Membre de la Société
royale du Canada depuis 1994, lauréat du prix Léo-Pariseau
de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences
(ACFAS) en mai 1995, de la bourse Killam du Conseil des arts du Canada
en 1997 et en 1998, il est aussi membre de plusieurs sociétés
savantes, de comités scientifiques et de comités de rédaction.
Toutefois, son bonheur, André Parent le trouve au laboratoire,
auprès de ses chers étudiants à qui il estime devoir sa
réussite. Parmi eux, l’un de ses fils, prêt à prendre la
relève. André Parent, déjà deux fois grand-père,
ne pense pourtant guère à la retraite. Son dernier dada ?
L’histoire des neurosciences, à laquelle il consacre déjà
ses vacances et qui fera probablement l’objet d’une nouvelle publication.