Pour Anik Bissonnette, la danse est non seulement un métier, mais « le plus beau métier du monde ». Quiconque a vu son corps gracile évoluer sur scène comprend ce qu’elle veut dire lorsqu’elle avance que « danser n’est pas qu’un art, c’est aussi une façon de vivre et de s’exprimer : une façon d’être bien ». Tout à la fois athlète et artiste de haut niveau, la danseuse a vu sa renommée grandir au fil des ans grâce à une maîtrise physique et intérieure qui a mystifié plus d’un créateur sur son parcours.
Formée au sein des Ballets Eddy Toussaint, elle amorce sa carrière professionnelle à l’âge de 17 ans et constituera avec le danseur Louis Robitaille un duo sublime qui marquera la mémoire collective. Nommée première danseuse au sein des Grands Ballets Canadiens un an après son arrivée dans la troupe en 1989, Anik Bissonnette y évoluera durant 18 ans avant de prendre, en 2007, une « retraite » des plus actives, après s’être illustrée, tant sur la scène nationale que sur la scène internationale, comme l’une des interprètes les plus talentueuses de sa génération. Si elle chérit avec autant de respect et d’admiration le répertoire classique, c’est qu’elle en connaît aujourd’hui les moindres facettes et sait la rigueur et l’abandon nécessaires au danseur pour en communiquer la profonde richesse. Initiée au ballet classique dès l’âge de 15 ans, elle y trouvera immédiatement un défi à sa mesure : « Donner vie à un chef-d’œuvre s’avère fascinant, mais constitue peut-être le plus difficile des engagements », croit celle pour qui la fidélité aux pièces des grands maîtres est cruciale, voire sacrée.
Aussi la conscience de l’histoire fait-elle partie intégrante, selon Anik Bissonnette, du métier de danseur. Anik Bissonnette a tenu les premiers rôles dans des ballets aussi réputés que Casse-Noisette, Les Sylphides, Giselle, Coppélia ou Le lac des cygnes, la danseuse a su offrir à un public exigeant et connaisseur le plus beau cadeau que puisse livrer une interprète de sa trempe : garder vivant un répertoire légendaire tout en insufflant, par sa grâce inouïe et son impressionnant phrasé corporel, vie et fraîcheur à des chorégraphies mille fois réinterprétées. Celle dont on a souvent souligné la présence à la fois douce et forte sur scène a donc appris à composer magnifiquement avec l’angoisse d’être sans cesse comparée aux interprètes les plus célébrées, pression qu’elle a su apprivoiser avec un indiscutable brio.
Et si elle est arrivée à porter à la scène avec autant d’aisance et de personnalité certains des rôles mythiques qu’offrent les ballets du répertoire classique ainsi que de nombreuses créations contemporaines, c’est également parce qu‘Anik Bissonnette croit plus que tout au travail du temps et à la maturité artistique. Tandis que plusieurs danseurs interrompent désormais leur carrière dans la jeune trentaine, l’étoile québécoise n’a tiré sa révérence qu’à l’âge de 46 ans, une décennie après avoir connu les joies de la maternité. « En début de carrière, le danseur est très concentré sur lui-même et doit s’ajuster à une discipline de fer, remarque la danseuse. Ce n’est qu’en persévérant que l’on trouve cet équilibre si fragile qui nous permet de nous ouvrir au monde extérieur tout en demeurant intensément concentré sur le travail. En devenant mère, avance Anik Bissonnette, je suis persuadée d’être devenue une meilleure danseuse. »
Une certitude qui s’est vue confirmée par tout le milieu de la danse et celui des arts en général, qui unirent sans relâche leurs voix pour célébrer la virtuosité de celle dont Gilles Vigneault évoquait en ces mots la délicatesse : « Sa grâce sans artifices et la pureté de sa gestuelle ont sculpté l’espace des dernières décennies. » Et si Anik Bissonnette recherche sans cesse la perfection pour la mettre au service de l’œuvre qu’elle défend, elle a toujours fait montre de la même déférence envers les autres, sa diplomatie naturelle et son vif talent de communicatrice l’amenant à entretenir avec tous ses collègues des relations fécondes, de profondes alchimies.
Reconnue partout dans le monde, unanimement saluée par la critique, Anik Bissonnette a dansé pour plusieurs chorégraphes de renom et s’est jointe à de prestigieuses compagnies. En 1985, elle se voit décerner le titre de meilleure interprète à l’Internationale de danse Porsche du Canada, honneur qui dirige sur elle d’importants projecteurs, attirant l’attention de nombreux chorégraphes et directeurs artistiques à l’échelle mondiale : dès lors, elle partagera la scène avec les danseurs les plus acclamés, et ce, en Italie, en Australie, en Grèce, en Ukraine, en France et aux États-Unis.
Si elle ressort grandie de ses collaborations avec des géants de la création, tels George Balanchine, William Forsythe, Jiri Kylian, Ohad Naharin, Nacho Duato et James Kudelka qui a créé pour elle nombre de rôles sur mesure, la danseuse est toujours restée fidèle à ses racines et défend avec une intégrité que tous ses collaborateurs disent sans faille la cause de la danse. Que ce soit à titre de présidente du Regroupement québécois de la danse (RQD) ou comme directrice artistique du Festival des Arts de Saint-Sauveur, Anik Bissonnette déploie depuis plusieurs années déjà une énergie colossale afin de contribuer à la reconnaissance de la danse, qu’elle voit comme un art de création autant que de perfection. Mue par un désir sans cesse renouvelé de redonner au milieu qui l’a mise au monde une part de son dynamisme, Anik Bissonnette s’active sans relâche et défend sa discipline sur toutes les tribunes.
Celle qui fut au service des chorégraphes durant près de trente ans entend maintenant défendre l’épanouissement d’une discipline qui s’avère selon elle le plus complet des modes d’expression. « La danse n’est pas simplement la danse, souligne-t-elle, enflammée. C’est aussi la musique, le théâtre; le danseur est un artiste et un athlète, ce qui lui demande un engagement à la fois mental et physique, en plus d’une capacité d’analyse et de réflexion aiguë. » Constamment à l’affût de brillantes astuces qui permettront à la danse de joindre un plus large public, Anik Bissonnette continue de mettre en œuvre sa rigueur et son dévouement légendaires afin de toucher jeunes et moins jeunes, faisant irradier sa passion jusque dans les milieux les plus défavorisés de Montréal. Ainsi a-t-elle mis sur pied pour le Fonds Casse-Noisette pour enfants des Grands Ballets Canadiens de Montréal, des ateliers permettant aux jeunes moins fortunés de connaître les plaisirs de la danse, et peut-être d’y aspirer, eux aussi.
Anik Bissonnette est décrite par ses pairs comme une femme humble et généreuse, loyale et déterminée, et tous ceux qui ont eu la chance de la côtoyer s’entendent pour dire qu’elle a su donner au métier d’interprète ses lettres de noblesse, emportant à ses côtés, dans le firmament des étoiles de la danse, un art pour lequel elle conserve une passion pure et le plus profond respect. Cet engagement et cette quête de l’excellence, mis au service de son art, lui ont valu divers prix et honneurs dont le titre d’officier de l’Ordre du Canada en 1995, celui de chevalier de l’Ordre du Québec en 1996 et le Prix du public au Gala du Ballet de Budapest en 2005 et en 2007.
En lui décernant le prix Denise-Pelletier, la société québécoise reconnaît le talent d’une interprète d’exception doublée d’une femme engagée dont la mission essentielle, faire apprécier la danse à sa juste mesure, a déjà touché de manière indélébile un public qui lui est devenu fidèle, au Québec comme à l’étranger.