Les recherches et les initiatives de Benoît Lévesque ont contribué à la définition de nouvelles notions scientifiques en innovation sociale et en économie sociale. Cet homme d’esprit, de cœur et d’action est grandement apprécié, voire admiré, de la communauté des sciences sociales, non seulement pour son travail, mais aussi pour son dynamisme intellectuel exceptionnel, sa passion communicative, sa capacité à rassembler et sa volonté de partager ses connaissances.
Curieux et déterminé de nature, le lauréat du prix Marie-Andrée-Bertrand a toujours souhaité faire des hautes études pour approfondir ses connaissances et élargir ses horizons. Dès l’école primaire, il développe son autonomie et sa créativité : « C’est là que j’ai pris goût aux études et que j’ai compris que c’était par l’éducation qu’on pouvait améliorer son sort et aider les autres », souligne le lauréat.
Quand innovation rime avec changements sociaux
M. Lévesque obtient d’abord un baccalauréat ès arts à l’Université Laval, un second en théologie à l’Université de Montréal, puis une maîtrise en sciences humaines des religions à l’Université de Sherbrooke. À cette période, les films sociaux du cinéaste québécois Fernand Dansereau et le livre L’utopie du philosophe Thomas More, publié en 1516, le captivent. Ces œuvres le poussent d’ailleurs à étudier la sociologie pour mieux comprendre la société des années 60 et les bouleversements générés par la Révolution tranquille. En 1974, il décroche un doctorat en sociologie à l’École pratique des hautes études de l’Université Paris Descartes.
La collaboration avec son directeur de thèse, le sociologue Henri Desroche, qui a réinventé l’économie sociale en France, constitue la pierre angulaire de sa carrière. Ainsi, lorsque le concept d’innovation sociale prend son envol au début des années 80, Benoît Lévesque est le premier chercheur québécois avec son collègue Paul R. Bélanger, aujourd’hui décédé, à proposer une définition, une problématique et une programmation de recherche qui relie l’innovation aux transformations sociales.
En 1986, il cofonde la première organisation spécialisée dans l’étude de l’innovation sociale au Canada, le Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), qui sera sous sa direction jusqu’en 2002. Le scientifique sera aussi à l’origine des trois axes qui structurent alors la programmation de cet organisme : le travail et l’emploi, les conditions de vie et le développement territorial. Si le centre bénéficie aujourd’hui d’une renommée internationale, c’est en grande partie grâce à M. Lévesque. En associant innovation et transformation sociale, il l’a doté d’une caractéristique qui le distingue des autres centres spécialisés en innovation dans le monde.
Ses recherches en innovation sociale ont été pour lui l’occasion de préciser un nouveau cadre théorique pour l’étude de ce concept et de proposer un schéma original pour représenter le système québécois de l’innovation sociale. Le chercheur a joué un rôle capital dans la mise en œuvre et le développement de meilleures pratiques dans ce domaine au bénéfice de la société québécoise. Par exemple, il a contribué à l’essor et à la consolidation de plusieurs grappes d’innovation, notamment celles concernant la gouvernance collaborative et la finance socialement responsable, y compris les fonds de travailleurs.
Tout au long de sa carrière, Benoît Lévesque a produit un nombre impressionnant de publications, soit 480. En particulier, son ouvrage sur la nouvelle sociologie économique est devenu ici et à l’étranger une référence incontournable dans le domaine. Rédigé en collaboration avec deux de ses étudiants au doctorat, La nouvelle sociologie économique. Originalité et tendances nouvelles (2001) propose un cadre théorique original qui s’appuie sur les nouveaux mouvements sociaux et sur la théorie de la régulation pour rendre compte des formes institutionnelles ainsi que sur les théories de l’organisation pour les formes organisationnelles (modes de gestion).
Le « pape » de l’économie sociale
Si l’économie sociale québécoise est l’une des plus développées au monde, c’est grâce entre autres aux travaux de Benoît Lévesque et de ses collègues. L’approche québécoise sert maintenant d’exemple pour des organismes comme l’Organisation internationale du travail et le Programme des Nations Unies pour le développement.
M. Lévesque a été l’un des principaux théoriciens de l’économie sociale au Québec et le premier à introduire ce terme dans la recherche et divers regroupements québécois. Au début des années 90, en collaboration avec Marie-Claire Malo, aujourd’hui professeure honoraire à HEC Montréal, il propose un premier ouvrage faisant l’inventaire de ce que pouvait représenter l’économie sociale au Québec. Cette publication, largement diffusée, a été traduite en espagnol, en anglais, en allemand et en japonais.
Entre 1996 et 2000, il a contribué par des analyses approfondies, à la reconnaissance du Chantier de l’économie sociale, permettant ainsi à ce réseau de se donner des orientations stratégiques présentant l’économie sociale comme un acteur à part entière du développement économique.
Le professeur publie aussi une trentaine de textes en collaboration avec Marguerite Mendell, notamment dans le domaine de l’économie sociale et de la finance solidaire. En 2000, avec la directrice du Chantier de l’économie sociale, Nancy Neamtan, il cofonde et codirige l’Alliances de recherche universités-communautés en économie sociale, qui a permis à l’économie sociale de bénéficier d’un partenariat de recherche pendant dix ans et qui se poursuit maintenant sous d’autres formes auxquelles le scientifique continue d’être associé.
Un homme engagé
L’homme de sciences est également un citoyen engagé qui s’intéresse aux débats et aux bouleversements économiques de la société, comme en témoigne notamment sa participation aux mouvements coopératif, communautaire et syndical. En 2001, il intervient, en collaboration avec le Chantier de l’économie sociale, en faveur de l’inclusion de l’innovation sociale dans la politique québécoise de la science et de l’innovation. Cette politique mènera au financement de l’innovation sociale et à la reconnaissance, au sein du système d’innovation québécois, de nouveaux organismes de liaison et de transfert en innovation sociale. Aujourd’hui, le Québec compte neuf organismes en innovation sociale voués au transfert des résultats de recherche dans la société, dont un issu du CRISES et du Chantier de l’économie sociale, soit Territoires innovants en économie sociale et solidaire.
En 2012, M. Lévesque prend position publiquement avec Claude Béland, ancien président du Mouvement Desjardins, au sujet de la loi-cadre en économie sociale, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale l’année suivante. Le Plan d’action gouvernemental en économie sociale 2015-2020 découle de cette loi.
Plus récemment, ce passionné a aussi contribué de façon substantielle à la culture philanthropique québécoise et canadienne en créant un schéma des flux philanthropiques qui illustre les interactions entre les donateurs, les fondations, les organismes sans but lucratif et les bénéficiaires, et qui tient compte de l’environnement que constituent l’économie de marché et le rôle de l’État. Cet outil a été d’ailleurs le point central des échanges des Sommets 2013 et 2015 sur la culture philanthropique, organisés par l’Institut Mallet.
Un parcours parsemé de succès
Par ses recherches sur les innovations sociales, l’économie sociale et l’économie publique, réalisées dans la perspective de la sociologie économique, Benoît Lévesque, ses collègues du CRISES et leurs partenaires ont non seulement réussi à mettre en lumière les principales caractéristiques du modèle québécois, mais ont largement contribué à le transformer et à le faire connaître dans le monde. Ainsi, en 2002, il est devenu le premier Canadien à être nommé président du conseil scientifique du CIRIEC International, qui réunit des dirigeants de grandes entreprises collectives et des chercheurs universitaires d’une quinzaine de pays.
À ce parcours s’ajoutent plusieurs prix et récompenses, pour lesquels le chercheur reste humble. Ce qui le rend le plus fier, c’est l’appréciation de ses pairs, dont celle de Michel Blondin : « Je veux souligner particulièrement le soutien et l’intérêt de Benoît Lévesque, un gars extraordinaire, un de nos plus grands savants au Québec dans le domaine des sciences sociales », évoque ce pionnier de l’animation sociale dans son dernier ouvrage.
Retraité depuis onze ans, M. Lévesque est actuellement professeur émérite à l’Université du Québec à Montréal et professeur associé à l’École nationale d’administration publique. Il continue de s’impliquer dans la culture philanthropique québécoise et d’inspirer une nouvelle génération de chercheurs en économie sociale et en innovation sociale.