« Merci pour votre confiance, pour votre fidélité, que nous avons voulu honorer en retour par le souci de présenter une information qui soit respectueuse de votre intelligence, une information qui a un sens. »
C’est sur ces mots que Bernard Derome signe son dernier Téléjournal en décembre 2008, après 33 ans comme chef d’antenne de cette émission phare de la Société Radio-Canada (SRC). Lui qui en avait pris la barre au tout jeune âge de 26 ans, en pleine crise d’Octobre.
« J’étais presque encore en culottes courtes. À l’époque, je ne sais pas si j’étais tout à fait conscient. J’espère que mes patrons l’étaient, eux, parce qu’ils prenaient tout un risque, à mon avis. […] La crise d’Octobre, c’était du jamais vu chez nous. »
Or, les patrons remportent leur pari. Bernard Derome devient le témoin privilégié et la figure familière des événements charnières du Québec moderne, tout en se faisant l’artisan d’innovations marquantes en matière d’information télévisée. Ainsi, il inspire quelques générations de journalistes.
Un regard dans le rétroviseur nous ramène en 1963, alors que Bernard Derome intègre le service de l’information de la station CJBR de Rimouski, considéré comme le grand poste-école de la SRC. Après un court passage à la SRC d’Ottawa en 1965, il joint l’équipe montréalaise des émissions nationales Présent et Aujourd’hui. Au contact de ses mentors Michèle Tisseyre, Wilfrid Lemoyne et – un peu avant – Miville Couture, il apprend son métier.
Le Québec se libère alors de l’atmosphère oppressante du duplessisme. Aujourd’hui devient donc la première émission où des élus du gouvernement formé par Jean Lesage rendent compte publiquement de leur gouvernance.
« Un vent de fraîcheur s’amenait. Autant on inventait et bâtissait la télévision, autant on inventait et bâtissait un État du Québec qui pouvait servir les francophones. Plusieurs jalons – l’éducation, la culture, la Caisse de dépôt et placement, etc. – ont alors marqué le Québec et continuent de le marquer. C’était une période fébrile. »
Avec une petite poignée de journalistes, Bernard Derome fait œuvre de pionnier. Soir après soir, ses bulletins de nouvelles explorent et font vivre à un auditoire vaste et varié la profondeur et la complexité de l’humanité. Le présentateur érudit trouve un plaisir évident à partager le fruit de son travail avec le public afin de l’amener à mieux saisir notre réalité et la portée des événements dans les coins chauds du monde.
À présent, on parle du style Derome caractérisé par un propos réfléchi et livré sur un ton juste, posé et accessible. Si l’on associe spontanément objectivité et journalisme, l’homme de média préfère parler d’honnêteté. « Comme disait un professeur de philo : « L’objectivité est une illusion nécessaire. » Je crois que la réelle limite du pouvoir de l’information demeure l’honnêteté. »
N’empêche, après avoir animé trois soirées de référendums et plus d’une vingtaine d’élections fédérales et provinciales, il aura su conserver ce sourire objectif, ni trop à gauche ni trop à droite, au moment d’annoncer le parti gagnant. « Certains m’ont dit : tu votes de tel côté. D’autres : tu votes de l’autre bord. Cela a bien fait mon affaire. »
Depuis 2008, le journaliste sait se renouveler, notamment en mettant en place et en animant les séries documentaires Le show-business québécois : du big bang à aujourd’hui, Les années Derome, Mon Dieu, Les grands moyens, Crise d’identité et, enfin, Identité dans la diversité. Puis il apparaît même là où le public ne l’attend pas. Ainsi, l’homme au français rigoureux et à la voix reconnaissable entre mille campe ce rôle improbable du narrateur de Série noire, une série à l’humour débridé diffusée à la SRC. « C’est un scénario éclaté et intelligent. Et j’ai toujours défendu une télé intelligente. … Mais à certains moments, je me demandais si j’allais passer à travers ce que j’avais à lire. »
Aujourd’hui, la solide réputation de Bernard Derome repose sur des valeurs bien senties : la rigueur, la ténacité, l’intégrité et le respect de la langue. Il se dit fier d’avoir remporté des batailles liées à la crédibilité du journalisme, en particulier celle qui veut que les personnes associées au service de l’information ne prêtent plus leur image et leur voix à la publicité. « La crédibilité est ce qu’il y a de plus important à établir. Et une fois que l’on croit l’avoir acquise, il s’agit de la maintenir et la cultiver. C’est encore plus difficile. »
En quelque cinquante ans de carrière, Bernard Derome aura bâti une crédibilité aussi profonde que son influence. Car il aura largement contribué à l’émancipation intellectuelle, citoyenne et culturelle de la société québécoise.