Bertrand Routy, lauréate

Bertrand Routy, prix Relève scientifique 2022

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Biographie

Certains scientifiques nomment des astéroïdes. Bertrand Routy, lui, baptise des bactéries intestinales! Au début 2022, ce jeune médecin, chercheur au Centre de recherche du CHUM et professeur en hémato-oncologie à l’Université de Montréal a présenté au monde Alistipes montrealensis, en hommage à la métropole où il mène ses travaux. « Maintenant, je me demande bien comment appeler les trois autres bactéries que mon équipe vient d’isoler », plaisante-t-il.

Malgré sa taille microscopique, Alistipes incarne des expériences d’une grande portée. Si Bertrand Routy s’y intéresse, c’est que les bactéries de nos intestins peuvent révéler – voire augmenter – nos chances de succès si nous devons être soignés par immunothérapie pour un cancer. Ce qui laisse entrevoir une percée en oncologie.

Dans ce combat contre la maladie, le Dr Routy occupe la ligne de front. Il essuie des railleries sans fin quand il entame ses recherches doctorales, en 2015. Analyser les selles de personnes atteintes de cancer? « Répugnant! », protestent les médecins. Trois ans plus tard, la notion s’impose jusqu’à modifier les pratiques cliniques et susciter un reportage dans Nature. Aujourd’hui, l’audacieux investigateur, âgé de 38 ans, est considéré comme une étoile montante dans son domaine. Ses 85 articles recueillent plus de 12 000 citations, et de grandes conférences internationales s’attardent maintenant au microbiome, la flore bactérienne qui vit en nous. « En peu de temps, cette idée choquante est devenue à la mode, se réjouit le lauréat du prix Relève scientifique 2022. Toutes les compagnies pharmaceutiques collectent le microbiome dans leurs études. »

Une arme anticancer

Au Québec, la moitié des personnes atteintes de cancer sont soignées par immunothérapie. Cette cure incite le corps à activer ses propres cellules immunitaires pour attaquer la tumeur. Le jargon médical parle « d’inhibiteurs de point de contrôle ». « C’est la plus belle invention en oncologie depuis la chimiothérapie, il y a 50 ans, précise le médecin. Mais l’efficacité de cette dernière plafonne. Je cherche à améliorer ce traitement. »

Né à Aix-en-Provence et arrivé au Québec à 7 ans, le jeune Bertrand grandit dans une famille éprise de savoir : papa est spécialiste du VIH, maman éditrice chez Gallimard. Il fait sa médecine à l’Université de Montréal et à McGill. En effectuant une spécialité en hématologie à Toronto, il se passionne pour le laboratoire. Il entreprend alors un doctorat en immuno-oncologie au centre Gustave-Roussy, à Paris, auprès de la Dre Laurence Zitvogel.

Mentoré par l’éminente professeure, il cible un sujet à fort potentiel d’innovation. En 2015, il cosigne dans Science un article prouvant que le microbiote intestinal module la réponse immunitaire et peut prédire l’efficacité de l’immunothérapie. Cette découverte est citée dans la plus récente édition de Hallmarks of Cancer (« Caractéristiques du cancer »), célèbre ouvrage sur la biologie de ce fléau.

Un labo pour le microbiome

En 2018, Bertrand Routy établit son laboratoire au Centre de recherche du CHUM. Il démontre que la prise d’antibiotiques avant un traitement par immunothérapie, en affaiblissant le microbiote, précipite le décès des patients atteints du cancer. Ce résultat est confirmé à la fin de 2021 par une analyse de 12 000 cas publiée dans Cancer Discovery. Les médecins s’abstiennent désormais de prescrire des antibiotiques dans ce contexte.

Avec son équipe de 12 personnes, le scientifique poursuit de grands projets. Un équipement sophistiqué lui permet d’identifier des bactéries du tube digestif, dont la moitié sont toujours inconnues. Il participe aussi à l’étude internationale Oncobiome, qui vise à établir une signature microbienne prédisant la réponse à l’immunothérapie. Il a déjà prouvé, par exemple, que la présence d’Akkermansia muciniphila est de bon augure.

Plus excitant encore : on pourrait aider une personne à combattre la maladie en modifiant son microbiome. Une hypothèse qu’il commence à tester auprès de volontaires du CHUM. « Les premiers résultats sont extraordinaires », assure-t-il.

Des bactéries qui soignent?

Des cures novatrices pourraient donc voir le jour. Parmi elles figure la greffe fécale, une pilule (inodore et sans saveur…) qui se dissout dans le petit intestin. Le procédé semble efficace et peu toxique; reste à vérifier si le transfert de bactéries d’un donneur à un receveur peut causer des problèmes de compatibilité. Autres options : des capsules de probiotiques, qui favorisent les micro-organismes bénéfiques, ou de prébiotiques, molécules chimiques qui modulent le microbiome.

Adepte de triathlon, l’infatigable découvreur espère célébrer ses 40 ans par une course Ironman. Mais l’essentiel de son énergie sera toujours employé à mener des expériences, à transmettre son savoir aux malades et à solliciter des subventions. « La recherche, on ne fait pas ça pour les prix, mais pour les patients. Quand mon réveil sonne à 5 h 45 le matin, c’est à eux que je pense », confie l’homme, papa de deux garçons.

Le « parrain » d’Alistipes montrealensis n’en est donc pas à sa dernière découverte. « Être vu comme une étoile en science, c’est encourageant, conclut le Dr Routy. Mais sans travail acharné, on devient vite une étoile filante. Il y a du boulot qui m’attend! »

Résumé de la carrière de Bertrand Routy

Jeune chercheur en médecine à l’Université de Montréal, Bertrand Routy révolutionne le domaine de l’immuno-oncologie. Dès son doctorat, il réalise que les microorganismes de l’intestin peuvent prédire le succès de certains types d’immunothérapie contre certains cancers. Cette découverte inattendue bonifie rapidement les soins aux personnes atteintes. L’étude du microbiote permet d’anticiper l’efficacité d’un traitement, mais aussi de l’améliorer, notamment par l’ingestion de probiotiques. Le Dr Routy ouvre ainsi de nouvelles avenues pour combattre le cancer et d’autres maladies.

Information complémentaire

Membres du jury :

  • Valérie Langlois (présidente)
  • Gilles Savard
  • Maud-Christine Chouinard
  • Jean-François Lemay
  • Audrey H. Moores
Crédit photo :
  • Éric Labonté