Camil Bouchard, lauréate

Psychologue

Naissance le 27 octobre 1945 à La Tuque, décès le à 

Biographie

Camil Bouchard, lauréat du prix Marie-Andrée-Bertrand 2014, construit depuis quarante ans une œuvre scientifique novatrice et diversifiée autour de l’écologie du développement humain, un concept qu’il a su vulgariser et qui a fait école ici et ailleurs dans le monde. « Les dérapages des relations parents-enfants m’ont mobilisé très tôt dans ma carrière, et la nécessité de regarder l’ensemble des causes qui les alimentent a changé mon regard pour de bon », affirme l’homme politique et psychologue québécois. Rapidement, l’idée d’une lutte à la pauvreté, orchestrée par l’ensemble des acteurs sociaux et qui passerait par le mieux-être des tout-petits, est devenue son cheval de bataille.

Trois éléments résument la trajectoire scientifique de Camil Bouchard : la nouveauté des analyses proposées, les initiatives percutantes et originales mises en œuvre et un profond engagement envers sa société. L’auteur du célèbre rapport Un Québec fou de ses enfants, paru en 1991, a marqué le cours des politiques sociales et a contribué à faire du Québec l’un des États les plus progressistes au monde en matière de politiques pour les familles.

L’homme est doté d’un caractère d’entrepreneur social et politique doublé d’une grande capacité de mobilisation et de communication, ce qui lui a permis de rayonner aussi bien dans des milieux universitaires que politiques et communautaires, tout en se faisant connaître du grand public.

« Je viens d’un milieu populaire. Mon père était journalier dans les pâtes et papier et, malgré sa timidité, il s’est engagé comme bénévole dans sa caisse populaire et dans sa coop alimentaire. Mes grands-pères étaient entrepreneurs, l’un ferblantier de chantier, l’autre horloger-bijoutier… Il y a beaucoup d’eux en moi j’imagine », raconte-t-il. À treize ans, il s’improvise cireur de chaussures et embauche son cousin les jours d’affluence. À vingt ans, il fonde une boîte à chansons et donne des récitals en interprétant entre autres des œuvres de Léveillé, de Vigneault, de Ferland et de Nougaro. « J’avais un répertoire de 18 chansons et quatre autres pour les rappels. D’ailleurs je les faisais toutes, que le public en redemande ou pas! »

Dans sa famille, la valeur suprême est l’éducation, laquelle est réputée pour ouvrir toutes les portes. En 1970, il obtient sa maîtrise en psychologie expérimentale à l’Université Laval. « J’ai ensuite décroché une bourse pour faire un doctorat. J’ai décidé d’aller à l’étranger, j’ai choisi McGill ! », dit-il en rigolant. Il y obtient son doctorat en psychologie en 1974. C’est donc à Montréal que Camil Bouchard trouve sa voie et prend son envol.

M. Bouchard devient professeur et chercheur au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), où il travaillera de 1975 à 2010. Co-fondateur de la section communautaire du Département de psychologie de l’UQAM, il en devient le responsable de 2001 à 2002. Il est également  directeur de l’Alliance de recherche pour le développement des enfants dans leur communauté de 2001 à 2003.

Travailler au mieux-être des tout-petits

En 1979, peu après son embauche à l’UQAM, il fonde, avec des collègues, le Laboratoire de recherche en écologie humaine et sociale, qu’il dirige en poursuivant des recherches sur l’écologie des relations entre parents et enfants. Pendant des années, ses travaux porteront plus précisément sur les milieux vulnérables et l’incidence des mauvais traitements envers les enfants. Ses recherches, menées avec des étudiantes et étudiants au doctorat, démontreront quant à elles les effets désastreux « de la défavorisation économique et sociale » sur les relations familiales.

En 1990 et 1991, il préside, à la demande du ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque, le Groupe de travail pour les jeunes, et publie à ce titre le rapport Un Québec fou de ses enfants, proposant 53 recommandations pour prévenir la détresse et les problèmes d’adaptation sévère chez les enfants et les jeunes. Le regard de ce rapport jeté sur la société et l’analyse des contextes dans lesquels évoluent les enfants et leur famille ont constitué, et constituent encore, une référence dans la prise de décision en matière de prévention, de politiques sociales et de services. À la suite de ce rapport, le gouvernement du Québec mettra en place un système national et universel de services de garde à contribution parentale réduite, et ce, afin d’améliorer l’accessibilité au marché du travail pour les mères et d’offrir des environnements bienveillants et stimulants capables de contribuer au développement de tous les jeunes enfants. Dans la foulée de ce rapport, le professeur Bouchard agira également, de 1992 à 2003, à titre de responsable scientifique du Groupe de recherche et d’action sur la victimisation des enfants.

Au cours de cette même période, il participe à l’implantation et à l’évaluation scientifique du programme communautaire de prévention primaire 1, 2, 3 Go! Pour un bon départ dans la vie, un projet pilote mis sur pied en collaboration avec Centraide du Grand Montréal et de nombreux partenaires.

Puis, en mars 1996, à la demande du gouvernement du Québec, qui veut proposer une réforme de l’aide sociale, il signe, avec Alain Noël et Vivian Labrie et à titre de coprésident du Comité externe de réforme de la sécurité du revenu, le rapport Chacun sa part. La redistribution de la richesse collective devient une notion amplement débattue sur la scène publique.

De 1997 à 2001, il préside le Conseil québécois de la recherche sociale, devenu depuis le Fonds de recherche du Québec – Société et culture. En 2001, il codirige d’importants travaux de recherche dans le cadre de la stratégie gouvernementale en matière de lutte à la pauvreté et à l’exclusion.

La notoriété du chercheur dépasse, grâce à la publication de ses nombreux rapports, les frontières du Québec. Il publie un grand nombre d’articles et prononce des conférences en français comme en anglais dans des congrès scientifiques en France, aux États-Unis et au Canada. Ses travaux ont même inspiré l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé dans la mise en œuvre d’une approche de psychologie communautaire pour les questions de parentalité en France. Récemment, le réseau PBS diffusait un documentaire, The Raising of America, dans lequel la contribution de Camil Bouchard à l’adoption de politiques familiales inspirées de la recherche sociale contemporaine est longuement citée en exemple.

La Fondation Lucie et André Chagnon s’est grandement inspirée des travaux du chercheur depuis sa création. En 2010, elle lui confie la mission de concevoir un observatoire de la petite enfance. Il y travaille encore.

Camil Bouchard a réussi, par ses recherches et son action, à dépasser le cadre d’analyse habituel relatif à la dispensation de services de santé et de services sociaux pour proposer une nouvelle approche axée sur la prévention, laquelle a interpellé tous les ministères et la communauté.

Au-delà de l’importance des publications scientifiques et de la qualité de l’encadrement des étudiants de maîtrise et de doctorat, le professeur Bouchard a marqué son époque en introduisant dans l’environnement des sciences sociales du Québec le paradigme de l’écologie du développement des enfants et des familles. Au Québec, Camil Bouchard a été un pionnier dans la diffusion de cette approche biosociale du développement et l’un des premiers à mener des recherches de haut calibre sur la base de ce paradigme.

Toujours porté par cette valeur de l’éducation, Camil Bouchard publie aussi, en 2000, un ouvrage illustré, Tirer le diable par la queue!, destiné aux élèves de la fin du primaire et du début du secondaire. Il leur explique les causes et les conséquences de la pauvreté. Ce livret est abondamment utilisé dans le réseau des Établissements verts Brundtland au Québec.

Un communicateur né

Petit à petit, les milieux politiques reconnaissent le rôle de la recherche dans l’innovation sociale. La contribution scientifique de Camil Bouchard et, surtout, son grand talent de vulgarisateur ne sont pas étrangers à cette prise de conscience. « Je pense avoir été un diffuseur d’innovations bien plus qu’un créateur », dit-il. En 1999, alors qu’il présidait le Conseil québécois de la recherche sociale, Camil Bouchard a eu à proposer une définition de l’innovation sociale, qu’il résume ainsi aujourd’hui : « On doit innover avec le souci constant d’ajouter une couche d’humanité. » Il parle de nouvelles pratiques qui résolvent un problème de société, dans le respect de l’équité et de la dignité humaine. « Mais une nouvelle approche, aussi brillante soit-elle, n’est rien si elle ne trouve pas preneur auprès des institutions, des organisations, des communautés qu’elle vise, ajoute-t-il. Autrement, ce n’est pas de l’innovation sociale : cela demeure une simple conviction qui n’est pas suffisamment partagée pour arriver à changer le cours des choses. »

L’engagement social de Camil Bouchard s’est poursuivi sur la scène politique. D’avril 2003 à janvier 2010, pendant un congé sans solde de l’UQAM, il siège à titre de député du Parti Québécois à l’Assemblée nationale du Québec. Aujourd’hui retraité de la politique et de l’université, il est désormais consultant, conférencier, analyste et chroniqueur. Et, depuis peu, la peinture le comble de joie.

De quoi se sent-il le plus fier? « J’ai réussi, je crois, à conjuguer rigueur et chaleur dans ma démarche scientifique, confie-t-il. C’est le défi que je me suis lancé tôt dans mon parcours professionnel. Je restais près des faits et des données, mais je souhaitais que les gens les reçoivent émotivement. Avec le recul, ce qui fait ma fierté, c’est d’avoir introduit la chaleur dans ma communication scientifique, tout en protégeant la rigueur… »

Information complémentaire

Membres du jury :
Sylvie de Grosbois (présidente)
Michel Venne
Andrée Lajoie
Martin Goyette

Crédit photo :
  • Rémy Boily
Crédit vidéo :

Direction photo / caméra : Rémy Boily
Prise de son : Serge Bouvier
Montage : Sylvain Caron, Trinh Nguyem-Dinh
Musique : Michael Wanner

Texte :
  • MEIE