Carol Couture se réjouit de ce que le prix Gérard-Morisset marque avant tout la reconnaissance d’une toute nouvelle discipline, d’une nouvelle profession. Au cours des 30 dernières années, l’archivistique s’est affranchie, s’est émancipée et s’est affirmée comme une composante à part entière de la culture et du patrimoine. « Cette reconnaissance et cette émancipation, c’était le but de toute ma vie professionnelle », confie-t-il. Et s’il accepte la désignation de chef de file de ce mouvement, il s’empresse d’ajouter aussitôt qu’il n’était pas seul, loin de là. Il a trouvé sur sa route des professeurs qui l’ont inspiré et encouragé à explorer, à aller plus loin. Des collègues aussi qui ont partagé sa vision et participé à son combat.
Natif de Jonquière, Carol Couture s’intéresse très tôt à l’archivistique. Au Petit Séminaire de Chicoutimi, il travaille avec l’abbé Jean-Paul Simard et, surtout, avec Mgr Victor Tremblay, le fondateur de la Société historique du Saguenay. Il est frappé par l’importance que ces historiens accordent à l’organisation et à la classification des archives pour que les documents aient une véritable signification. L’année même où il obtient son baccalauréat ès arts, l’Association des archivistes du Québec est fondée. Et Mgr Victor Tremblay sera l’une des premières personnalités dont le travail sera honoré par la nouvelle association.
La graine avait été semée. Carol Couture s’inscrit donc à la licence en histoire à l’Université Laval et préfère compléter sa formation par un certificat en archivistique plutôt qu’en enseignement, ce qui était pourtant la norme à l’époque. Ses professeurs, François Beaudin, Robert Garon et Jacques Mathieu, entre autres, ont participé à la fondation de l’Association des archivistes du Québec. Ils sont l’âme de la revue Archives qui paraît en 1969 et parmi les premiers à se rendre à des congrès à l’étranger. Ils encouragent leurs étudiants à explorer et à s’ouvrir aux idées nouvelles. Tout cela dans le contexte d’un Québec en plein éclatement et qui s’ouvre au monde.
Si, en 1972, Carol Couture quitte son premier poste d’archiviste aux Archives nationales du Canada, c’est qu’il pense que celui d’adjoint au directeur du Service des archives de l’Université de Montréal lui permettra de mieux répondre à sa grande interrogation quant au processus de constitution des archives. On lui demande, en effet, d’intervenir en amont de la pratique traditionnelle, c’est-à-dire au niveau de ce que l’on appelait alors le records management, aujourd’hui en français la gestion des archives courantes et intermédiaires. Ces nouvelles responsabilités lui permettent d’explorer les activités des administrateurs de l’Université afin de découvrir comment les archives en découlent et comment l’archiviste peut adéquatement intervenir aussi tôt dans le cycle de vie du document d’archives. En 1976, Carol Couture succède au directeur du Service des archives de l’Université de Montréal. Il est un partisan inconditionnel du travail en équipe. Celle qu’il forme avec Jacques Ducharme et Jean-Yves Rousseau gère si bien les archives de l’Université qu’elle reçoit, en 1981, le Prix de l’Association des archivistes du Québec.
Entre 1972 et 1982, ça bouge beaucoup dans le milieu de l’archivistique au Québec. Dans des articles, des archivistes se demandent s’il n’y aurait pas lieu d’élargir le champ de l’archivistique. Certains répondent par l’affirmative, d’autres prennent partie pour le statu quo. Il y a des tiraillements et des confrontations au sein de l’Association des archivistes. Entre 1976 et 1982, Carol Couture écrit plusieurs textes sur la gestion des archives qui se pratique à l’Université de Montréal. Le désir de rendre compte de cette expérience et de démontrer qu’elle fonctionne bien se concrétise dans un livre réunissant plusieurs collaborateurs qu’il cosigne avec Jean-Yves Rousseau et qui paraît en 1982. Les Archives au XXe siècle : une réponse aux besoins de l’administration et de la recherche est une véritable somme – la première au Québec, voire au Canada – qui élabore une vision nouvelle de l’archivistique ; une vision intégrée qui fait la synthèse du records management américain et de l’archivistique européenne, française en particulier, orientée davantage vers la gestion des archives historiques ou définitives. Ce que propose donc ce livre est ni plus ni moins qu’un modèle original de gestion des archives. Ce qui donne à la pratique archivistique québécoise une dimension et une orientation inédites. On propose de mettre fin à l’archivistique de crise ou de survie. Selon cette vision, l’archiviste devient un rouage essentiel de l’administration d’une institution. Il intervient dès la création des documents ; il en évalue dès lors la valeur patrimoniale et se charge de les gérer et de les protéger durant leur vie administrative. Le livre se vend à plus de 10 000 exemplaires, ce qui est exceptionnel, et devient le manuel de référence dans plusieurs cours d’archivistique. Il sera de plus traduit en anglais et en espagnol.
Les discussions et les débats qui, au cours de la décennie, se déroulent dans le milieu autour de l’archivistique intégrée forcent ses initiateurs à affiner leur argumentaire et à rechercher des alliés. Si bien qu’ils se montrent fort bien préparés lorsque le projet de loi sur les archives est déposé à Québec en 1983. Ce dernier ne correspond nullement à leurs attentes. Carol Couture et son équipe de l’Université de Montréal prennent la tête d’un vaste mouvement qui va amener le gouvernement à retirer son projet de loi pour en présenter un autre en tous points conforme aux vœux des réformateurs. La définition des archives et de l’archivistique que la Loi sur les archives retiendra sera celle de l’archivistique intégrée. La nouvelle discipline et la nouvelle profession dont rêvait Carol Couture depuis tant d’années reçoivent enfin leur consécration. L’organisation des archives dans les institutions publiques et privées en est transformée.
Carol Couture, qui entre-temps avait commencé à enseigner à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, convainc la direction de créer un certificat de premier cycle en archivistique et une option au niveau de la maîtrise. Comme il l’avait envisagé, les nouveaux programmes nécessitent l’embauche de professeurs qui devront partager leur temps entre l’enseignement et la recherche. Il est convaincu que la recherche favorise la formulation de problématiques propres à l’archivistique et oblige à concourir pour les subventions. C’est dans ce contexte que Jean-Yves Rousseau et Carol Couture publient en 1994 Les Fondements de la discipline archivistique dont une traduction en portugais est parue en 1998. Ils créent par la même occasion la collection Gestion de l’information aux Presses de l’Université du Québec. Et en 1999, Carol Couture lance Les Fonctions de l’archivistique contemporaine. Notons que ce dernier ouvrage a mérité le prix Jacques-Ducharme 2001 de l’Association des archivistes du Québec.
En plus d’enseigner et de faire de la recherche, Carol Couture est appelé en consultation auprès d’institutions nationales et internationales. Il sera le premier à occuper le poste de président de la Section pour l’enseignement de l’archivistique et la formation des archivistes du Conseil international des archives. Pendant trois ans, il participe à l’évaluation complète de la politique de gestion des archives du Comité international de la Croix-Rouge à Genève. Il est aussi consultant auprès de l’UNESCO. De 1985 à 2001, il a été sollicité comme animateur et conférencier au Canada et dans divers pays d’Amérique, d’Europe, d’Asie et d’Afrique. Jamais il n’hésite à aller faire part à l’étranger de l’expérience archivistique québécoise.
L’année 2001 est pour Carol Couture celle d’une double reconnaissance. Il devient le deuxième archiviste en Amérique du Nord à occuper le poste de directeur d’une école de bibliothéconomie et des sciences de l’information. Et le prix Gérard-Morisset souligne à travers lui que les archives sont maintenant une composante fondamentale et reconnue du patrimoine québécois.