Repousser les limites du mystère tout en préservant le mystère,
voilà le défi d’Édouard Lock, chorégraphe,
danseur, explorateur fasciné du temps, de l’espace, du corps.
Né à Casablanca d’une mère espagnole et d’un père
marocain, Édouard Lock n’a pas encore 3 ans quand ses parents
décident de s’installer au Québec en 1957. Ils sont tous
deux comptables, mais bohèmes et sensibles à la culture. Ils sont
attirés à Montréal par la possibilité de vivre en
français ; ils devront pourtant inscrire leur fils unique à
l’école anglaise parce qu’il n’est pas de religion catholique. Enfant
solitaire, Édouard Lock se réfugie dans les livres, s’intéresse
à l’art et, le moment venu, choisit les études littéraires.
Il suit un cours de théâtre et parce qu’il veut comprendre ce qu’est
« cette forme de mouvement non fonctionnel », il s’intéresse
à la danse. C’est alors que ce surdoué de la chorégraphie
et de la danse va découvrir son langage privilégié.
Un professeur qui sait transmettre sa passion et l’émotion de Martine Époque
découvrant en lui des qualités exceptionnelles de chorégraphe
signent le destin d’Édouard Lock qui, très vite, sent la
relation qui existe entre la structure de la langue et la structure chorégraphique.
Dès 1975, il présente sa première œuvre, Temps
volé, suivie en 1977 de La maison de ma mère et
de Remous et, en 1978, du Nageur
Mais derrière l’apparente facilité, derrière la notoriété
internationale et les louanges des connaisseurs, il y a des heures et des heures
de travail dans des conditions matérielles souvent difficiles et le courage
de suivre sa voie. Il a tout juste 26 ans quand il fonde Lock-Danseurs
qui deviendra quelques années plus tard La La La Human Steps. Édouard Lock
a aussi trouvé sa muse et complice, Louise Lecavalier ; ils
travailleront ensemble pendant 18 ans et de cette entente intime naîtront
des créations inoubliables qui éblouiront les spectateurs et les
critiques du monde entier.
En 1980, Édouard Lock présente à The Kitchen,
à New York, Lily Marlène dans la jungle et en 1981,
Oranges au Performing Garage ; cette création lui vaudra
le prix Jean A. Chalmers en chorégraphie. La carrière
d’Édouard Lock est désormais bien engagée et la présence
de La La La Human Steps sur la scène internationale est de
plus en plus affirmée. Pour mieux immortaliser les instants de beauté
éphémère, Édouard Lock se fera même photographe.
Le maître de la danse parvient ainsi à arrêter les corps
dans leurs mouvements les plus émouvants et à construire peu à
peu un corpus d’œuvres photographiques d’une poésie unique.
En 1985, Human Sex, œuvre à la fois séduisante
et choquante, établit Édouard Lock parmi les grands chorégraphes
de réputation internationale et marque d’une pierre blanche l’histoire
de la danse, et la carrière de Lock, qui reçoit en 1986 un
Bessie Award décerné par des professionnels du milieu de la danse
contemporaine de New York. Désormais, on ne peut mentionner le nom du
chorégraphe sans souligner sa formidable énergie, son langage
nouveau, très direct et singulier, en parfaite adéquation avec
le temps présent.
Partout acclamée, la troupe multiplie les tournées mondiales
entre deux retours au pays. Lock collabore à de nombreux projets ;
il est invité à Amsterdam où il crée Bread Dances (1988)
sur le Concerto en ré majeur de Tchaïkovski, puis David Bowie,
séduit par l’aspect à la fois féminin et masculin de l’expression
de Louise Lecavalier et d’Édouard Lock, demande à ce
dernier de créer une chorégraphie sur la chanson Look Back
in Anger. David Bowie et Louise Lecavalier interpréteront
ce duo lors d’un concert bénéfice au profit de l’Institute of
Contemporary Arts de Londres ainsi qu’au spectacle Wrap around the World
qui sera diffusé simultanément dans plusieurs pays. Cette collaboration
se prolongera et David Bowie confiera au chorégraphe la direction
artistique de son spectacle Sound and Vision. Édouard Lock
et La La La Human Steps participeront également en 1992 au concert
The Yellow Shark, composé par Frank Zappa pour l’Ensemble
Moderne d’Allemagne et présenté à l’Alte Oper de Francfort,
à la Philarmonie de Berlin et au Konzerthaus de Vienne.
Édouard Lock pousse toujours plus loin son exploration des limites
physiques des interprètes et il tente de retrouver la perception corporelle
qu’ont les enfants car « avec le temps, le corps devient plus défini,
on le juge et on perd l’entité magique. La vitesse des mouvements, le
travail de la lumière et des ombres rendent le corps plus plastique,
plus spirituel et permet de retrouver ces impressions d’enfance. »
Avec la création d’Infante c’est destroy, Édouard Lock
atteint l’apogée de son expression. L’œuvre est impressionnante ;
présentée pour la première fois en avril 1991, au
Théâtre de la Ville à Paris, elle conquiert le public et
les critiques. Cette pièce, qualifiée par le journal Voir
de « physique et mystique, vertigineuse et amoureuse »,
atteindra plus de 120 000 spectateurs en Europe, en Amérique
du Sud et du Nord, en Asie et au Moyen-Orient. C’est au même endroit que
sera créée 2 avant le départ de la troupe en tournée
mondiale. Si le langage d’Infante c’est destroy était acrobatique,
périlleux et sauvage, 2 évoque de manière plus
sombre et plus subtile l’illusion de la durée et la finitude de l’être.
En 1996, Édouard Lock entre dans un cycle d’expression plus
lyrique ; la création d’Étude, pour les Grands Ballets
Canadiens de Montréal, l’amène à utiliser les pointes pour
les danseuses et donne à son travail un ton nouveau. En 1998, La La La
Human Steps présente, en grande première au Japon, Exaucé/Salt,
pièce dans laquelle le chorégraphe propose de nouveaux défis
aux danseuses qui, chaussées de pointes, oscillent entre la délicatesse
et l’expression sauvage. Exaucé/Salt, reçoit tous les hommages.
Le Spectator de Londres écrit : « Salt
s’appuie sur une subversion rigoureusement calculée des principes posés
par d’éminents maîtres de ballet à différentes périodes […]
la chorégraphie d’Édouard Lock se déploie dans une
série de sections, extrêmement rapides et visuellement excitantes,
dans lesquelles les interprètes semblent aller au-delà des limites
de l’endurance. »
Les commandes d’œuvres affluent de partout, entre autres du Nederlands
Dans Theater, du Ballet national du Canada, de la Batsheva Dance Company et
de l’Opéra de Paris. Édouard Lock est choisi l’un des meilleurs
chorégraphes au monde par les réputés Dance Magazine
de Tokyo et Ballet-danz de Berlin. Mais rien n’arrête la quête
de cet homme étonnant qui affirme : « le corps n’est
pas une entité que je connais bien » et qui cherche sans cesse
par la danse « à établir un dialogue, à développer
une idée, à communiquer les choses essentielles à la condition
humaine, parce que la relation avec l’autre est ainsi plus directe ».
La La La Human Steps a célébré en l’année 2000
le 20e anniversaire de sa
fondation ; du petit théâtre de l’Eskabel, où les danseurs
devaient tout faire eux-mêmes, aux tournées mondiales, Édouard Lock,
chorégraphe avant d’être danseur, est parvenu à construire
une œuvre et à développer un langage qui imprègnent
la danse et le monde de la scène de mouvements, de rythmes et d’images
indissociables de son nom.
Après plus de 25 ans de travail toujours aussi passionné,
il atteint une maturité qui donne à l’ensemble de son œuvre
une profondeur et une universalité qui ne laissent aucun spectateur indifférent.
Et c’est cette contribution artistique exceptionnelle que soulignent les plus
récentes distinctions qui lui ont été décernées,
notamment ce prix Denise-Pelletier qui lui est aujourd’hui attribué.
Nommé chevalier de l’Ordre national du Québec en 2001, Édouard Lock
a reçu la même année le Prix du Centre national des arts
d’Ottawa. Il est aussi officier de l’Ordre du Canada depuis peu.
Dans l’atmosphère recueillie de la salle de répétition,
le chorégraphe dirige les danseurs avec calme et douceur ; il avoue
que ce qui l’intéresse surtout, c’est « la route, le processus
de création, plutôt que les résultats » et il
ajoute : « Je suis certain que les choses ne sont pas ce qu’elles
paraissent. Je ne pourrai jamais trouver ce que je cherche, mais l’art amène
la question, l’incertitude et le plaisir. »