Une interprétation du monde
Maître à penser de générations d’étudiants
en sciences sociales, Fernand Dumont est considéré comme l’un
des plus grands intellectuels de son temps. Au lendemain de son décès
le 1er mai 1997, Réginald Martel écrit fort justement que «
Fernand Dumont a fait le pont entre l’ancien Québec et le nouveau Québec
». Esprit hors du commun, ce penseur universel interprète le monde
à partir de celui dans lequel il vit. À la fois philosophe, historien,
théologien et poète, le sociologue laisse une œuvre considérable,
inclassable aussi parce que Fernand Dumont est un esprit généraliste
et un grand humaniste.
Son œuvre – 20 livres, 17 ouvrages édités et environ 200
articles – est la preuve de l’originalité de sa pensée, de son
enthousiasme indéfectible pour la recherche et la réflexion critique
comme de son souci constant d’une pensée rigoureuse et d’une langue soignée.
Chaleureux, Fernand Dumont sait exposer les concepts les plus élaborés
avec une simplicité et un naturel qui révèlent son don
exceptionnel de communicateur. Ses étudiants se souviennent de lui comme
d’un enseignant magistral, un homme qui sait éveiller la curiosité,
stimuler l’intelligence.
Un sociologue de la connaissance et de la culture
Né en 1927, à une époque où le travail à
l’usine, dès la fin de la septième année, est monnaie courante,
Fernand Dumont, passionné par les études, convainc ses parents
de la nécessité de le laisser poursuivre sa formation. Après
son cours scientifique, il choisit d’entreprendre des études classiques
qui le conduisent à la nouvelle Faculté des sciences sociales
de l’Université Laval. La liberté d’esprit et la valorisation
de l’initiative personnelle qui y ont cours le séduisent immédiatement.
Alors qu’il achève une maîtrise en sociologie sur la pensée
juridique, les autorités de l’Université lui laissent entendre
que, une fois son doctorat terminé, il pourra enseigner à la Faculté.
Stimulé par cette perspective, Fernand Dumont se rend à Paris
en 1953 faire un doctorat en sociologie. Durant ce séjour en France,
il s’initie aussi à l’étude de la psychologie et de la psychanalyse,
disciplines auxquelles il restera attaché toute sa vie, comme en témoignent
les constantes références qui émaillent son œuvre,
allant même jusqu’à écrire un article, « L’idée
de développement culturel : esquisse pour une psychanalyse », très
remarqué lors de sa publication en 1979.
De retour à Québec, en 1955, Fernand Dumont enseigne et fait
de la recherche à l’Université Laval, où il restera jusqu’à
sa retraite. Ses cours portent alors principalement sur la sociologie de la
connaissance, la théorie de la culture et l’épistémologie
des sciences humaines. Parallèlement à sa carrière de professeur,
il fonde l’Institut supérieur de recherches en sciences humaines à
l’Université Laval et l’Institut québécois de recherche
sur la culture. En 1960, avec Yves Martin et Jean-Charles Falardeau, la revue
Recherches sociographiques, qui demeure la principale revue interdisciplinaire
d’études québécoises, est lancée sous son impulsion.
De 1968 à 1970, Fernand Dumont préside la Commission sur la place
des laïcs dans l’Église au Québec, dont les travaux suscitent
beaucoup d’intérêt, et il fait une incursion dans la haute fonction
publique québécoise afin de participer, avec Guy Rocher, à
la rédaction du projet de loi 101 et de la Charte de la langue française.
Savant et homme de culture, Fernand Dumont est aussi un acteur engagé
dans les débats politiques de son temps, comme le montrent ses nombreuses
conférences publiques et entrevues, dont les principales sont réunies
dans un ouvrage posthume : Fernand Dumont, un témoin de l’homme
(2000).
Un auteur prolifique
Fernand Dumont laisse derrière lui une œuvre savante considérable
répartie selon trois axes principaux : la philosophie des sciences humaines
et la théorie de la culture, la pensée religieuse et philosophique
et, enfin, les études québécoises. De son expérience
vécue entre le monde ouvrier de son enfance et le monde de la culture
savante de sa vie d’adulte, le sociologue de l’Université Laval tire
une conception originale de la culture comme milieu et horizon, présentée
dans Le lieu de l’homme (1968), ouvrage récompensé par
le Grand Prix littéraire de la ville de Montréal et le Prix du
Gouverneur général du Canada. Si la culture est bien un lieu,
« ce n’est pas comme une assise de la conscience, mais comme une distance
qu’elle a pour fonction de créer » , écrit-il dans cet ouvrage
dans lequel il reconnaissait le mieux le sens de ses recherches. Fernand Dumont
publie aussi sa thèse de doctorat, La dialectique de l’objet économique
(1970), traduite en espagnol, ensuite Les idéologies (1974), L’anthropologie
en l’absence de l’homme (1981), Le sort de la culture (1987) et L’avenir
de la mémoire (1995).
Ses travaux concernant les études québécoises comptent
des publications importantes, dont L’analyse des structures régionales
(avec Yves Martin), La vigile du Québec (1971) et Raisons communes
(1997). Son ouvrage ayant pour titre : Genèse de la société
québécoise remporte le prix France-Québec en 1993 et est
alors qualifié de « bible de la société québécoise
», allant de Christophe Colomb jusqu’à la seconde moitié
du XIXe siècle. Cet ouvrage, dans lequel il retrace l’émergence
en Amérique du Nord d’une société globale nouvelle, propose
du même coup une conceptualisation originale pour l’étude des sociétés
autour du concept de référence.
Poète et écrivain, Fernand Dumont publie en outre au fil des
années trois recueils de poèmes, réunis dans La part
de l’ombre en 1996, et une autobiographie, Récit d’une immigration
(1997), rédigée tout juste avant son décès. Il s’intéresse
à la théologie et au renouvellement de la pensée chrétienne
tout au long de sa carrière. Au soir de sa vie, il aura encore le temps
d’écrire un ouvrage personnel, Une foi partagée (1996),
à la fois analyse lucide sur son époque et témoignage de
sa propre foi chrétienne.