Alors que le cancer continue de faire des ravages, les scientifiques travaillent
d’arrache-pied pour trouver des méthodes plus efficaces de traitement
et de prévention. Dans cette course contre la montre, une équipe
québécoise a réussi des percées impressionnantes
qui profitent à des milliers de personnes atteintes ou à risque
de cancer partout au monde. « Nous avons remporté la victoire
contre le cancer de la prostate », affirme le docteur Fernand Labrie,
professeur au Département d’anatomie et de physiologie de l’Université Laval
et directeur scientifique du Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université Laval
(CHUL) à Québec.
Grâce aux découvertes majeures en endocrinologie moléculaire
et à la détermination de ce chercheur de renommée internationale,
le cancer le plus fréquent chez les hommes peut désormais être
guéri lorsqu’il est diagnostiqué tôt et traité immédiatement après
son diagnostic « De 1992 à 2002, au Québec comme aux États-Unis,
le taux de décès a aussi baissé de 25 p. 100 chez
les hommes souffrant du cancer de la prostate », renchérit
le docteur Labrie.
La première découverte du docteur Labrie dans le traitement
du cancer de la prostate est d’avoir trouvé, en 1979, le processus
de la « castration chimique », méthode de traitement
qui a rapidement remplacé la castration chirurgicale et l’administration
d’oestrogènes dans le traitement du cancer de la prostate à l’échelle
mondiale. L’importance majeure de cette découverte et de son acceptation
généralisée est démontrée par le fait que
ce traitement est vendu sur le plan international depuis 15 ans pour une valeur
annuelle de 3 milliards de dollars.
Le Centre de recherche du CHUL, que le docteur Labrie dirige depuis plus de
24 ans, s’apprête aussi à vivre un cinquième agrandissement
en près de 30 ans. Dès 2007, s’ajoutera une infrastructure
unique de recherche fondamentale et clinique en génomique, protéomique
et bio-informatique, ce qui augmentera du même souffle le nombre d’employés :
il passera ainsi de 1 200 à 1 600. À lui seul, ce centre accomplit
la moitié des travaux de recherche en santé de l’Université Laval.
Quelle est la recette d’un tel succès? « Il n’y
a pas de miracle, explique le docteur Labrie. Il faut suivre une idée
sans se laisser ralentir et travailler plus fort que les autres, c’est
tout. » Ayant côtoyé le professeur Frederick Sanger,
lauréat à deux reprises du prix Nobel de médecine, à l’Université Cambridge
en Angleterre durant les années 60 pendant sa formation postdoctorale,
Fernand Labrie a appris à « accorder une importance relative
aux choses ». « En travaillant près de lui, j’ai
vu comment il procédait. Il faisait très peu d’administration.
Le secret, c’est d’établir des règles très
claires que tout le monde connaît et suit », avance-t-il.
Et ces règles sont celles de la performance. La solide équipe
de chercheurs de son centre, dont plusieurs sont originaires de Chine, d’Argentine
ou d’Espagne, sait que, selon le nombre de publications, de subventions
obtenues et d’étudiants encadrés, l’espace accordé ainsi
que le soutien technique et de bureau suivront : « L’idée,
c’est de faire les choses comme il faut, de constamment essayer d’être
le meilleur possible : cela a toujours été mon ambition. »
Fernand Labrie est né à Laurierville dans la région du
Centre-du-Québec en 1937. Étudiant au Séminaire de Québec
dès l’âge de 12 ans, il se démarque sans cesse par
ses réussites et son leadership. Lauréat du prix Prince-De Galles
et ayant obtenu la Médaille du Gouverneur général du Canada à 20
ans, il se place au deuxième rang de sa promotion en médecine à l’Université Laval
tout en étant président de classe. Il entreprend d’abord
ses études doctorales avec Claude Fortier, chercheur réputé en
endocrinologie à l’Université Laval, de 1962 à 1965,
et termine ensuite des études postdoctorales à Cambridge en Angleterre
– « un
endroit incroyable, là où il fallait être présent
dans le peloton de tête en science » – accompagné de
son épouse et de ses trois premiers enfants. En 1969, il revient au
Québec et fonde le premier laboratoire d’endocrinologie moléculaire
au monde. « J’ai toujours été attiré par
le quantitatif et, dans le domaine de l’endocrinologie, on peut mesurer
de façon très précise chaque hormone, explique le docteur
Labrie. C’est une discipline beaucoup plus quantitative que n’importe
quelle autre discipline médicale. »
Les projets actuels du docteur Labrie portent sur le cancer du sein et les
thérapies hormonales de remplacement durant la ménopause : « Notre
objectif est d’atteindre la même victoire que pour le cancer de
la prostate, et mieux encore : nous voulons prévenir le cancer
du sein avant de le guérir. » Son laboratoire a d’ailleurs
mis au point l’acolbifene. Ce puissant médicament, qui en est
au stade des dernières études cliniques avant sa mise en marché,
pourrait prévenir et traiter le cancer du sein dont une femme sur huit
est atteinte au cours de sa vie.
La quantité de travail que ce chercheur abat est tout simplement phénoménale.
Infatigable, il travaille six jours par semaine jusqu’à 22 h.
En plus de ses activités de recherche, il a été très
engagé pendant toute sa carrière dans le domaine sportif. Président à quelques
reprises des compétitions de la Coupe du monde de ski alpin, il a aussi
présidé le comité de candidature de la Ville de Québec
comme ville hôte pour les Jeux olympiques d’hiver de 2010. Père
de cinq enfants et grand-père de treize petits-enfants, il a transmis à sa
famille l’ambition de la réussite et le plaisir de la compétition.
Deux de ses filles ont fait partie des équipes canadiennes de ski alpin
et de ski nautique.
Alors qu’il aurait pu faire carrière en Angleterre, le docteur
Labrie a, sans conteste, contribué directement au rayonnement de sa
région. « Je me suis toujours dit qu’il y avait moyen
de réussir à Québec, affirme-t-il. Le milieu des affaires
m’a beaucoup aidé, ces gens comprennent l’importance d’investir
en recherche. » Plusieurs compagnies – dont Æterna Zentaris,
BioChem Vaccins, Anapharm et Infectio Diagnostic – ont démarré à la
suite des découvertes réalisées au Centre de recherche
du CHUL. Le chercheur Labrie a d’ailleurs été nommé « Entrepreneur
de l’année 2006 » par la Chambre de commerce de Québec à la
suite d’un vote populaire.
Pour le docteur Labrie, le Québec gagne à investir davantage
en recherche. « Le savoir, c’est ce qui rapporte aujourd’hui.
Pour faire de l’argent, il faut vendre aux autres et pour vendre, il
faut découvrir ce que les autres n’ont pas », déclare-t-il,
convaincu. Il souhaiterait aussi que les jeunes soient davantage attirés
par une carrière scientifique. « Notre avenir dépend
de la science qui va supporter l’économie. Ceux qui ont du talent
doivent l’exploiter, mais c’est une responsabilité collective,
avance-t-il. La science devrait être mieux enseignée. »
Chercheur canadien le plus cité dans la littérature scientifique
internationale, toutes disciplines confondues, le docteur Labrie a reçu
la Médaille du Collège de France de même que le titre d’officier
de l’Ordre national du Québec et de l’Ordre du Canada. Il
est membre également de la Société royale du Canada. Le
Conseil des arts du Canada lui a accordé le prestigieux prix Isaac-Walton-Killam
en reconnaissance de son exceptionnelle contribution à l’avancement
des sciences de la santé.