Approfondir l’économie appliquée
« Fondamentalement, je conçois la science économique comme
liée au milieu et conduisant à des politiques » , explique
François-Albert Angers, professeur, chercheur, homme public et écrivain
prolifique. Il sera le premier scientifique à se pencher sur le développement
économique du Québec dans une perspective appliquée, prolongeant
ainsi les idéaux des précurseurs tels Esdras Minville, Édouard
Montpetit, Henri Bourassa et Lionel Groulx. Pierre Harvey, de l’École
des hautes études commerciales (HEC), présente ainsi la contribution
du scientifique, qui s’étend sur près de 50 ans : « François-Albert
Angers est l’un des premiers économistes authentiques du Québec,
à la fois comme pionnier de l’économie appliquée et comme
homme de science de classe internationale. »
Les débuts de la science économique québécoise
Au début des années 30, François-Albert Angers choisit de
faire carrière en économie au moment où l’enseignement de
cette science est quasi inexistant au Québec. Il étudie à
l’École libre des sciences politiques de Paris et est le premier Canadien
français à recevoir la médaille d’or de cet établissement.
Sa carrière prend ensuite tout son essor lorsqu’il devient professeur et
chercheur aux HEC de Montréal.
Comme pionnier, François-Albert Angers exerce sa profession dans
des conditions difficiles à une époque où la démarche
scientifique en sciences sociales laisse grandement à désirer au
Québec. Son arrivée marque une période d’innovation, car
il fait avancer les théories économiques en mettant particulièrement
l’accent sur le domaine monétaire, étant alors le seul économiste
québécois spécialisé en la matière. Il écrit
Initiation à l’économie politique, l’un des premiers ouvrages d’enseignement
de l’économie, qui compte 600 pages et sera réédité
quatre fois de 1948 à 1971.
Ensuite, François-Albert Angers défriche le champ de l’économie
d’entreprise et de l’analyse industrielle. Il porte un intérêt
marqué à l’économie du mouvement coopératif, ce
qui représente, sans doute, sa contribution la plus originale. Ses nombreuses
recherches sur la question démontrent que la coopération est une
façon moderne, au même titre que les innovations technologiques,
« de faire soi-même son propre développement » . La
perspicacité de son analyse en ce domaine traverse rapidement les frontières.
Son ouvrage, La coopération : de la réalité à
la théorie économique, s’impose comme référence,
lui gagnant ainsi l’attention des experts étrangers. Jusqu’en 1948, il
publie également de nombreux articles, notamment dans la revue L’Actualité
économique et, de 1959 à 1968, dans L’Action nationale.
En 1942, François-Albert Angers fonde puis dirige le Service de recherche
économique des HEC, qui devient l’Institut d’économie appliquée.
À ses yeux, ce dernier représente un instrument essentiel à
l’avancement de la recherche et à la formation des chercheurs. En tant
que directeur, il structure l’enseignement de l’économie et réunit
une équipe de jeunes économistes formés dans les écoles
américaines et européennes. Dès sa fondation, l’Institut
joue un rôle de premier plan et acquiert une réputation internationale.
L’économie et l’engagement social
L’œuvre de cet intellectuel et homme d’action est définitivement
empreinte de nationalisme. Fernand Dumont souligne en ces termes cette double
vocation : « On sait quelle contribution décisive François-Albert
Angers a apportée au développement de la recherche et de l’enseignement
de la science économique en notre pays. Ses publications techniques, les
initiatives diverses qu’il a suscitées auraient suffi à bien remplir
la carrière d’un savant laborieux. Pourtant, il a poursuivi en parallèle
une autre carrière aussi chargée que la première, vouée
à l’engagement social et national. »
Sollicité par les médias ou comme expert-conseil dans différents
domaines, le professeur Angers s’engage personnellement. Ainsi, il agit à
titre d’arbitre dans nombre de conflits ouvriers qui feront époque et
se fait le défenseur de la destinée québécoise,
ce qui lui confère une autorité particulière. Dans les
années 50, il est, entre autres, la cheville ouvrière de la commission
Tremblay sur les problèmes constitutionnels, qui marque l’entrée
du Québec dans l’ère contemporaine. Ensuite, il participe à
la commission Glassco sur la réorganisation des services gouvernementaux,
à la commission Parent sur la réforme de l’enseignement et à
la Commission royale d’enquête sur les transports au Canada.
Le professeur Angers encourage aussi l’adoption de lois sur la langue au Québec
et défend une fiscalité plus avantageuse pour la province. Cette
action sur le plan des idées représente la continuation du thème
mis en avant par Édouard Montpetit, l’un de ses maîtres à
qui il voue un grand respect : « La question nationale est une question
économique. » En éveillant ses concitoyens au sens de l’économique
dans l’accomplissement de la nation et en participant aux premiers efforts de
développement de cette science, il contribue, sans aucun doute, à
l’évolution de la société québécoise.
Au cours des années 70, François-Albert Angers entreprend l’édition
des Œuvres complètes d’Esdras Minville, publiées par
les HEC et Fides : douze volumes ont paru de 1979 à 1994 et un treizième
est en préparation (Propos sur l’éducation).