Renouveler notre vision politique et sociétale de la promotion du français : c’est le défi que la chercheuse en didactique du français langue seconde et professeure émérite, Françoise Armand, s’attelle à relever depuis les années 1980.
Alors orthopédagogue dans une école de Toulon (France), qui compte environ 90 % d’enfants arabophones, elle se retrouve face à une réalité peu envisagée dans toute sa complexité par les institutions et les politiques. Comment promouvoir l’enseignement du français en milieu pluriethnique et plurilingue, tout en favorisant la réussite à l’école et l’intégration sociale? Cette question se présente rapidement comme la pierre angulaire de sa carrière.
Peu après son arrivée au Québec en 1996, elle devient chargée d’enseignement à l’Université de Montréal. Son cheminement la conduit au titre de professeure titulaire au Département de didactique de la Faculté des sciences de l’éducation en 2006. Ce volet de l’enseignement occupe une part indissociable de la recherche qu’elle mène en parallèle.
En effet, les défis de l’apprentissage du français dans un contexte d’immigration et de diversité linguistique, en particulier en milieu scolaire, sont également un enjeu au Québec. La question de ses débuts se mue alors en une volonté concrète de soutenir les enseignantes et enseignants qui travaillent auprès des élèves allophones.
Pour ce faire, elle se concentre sur plusieurs thèmes, notamment la plurilittératie et le le plurilinguisme, et elle oriente ses recherches entre autres sur l’éveil aux langues ainsi que sur la lecture et l’écriture en langue seconde. Ces différents aspects énoncent les fondements d’un approfondissement et d’une meilleure compréhension des liens entre la maîtrise de la langue maternelle et l’apprentissage d’une langue de scolarisation.
Dès lors, ses travaux à portée sociale stimulent la promotion d’une attitude d’ouverture de la part du personnel scolaire face à la diversité linguistique. Par leurs profondes valeurs théorique et empirique, ils contribuent à mieux définir les conditions qui favorisent la maîtrise et l’usage du français chez les jeunes de l’immigration, ainsi qu’à leur mise en œuvre dans les centres de services scolaires (CSS) et les écoles.
Décloisonner la recherche et les milieux de pratiques est une caractéristique dominante de sa démarche. Pour cette raison, ses résultats sont diffusés sous forme d’articles scientifiques et professionnels, de rapports, de formations et, même, de projets de collaboration avec les CSS de la région de Montréal ainsi qu’avec le ministère de l’Éducation.
Par sa faculté à naviguer dans les différentes sphères du fonctionnement scolaire, elle inspire la rédaction de plusieurs politiques institutionnelles et gouvernementales en faveur de la diversité linguistique. « C’est pour moi une grande fierté d’avoir été quelqu’un de terrain dans les milieux scolaires, d’avoir pu arrimer la théorie et la pratique, grâce aux nombreuses opportunités qui m’ont été données de mettre en place des collaborations, des projets de recherche-action, d’accompagnements professionnels, de microprogrammes », évoque-t-elle.
Son apport se concrétise également à même les structures de formation de la nouvelle génération, puisqu’elle coordonne et offre des cours qui portent précisément sur les pratiques enseignantes du français aux élèves issus de l’immigration. Cette contribution significative se traduit par la mise en place d’outils éprouvés, comme le site Web ÉLODiL (Éveil au langage et ouverture à la diversité linguistique) qui rend accessible de nombreux ouvrages et vidéos pédagogiques. Chaque année, ce sont 350 nouveaux enseignants et enseignantes qui sont ainsi mieux formés pour assurer la promotion et l’amélioration de la qualité du français.
À ces chapeaux de chercheuse, enseignante et formatrice s’ajoute également celui de direction d’organisations clés, telles que le centre de recherche interuniversitaire Immigration et métropoles de Montréal, financé par Citoyenneté et Immigration Canada et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, ou encore la présidence de l’association internationale EDiLiC (Éducation et diversité linguistique et culturelle) de 2012 à 2017.
Parmi ses travaux les plus originaux et les plus récents, on peut citer l’écriture de textes identitaires plurilingues dans des classes d’accueil au secondaire pour des élèves en situation de grand retard scolaire, soutenue par des ateliers d’expression théâtrale plurilingues. Quant aux Albums plurilingues ÉLODiL, il s’agit d’une collection de 11 albums de littérature jeunesse écrits en français, puis traduits à l’écrit dans une trentaine de langues. Tous ont été enregistrés à l’audio en français. Parmi eux, 7 sont également enregistrés dans une vingtaine de langues, parmi lesquelles les principales langues de l’immigration et les 10 langues autochtones. Ils sont actuellement accessibles gratuitement dans toutes les bibliothèques scolaires du Québec (projet Biblius) et très souvent empruntés!
« Je me réjouis qu’aujourd’hui, au travers de ce prix, on reconnaisse que la valorisation du français peut aussi passer par la reconnaissance de la diversité linguistique », souligne-t-elle.
Une reconnaissance qui prouve qu’après tant d’années d’actions, sa volonté de faire du français une langue au service du maintien d’une éducation réellement inclusive continue de s’inscrire dans une démarche innovante, ludique et profondément humaine.
« Ce qui m’importe maintenant c’est de voir que la relève est assurée, et d’endosser un rôle plus discret, car c’est magnifique de voir ces questions portées par des voix plus jeunes et dynamiques ! », conclut-elle, le sourire dans la voix.