Le maître politologue
Par sa plume, Gérard Bergeron est devenu théoricien, historien,
journaliste, universitaire, analyste et essayiste. Son œuvre échappe
manifestement à toute catégorie exclusive et trouve plutôt
son unité dans la fidélité inconditionnelle à son
objet d’étude. Aux yeux de ce politologue, dont la renommée s’étend
au-delà des frontières du Québec, les relations politiques
entre les paliers provincial, national et international sont un véritable
laboratoire.
Aux sommets de la science politique
Même si la passion du maître déborde en de multiples directions,
l’œuvre théorique originale de Gérard Bergeron le destine
néanmoins, d’abord et avant tout, à devenir le premier théoricien
politique au Québec. Ses réflexions, qui donnent lieu à
de nombreuses publications à l’étranger, contribuent à
accroître la visibilité de la communauté scientifique québécoise.
Ainsi, en 1965, lors de la publication en France de son imposante thèse
de doctorat, Fonctionnement de l’État, il se mesure, exercice
périlleux, aux maîtres américains et européens. Le
verdict est finalement concluant et l’ouvrage fait autorité dans les
milieux d’études politiques. La préface de Raymond Aron, éminent
sociologue français, donne la mesure de la qualité de l’œuvre
: « N’ignorant rien de la littérature américaine, mais intimement
lié aux sociologues et politologues français, Gérard Bergeron
illustre avec éclat la vocation culturelle du Québec. »
Les ouvrages de cet initiateur en matière de théorie politique
gravitent autour d’un même centre : l’État. Aussi, il s’impose
comme spécialiste de la guerre froide. La coïncidence du début
de sa vie d’adulte avec l’horreur d’Hiroshima a eu une incidence sur le choix
du thème de ses deux ouvrages, La guerre froide inachevée
et La guerre froide recommencée, qu’il consacre à l’histoire
tourmentée des relations entre les deux superpuissances. Suivant pas
à pas l’histoire, Gérard Bergeron y développe un modèle
d’analyse faisant appel aux notions de fluctuations cycliques de « tension-détente
», qui tient les lecteurs en haleine.
Un observateur lucide
L’œuvre du politologue est multiforme et d’une variété toute
« bergeronnienne » et étourdissante, selon l’expression de
l’économiste Albert Faucher. La capacité de théoriser,
liée à l’observation perspicace et attentive de la scène
politique chez cet homme passionné d’écriture, donne lieu à
plus d’une vingtaine d’ouvrages. Lorsque le théoricien cède la
plume à l’analyste, « il suit pas à pas, dans des essais
historiques et des études de conjoncture, le destin du Québec
de son temps. Il en parcourt l’histoire d’hier et celle d’aujourd’hui, choisissant
en toute lucidité le rôle du sage et les tâches de l’analyse
critique », écrit le professeur Guy Laforest.
Gérard Bergeron fait aussi de fréquentes incursions dans le monde
du journalisme, qui le fascine depuis son tout jeune âge. Pendant les
30 dernières années, et à diverses périodes, il
signe près de 400 articles percutants dans le quotidien Le Devoir
– d’abord sous le pseudonyme d’Isocrate, pour le simple plaisir de la mystification
– ainsi que dans le magazine Maclean. Rassemblés en recueils, ces articles
représentent quelque 2 000 pages à l’intérieur desquelles
sont scrutés les grands débats qui ont agité la société
québécoise.
Une conception de l’enseignement politique
au Québec
Dissimulé derrière l’éclat de ses travaux, l’enseignement
de Gérard Bergeron constitue le pan le moins perceptible de son œuvre.
Encore que l’apport exceptionnel du professeur Bergeron tienne à sa longue
carrière – il dépasse le cap de sa quarantième année
d’enseignement -, il ne faut pas oublier son rôle de pionnier. Figurant
parmi les premiers professeurs du Département de science politique de
l’Université Laval, officiellement reconnu en 1954, il doit concevoir
lui-même son rôle de formateur alors que la discipline émerge.
Premier professionnel de l’enseignement des relations internationales, il présente
aux étudiants une dimension de la discipline jusque-là méconnue.
Les travaux et les préceptes mis en avant par le professeur seront la
source première de leur propre cheminement intellectuel.
Humaniste authentique et exigeant, Gérard Bergeron s’interroge constamment
et sait se démarquer intellectuellement, en raison de son refus permanent
de s’engager dans un parti ou un mouvement. En fait, il résiste à
tous les « branchismes » (le néologisme est de lui) et préfère
demeurer au-dessus de la mêlée, à titre d’observateur critique.
On le reconnaît d’ailleurs comme celui qui « cultive l’art difficile
de s’engager sans se laisser inféoder, tout en gardant sa liberté
de penser et de critiquer » . Lui-même ne s’en cache pas : «
Je veux garder ma liberté totale au sein même de mon engagement.
L’idéal inaccessible serait d’en être, de cette société,
et de pouvoir en parler comme n’en étant pas. De garder la tête
froide et le cœur chaud. »