Gérard Duhaime, lauréate

Gérard Duhaime, prix Léon-Gérin 2022

Lire la vidéo sur Entrevue

Biographie

Porté par un désir de justice sociale, thématique omniprésente dans son œuvre, le sociologue économique Gérard Duhaime décrypte les inégalités dans le Nord circumpolaire. Pour y parvenir, il analyse les données de ce grand territoire englobant une partie du Canada, de la Russie et des pays scandinaves, en plus de l’Alaska, de l’Islande et du Groenland.

Dès son enfance, le petit Gérard s’interroge sur le sort des autres. Pourquoi cet oncle adoré vit-il dans des conditions moins favorables que les siennes? Pourquoi cette compagne de classe est‑elle à l’écart? Lorsqu’il assiste avec son père à une représentation de La Sagouine, la critique d’Antonine Maillet à l’égard de la société bien nantie est une révélation.

L’étudiant trouve sa voie à l’occasion d’un emploi d’été au Nunavik, dans un camp de recherche où il joue les cuisiniers. Traversant un village à pied à la sortie de l’avion, il découvre dans son propre pays une pauvreté et des conditions de vie quasi impensables. Le chemin est tracé : il consacrera sa carrière au monde autochtone et à l’Arctique circumpolaire.

Un baccalauréat et une maîtrise en science politique lui offrent une excellente base, mais le laissent sur sa faim. Il poursuit alors sa quête avec un doctorat en sociologie économique. « Je me suis dit : “Quand j’aurai répondu à mes questions, j’arrêterai l’université.” » Le professeur en sociologie à l’Université Laval ajoute qu’il est encore là, après plus de 40 ans. C’est que derrière chaque découverte se cache un nouveau phénomène à décortiquer.

Pour cerner les sources des inégalités sociales, Gérard Duhaime a traversé un désert : les données fiables se font rares à l’époque. Kuujjuaq, Matimekosh, Kawawachikamach… Il sillonne le Nunavik au cours des années 1990 à la recherche des livres comptables ou des rapports financiers de diverses municipalités, entreprises et organisations afin de réaliser le premier portrait économique de la région. Au début du nouveau millénaire, l’initiative s’étend au Nord circumpolaire.

Aujourd’hui, le legs du chercheur comprend deux bases de données : ArcticStat et Nunivaat. Ses collaborations à l’international mènent aussi à la création du programme ECONOR. En harmonisant les statistiques socioéconomiques au-delà des frontières politiques, ce programme permet de suivre l’évolution de l’économie de l’Arctique circumpolaire et des inégalités sociales.

Des constats s’imposent grâce à la comparaison du prix des biens de consommation. « Voilà une injustice patente : les gens du Nord vivent dans le même pays, mais payent le litre de lait deux fois plus cher que dans le Sud. » La solidarité, à la base des gouvernements, devrait nous inciter à mettre en place des mesures compensatoires, de l’avis du chercheur. Ses travaux donneront d’ailleurs naissance à des programmes de réduction du coût de la vie et de promotion de la sécurité alimentaire.

Si le prix gonflé du steak a peu de poids dans une collectivité qui chasse, celui des couches pour bébé pèse lourd dans le budget des ménages. Des analyses précises permettent d’ajuster le prix des produits les plus pertinents. Elles aident aussi à quantifier l’impact financier, pour les familles, des avis limitant la consommation de certaines espèces animales, dont la chair comprend davantage de contaminants. Alléger ces pressions budgétaires influe ainsi sur la santé de la population en facilitant l’accès à des aliments sains.

Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la condition autochtone comparée a publié de nombreux articles, chapitres d’ouvrages collectifs et rapports de recherche. Il compte à son actif une dizaine de livres, dont un roman qui met évidemment le Grand Nord à l’honneur. Il est également détenteur de la Chaire Louis-Edmond Hamelin de recherche nordique en sciences sociales, qu’il a instituée en 1999 et qui est maintenant affiliée à l’Université de l’Arctique, dont il est membre fondateur.

En 2007, reconnaissant son expertise, l’Union scientifique internationale invite le sociologue à participer à l’organisation de l’Année polaire internationale, cet événement rarissime consacré à l’étude de l’Arctique comme de l’Antarctique. Or la programmation est déjà établie. Quelle déception! On s’intéresse à l’épaisseur de la glace, aux oiseaux arctiques et aux ressources naturelles, mais aucune mention des collectivités humaines, encore moins des autochtones.

C’est sans compter le leadership de Gérard Duhaime, qui mobilise alors ses contacts scientifiques, universitaires, gouvernementaux et autochtones. Résultat : la programmation intégrera l’aspect humain dans chacun des volets déjà établis, en plus d’en inclure un nouveau qui lui est entièrement dévolu. Tout au long de sa carrière, le sociologue créera des ponts entre les disciplines.

Le membre de l’Ordre du Canada entrevoit l’avenir avec optimisme. « La valeur émancipatrice de l’éducation permet aux jeunes de dire : “Je ne vivrai pas dans la même société que mes parents, je vais l’organiser autrement.” Je fais confiance à la marche des peuples, à ces vastes ensembles d’individus bienveillants qui vont dans la même direction. »

En 2019, Gérard Duhaime s’est rendu une fois de plus à Kuujjuarapik, un village sur les rives de la baie d’Hudson. Dans les allées d’une coopérative, le litre de lait affichait le même prix qu’à Québec. Lorsqu’il relate le fait, le regard brillant, on ressent toute la fierté de cet homme réservé. Chaque gain est porteur d’espoir.

Résumé de la carrière de Gérard Duhaime

Sociologue économique, Gérard Duhaime collige et décortique les données statistiques du Nord circumpolaire. Sa quête : s’attaquer aux inégalités sociales. Les principes de solidarité dictent que les citoyens du Nord ne devraient pas payer le lait deux fois plus cher que dans le reste du pays. Grâce aux travaux de ce titulaire d’une chaire de recherche du Canada, des programmes de réduction du coût de la vie permettent, notamment, de rétablir un peu l’équilibre. Portrait d’un justicier social.

Information complémentaire

Membres du jury :

  • Josée St-Pierre (présidente)
  • Ayi Gavriel Ayayi
  • Geneviève Nootens
  • Monique Séguin
  • André Lacroix
Crédit photo :
  • Éric Labonté