Parmi les grands noms de la recherche industrielle au Québec, celui de Ghyslain Dubé se distingue sans conteste. Chercheur au Centre de recherche et de développement Arvida (CRDA) de Rio Tinto Alcan depuis plus de trente ans, Ghyslain Dubé a contribué à faire avancer, de façon notoire, l’industrie de l’aluminium. Si l’expertise québécoise dans ce domaine est désormais reconnue à l’échelle internationale, l’esprit visionnaire de ce chercheur industriel y est certainement pour beaucoup.
Les travaux de Ghyslain Dubé ont eu des répercussions sur les plans scientifique, technologique et économique. Parmi ses principales contributions, il a obtenu un grand succès dans le développement et la commercialisation d’équipements industriels innovateurs pour la préparation des alliages. Grâce aux travaux et à la persévérance de ce chef de file, l’industrie de l’aluminium est devenue plus productive et la qualité de ses produits s’est nettement améliorée.
Aujourd’hui, la plupart des alumineries au monde bénéficient du fruit des recherches de Ghyslain Dubé. Le procédé de traitement de l’aluminium en creuset (TAC) qui permet aux producteurs d’éliminer certains métaux dissous indésirables dans l’aluminium en fusion, sans utilisation de chlore, et des appareils de mesure (LiMCA, AlSCAN) permettant de garantir la qualité des produits sont des exemples parmi plusieurs des innovations diffusées à l’échelle mondiale. Les retombées économiques de ces innovations pour le Québec sont estimées à plus de 500 millions de dollars. Près de 200 emplois d’ingénieurs et de techniciens et près de 100 emplois indirects chez divers entrepreneurs ont été créés pour servir les besoins de l’industrie, sans compter la vente de technologies et d’équipements de procédés sous licence par des équipementiers du Québec.
Né en 1949 à l’Isle-Verte, un petit village près de Rivière-du-Loup, Ghyslain Dubé a été attiré très jeune par la chimie et les technologies. Après des études en sciences pures à Québec, il décide d’entreprendre des études universitaires en chimie appliquée à l’Université de Sherbrooke au moment où les premiers programmes coopératifs se mettaient en place. À la fin de sa maîtrise, on l’encourage fortement à poursuivre au doctorat, mais ses expériences de stagiaire chez Alcan l’ont vite convaincu de son vif attrait pour la recherche industrielle, au grand dam de ses professeurs.
Dès ses premières années au CRDA, il a mis sur pied un groupe de chercheurs responsables de tous les aspects de la métallurgie de l’aluminium liquide. Depuis, en trente ans de carrière, Ghyslain Dubé a plusieurs inventions à son actif. Une centaine de publications sont issues de ses travaux et plus de trente familles de brevets ont été déposées. Guidé par une intuition propre aux grands chercheurs, Ghyslain Dubé a su développer des technologies devenues essentielles dans l’industrie de l’aluminium. Ces technologies ont aussi eu un impact sur la protection de l’environnement notamment par la réduction de la consommation d’énergie et des pertes de métal ainsi que par l’élimination du chlore.
Comment un tel succès est-il possible? Se décrivant comme une personne « plutôt pressée », Ghyslain Dubé est avant tout un homme d’équipe et un rassembleur. Il a eu le flair dans les années 1970 d’établir des partenariats entre le milieu industriel et le milieu universitaire, une façon de faire fort peu courante à l’époque. « J’ai toujours dit : il ne faut pas juste vendre du métal, il faut savoir faire de l’aluminium. Ce savoir a une valeur aussi importante que le métal lui-même. » Avec un pouvoir de persuasion peu commun, il a même réussi à recruter au CRDA un de ses anciens professeurs de l’Université de Sherbrooke qui avait souhaité le voir poursuivre une carrière de chercheur universitaire. Au fil des ans, parallèlement aux alliances universitaires, Ghyslain Dubé a créé des partenariats avec des entreprises spécialisées en ingénierie et en conception d’équipements industriels.
Esprit vif et grand lecteur, Ghyslain Dubé aime bien citer George Bernard Shaw, lauréat du prix Nobel de littérature en 1925 : « On voit des choses et on se demande pourquoi elles existent. Moi je rêve de choses qui n’ont jamais existé et je me demande pourquoi pas? » Le chercheur Dubé estime que le succès de toute activité de recherche industrielle repose sur trois principes essentiels : rêver, réaliser et recommencer. « Or, la réalisation des rêves est la partie la plus difficile du processus d’innovation, affirme-t-il. L’esprit entrepreneur doit se conjuguer avec l’esprit scientifique pour déjouer, au besoin, l’inertie des systèmes en place ou l’ordre établi, comme le disait si bien Machiavel. »
Se considérant choyé d’avoir pu réaliser plusieurs de ses rêves pour le bénéfice et le rayonnement de la société, mais aussi pour l’industrie de l’aluminium au Québec, il a toujours perçu la connaissance scientifique non seulement comme une façon de créer de la valeur, mais aussi comme un avantage compétitif. « La science, dit-il, c’est un levier. » Tout en ajoutant qu’il faut aussi avoir le désir de défier le statu quo, de prendre des initiatives et d’être tolérant. « Les erreurs ne sont pas des échecs, mais des éléments de connaissance, croit-il. Un ingrédient fondamental pour progresser, c’est la volonté d’influencer et de changer les choses. »
Outre l’aluminium, Ghyslain Dubé a aussi une passion pour le bois. Ébéniste à ses heures, il a agrandi lui-même son chalet dans la région du Saguenay et construit des meubles, mais à un rythme « beaucoup plus lent ». « J’innove en science, mais je copie des antiquités! », lance-t-il en soulignant à la blague la patience de sa famille à cet égard. Il a toujours accordé aussi une grande place à la lecture notamment d’œuvres biographiques historiques. Les vies de Charles de Gaulle, Darwin, Mao Zedong ou du Cardinal de Richelieu n’ont plus de secret pour lui.
Aujourd’hui, Ghyslain Dubé agit principalement comme conseiller scientifique auprès d’un consortium d’universités québécoises qui réalisent de la recherche de pointe en métallurgie de l’aluminium en lien avec le CRDA et il guide les jeunes spécialistes en recherche industrielle. Bien qu’il ait été souvent approché pour occuper des postes de nature plus politique, il a toujours décliné les offres. « À la base, je suis un scientifique, les postes stratégiques ne m’ont jamais vraiment intéressé. Je n’ai pas voulu m’éloigner du laboratoire, ma motivation est là. »
En revanche, l’enseignement l’attire de plus en plus. « Si la réincarnation existe, je vais réapparaître en professeur dans une école secondaire! », lance-t-il en songeant à ses prochains projets professionnels. Ghyslain Dubé est convaincu que les jeunes ont besoin de modèles positifs et de contact direct avec la réalité. Se souvenant encore du nom de chacun de ses professeurs de chimie au secondaire et au cégep, il considère que ces années sont cruciales pour démystifier certaines peurs et donner confiance aux jeunes.
Au fil de sa carrière, Ghyslain Dubé a remporté plusieurs reconnaissances prestigieuses dont le prix Joseph-Armand-Bombardier de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), le Prix de l’Association de la recherche industrielle du Québec et le prix Canada pour l’excellence en affaires. À trois reprises depuis 1983, il a également reçu le prix J.-Alfred-Dubuc en innovation technologique du Mérite scientifique régional.
« Réussir nécessite beaucoup de persévérance, pense Ghyslain Dubé, mais il faut avoir du plaisir au travail et être honnête avec soi-même. La satisfaction vient de la connaissance que nous avons de nos propres limites et de nos zones de confort. »