À la fine pointe de la modernité, le travail de Gilles Groulx
s’inscrit dans un combat politique qui l’amène à mettre en cause
les formes traditionnelles d’expression cinématographique et à
construire une œuvre sous le signe du film-essai, c’est-à-dire en
marge du documentaire et de la fiction tels que les définissent les règles
de l’industrie.
Interrompue brutalement par un grave accident en 1980, la trajectoire de Groulx
est rectiligne ; ses films, dans leur éclatement, demeurent tous fidèles
au projet de départ de l’artiste, celui de faire du cinéma un
outil de science et de conscience, celui de dénoncer l’aliénation
moderne et la répression politique sans être dupe des formes et
des structures économiques du cinéma. Ainsi, après Le
Chat dans le sac (1964), dont la facture libre l’inscrit dans la même
mouvance que ses contemporains Godard et Bertolucci, Groulx signe des «
films collages » dans lesquels il approfondit sa réflexion sur
la condition québécoise. C’est d’abord Où êtes-vous
donc ? (1968), qualifié par certains d’oratorio lyrique, puis Entre
tu et vous (1969), où l’incommunicabilité entre les êtres
a pour origine le flot médiatique et publicitaire. C’est ensuite 24
heures ou plus… (1976), un essai sur l’état politique du Québec,
puis Au pays de Zom (1982), splendide opéra distancié formant
une critique incisive de la bourgeoisie.
À ce corpus central majeur s’ajoutent quantité de courts métrages
réalisés au moment où Groulx joue un rôle prépondérant
dans l’éclosion du cinéma direct. Il est en 1958 de l’aventure
des Raquetteurs, son œil aiguisé lui permettant d’assembler les
images de Michel Brault et les sons de Marcel Carrière. Car c’est dans
la salle de montage que Groulx prend toute sa dimension, c’est là que
s’expriment sa rigueur intellectuelle et sa poétique. Golden Gloves
(1961) et Voir Miami… (1963) sont les premiers exemples de la façon
dont Groulx parvient à concilier, dans son cinéma, la spontanéité
du jazzman et une dialectique implacable. Dans son texte intitulé Propos
sur la scénarisation, Gilles Groulx se réfère au russe
Dziga Vertov et à son concept de « documentaire poétique
» pour fustiger l’usage que l’industrie fait du scénario : «
On ne voit plus le cinéma comme une aventure, comme une exposition de
la vie, comme un moyen encore tout nouveau d’exploration de la pensée,
comme une interrogation constante. » Pour lui, le film « tient davantage
de l’intuition de l’inventeur qui s’accroche à quelques signes perçus
[…] ». Son œuvre entière en est l’illustration.