Auteure prolifique et femme de cœur, Janette Bertrand a profondément marqué le monde de la radio et de la télévision au Québec. Journaliste, comédienne, animatrice, conceptrice, elle a su insuffler sur les ondes et au petit écran son audace et sa générosité. Et si la télévision québécoise est aujourd’hui reconnue pour sa pertinence et son originalité, c’est en partie grâce à ses talents de communicatrice et à son esprit visionnaire.
Née à Montréal, celle qu’on appellera la psychologue du peuple a grandi au coin des rues Frontenac et Ontario, dans l’est de Montréal. « Quand j’ai terminé mon primaire à l’école Gédéon-Ouimet, se souvient-elle, j’étais l’une des seules à poursuivre mon éducation. Les petites filles de ma classe, pour la plupart, sont parties travailler à l’usine MacDonald Tobacco, en face de chez nous. »
En 1950, après avoir fait des études en lettres à l’Université de Montréal, Janette Bertrand amorce une carrière dans la presse écrite. Responsable du courrier du cœur au Petit Journal, elle conservera ce poste pendant 17 ans. « Le courrier du cœur, observe-t-elle, c’est l’ancêtre des médias sociaux. »
Son intérêt pour l’intime et le quotidien lui attire des sarcasmes. Les intellectuels la snobent, les journalistes « sérieux » la traitent avec hauteur. « J’ai débuté dans ce métier à la fin de la grande noirceur. L’obscurantisme religieux cédait la place à l’individualisme moderne. De mon côté, j’étais scandalisée par notre ignorance comme peuple. Je ne pouvais pas fermer les yeux sur les injustices, l’inceste, la violence faite aux femmes. Il fallait que ça cesse. Mon engagement est né de la révolte et de la colère. Je voulais être utile. »
Janette Bertrand s’est tout de suite gagné la confiance du public. « Peut-être parce que je m’épanouissais en même temps que lui, suggère-t-elle. Dans le milieu artistique durant mes jeunes années, je côtoyais des homosexuels alors que je ne savais pas ce qu’était l’homosexualité la veille. Je n’ai jamais cherché à dire aux gens comment se comporter du haut d’une chaire. Il y a peut-être une certaine naïveté dans mon cheminement. Si j’ai eu un don, ce fut celui de me rendre compte que j’avais tout à apprendre. »
Parallèlement à sa carrière dans la presse écrite, Janette Bertrand débute à la radio où elle tient le micro et écrit des textes conjointement avec son mari Jean Lajeunesse. Quand Radio-Canada les invite à adapter leur émission Toi et moi pour la télévision en 1952, ils acceptent de tabler sur l’énorme potentiel de ce nouvel outil de communication. « Mon patron à CKAC n’était pas convaincu. Vous avez tort de partir, m’a-t-il confié. Des images dans une petite boîte. Personne ne va regarder ça. »
Les Québécois et les Québécoises la regarderont énormément la petite boîte, les chiffres sont là pour en témoigner. À elle seule, Janette détient plusieurs records dans sa catégorie. Après avoir animé quantité de jeux-questionnaires et d’interviews-variétés à Télé-Métropole, elle invente le téléroman québécois moderne avec la série Quelle famille! à Radio-Canada, une aventure qui confirme son talent d’auteure et de comédienne. Après une dizaine de saisons à l’enseigne du succès avec cette émission qui sera diffusée en France sous le titre Les Tremblay, elle enchaîne avec un autre portrait type de la famille québécoise, Grand-Papa, dont la cote d’écoute atteint 2,73 millions de téléspectateurs durant la soirée du 6 mars 1979, du jamais vu depuis pour un téléroman.
Dans un registre plus intimiste et ambitieux, Janette Bertrand atteint le sommet de son art en signant les 52 épisodes de la série dramatique Avec un grand A, un projet d’écriture sans équivalent dans l’histoire de la télévision québécoise. Nous sommes en 1985. Misant sur sa polyvalence et ses multiples talents, Télé-Québec lui confie également la conception et l’animation de Parler pour parler, une heure de débats où elle reçoit les gens du public pour une discussion sur des sujets osés, d’une brûlante actualité, sujets dont on n’avait jamais parlé en ondes.
Première à parler crûment et sans détour des questions délicates comme l’inceste, le sida, le suicide, la prostitution, l’obésité, la transsexualité, Janette Bertrand a travaillé pour les trois principales chaînes généralistes, sans jamais se trahir ou renoncer à ses valeurs. Sa connaissance profonde de la nature humaine a fait d’elle une formidable éducatrice populaire. Elle a pavé la voie vers une société plus tolérante face à la différence, plus généreuse à l’égard des exclus, plus juste aussi. Elle a été une inspiration pour les femmes, en particulier à l’époque du féminisme naissant. Elle fait partie de ceux et celles qui ont permis au Québec d’accéder à la modernité.
Première lauréate du prix Guy-Mauffette, consacré à la radio et à la télévision, elle accepte cet honneur avec reconnaissance et humilité, « étonnée et comblée » que l’on ait songé à elle. Elle a beaucoup écouté M. Mauffette à la radio de Radio-Canada à l’époque du Cabaret du soir qui penche. « J’admirais sa fantaisie, mais comme femme, j’avais trop à prouver. Il ne pouvait être un modèle pour moi. »
En 60 ans, elle a signé plus de 800 textes pour la radio et la télévision, publié deux romans, des succès de librairie, vendu 200 000 copies de son autobiographie publiée en 2004 sous le titre Ma vie en trois actes. Depuis 15 ans, comme formatrice à l’Institut national de l’image et du son (INIS), elle partage son enthousiasme et son immense savoir avec la relève.
Au fil des ans, Janette Bertrand a su gagner le respect et l’admiration de ses pairs, et ses qualités humaines et intellectuelles ont été maintes fois reconnues. Nommée femme du siècle en 1990 par le Salon de la femme de Montréal, puis chevalière de l’Ordre national du Québec (1992) et officier de l’Ordre du Canada (2002), celle qui avait été couronnée Miss Radio-Télévision lors du Gala Artis en 1964 a obtenu une dizaine de prix Gémeaux pour ses dramatiques, ainsi que le prestigieux Prix du Gouverneur général du Canada pour les arts de la scène en 2000 et le Prix du grand public du Salon du livre de Montréal en 2005. La Cinémathèque québécoise et l’association Femmes du cinéma, de la télévision et des nouveaux médias lui ont rendu hommage respectivement, en 2001 et 2005. De plus, elle figure au palmarès des grandes femmes du Québec aux côtés de Madeleine Parent et de Thérèse Casgrain. À 86 ans, déterminée à ne jamais prendre sa retraite, Mme Bertrand s’apprête à publier son troisième roman, Lits doubles.