L’œuvre d’un sémiologue de la musique
Le regard vif, Jean-Jacques Nattiez entretient ses interlocuteurs d’une passion,
la sémiologie musicale, qui les fait pénétrer de plain-pied
dans l’univers multiforme de la musicologie où l’art et la science s’interpellent
et se coudoient.
Né à Amiens, Jean-Jacques Nattiez commence très tôt
des études de piano et de solfège. L’environnement familial contribue
à éveiller sa sensibilité, à cultiver en lui l’amour
des lettres et de la musique : sa mère enseigne le latin et le grec,
son père est professeur de littérature française et critique
musical. Il écoute tout jeune les retransmissions radiophoniques du Festival
de Bayreuth. L’admiration qu’il voue à Proust et à Wagner lui
inspirera trois de ses ouvrages : Tétralogies (Wagner, Boulez,
Chéreau) (1983), Proust musicien (1984) et Wagner androgyne
(1990).
À la fin des années 60, Jean-Jacques Nattiez entreprend ses études
universitaires en lettres et en linguistique. « La sémiologie était
dans l’air… », rappelle-t-il. Il opte pour cette discipline et entreprend
une maîtrise sous la direction de Georges Mounin (1967-1968). Son mémoire,
devenu un doctorat dirigé par Nicolas Ruwet (1973), aboutit aux Fondements
d’une sémiologie de la musique (1975), « première tentative
d’utilisation systématique, pour l’analyse musicale, de concepts et de
méthodes élaborés par la linguistique structurale ».
Il en propose une version complètement renouvelée, Musicologie
générale et sémiologie, en 1989. S’inspirant de la
pensée de Jean Molino, il fonde son approche sur la distinction entre
stratégies de production et stratégies de réception, qu’il
relie aux structures proprement musicales. Il réoriente ainsi, de manière
radicale, la réflexion sur le phénomène musical, dotant
la musicologie d’outils rigoureux et originaux d’analyse et d’interprétation.
Des cultures et des musiques
Son œuvre se poursuit par l’expérimentation, sur la musique des
Inuits, des Aïnous (Japon) et des Bagandas (Ouganda), du modèle
théorique qu’il élabore. Il consacre à ces cultures musicales
des articles et plusieurs disques, internationalement connus et appréciés.
Il conçoit aussi un type de disque compact organisé thématiquement
(Jeux vocaux des Inuits, 1990), qui implique l’intervention de l’auditeur
du disque. Pour cette raison, cette production sera saluée comme une
innovation marquante dans le domaine de l’ethnomusicologie. L’originalité
et l’envergure de sa démarche n’ont pas manqué d’attirer l’attention
de la communauté scientifique internationale.
Il est également considéré comme un spécialiste
de l’œuvre et de la pensée du compositeur et chef d’orchestre Pierre
Boulez dont il a édité plusieurs volumes d’écrits. Depuis
le début de sa carrière, Jean-Jacques Nattiez a publié
10 ouvrages et près de 150 articles, sans oublier les traductions en
anglais, en italien et en japonais de la plupart de ses livres. Son roman Opera
(1997) lui a également valu deux distinctions en 1998 : le prix Québec-Paris
et le prix Louis-Hémon de l’Académie de Languedoc. Au fil des
années, il a prononcé des conférences lors de nombreux
congrès et colloques dans une vingtaine de pays. Plusieurs établissements
l’ont accueilli à titre de professeur invité, dont l’Université
d’Edmonton et la City University de Londres, le Saint Catherine College d’Oxford,
l’École normale supérieure de Paris et le Collège de France.
Un profond engagement dans le milieu musical
Professeur de musicologie à l’Université de Montréal depuis
1972, Jean-Jacques Nattiez est responsable du Groupe de recherche en sémiologie
musicale de 1974 à 1980. Rédacteur en chef de la Revue de musique
des universités canadiennes (secteur francophone), puis de Circuit,
il dirige les collections « Sémiologie et analyse musicales »
aux Presses de l’Université de Montréal et, avec Pierre Boulez,
« Musique/passé/présent » chez l’éditeur Christian
Bourgois. En 2000, il devient membre du comité consultatif d’un nouveau
site Internet musical : Andante et dirige une Andante Academy ainsi qu’un
site consacré à Pierre Boulez. Depuis 1997, une encyclopédie
musicale en cinq volumes est également en préparation, dont le
premier tome est paru en mars 2001 chez l’éditeur italien Einaudi. Enfin,
soucieux de s’engager dans son milieu, il accepte d’être le concepteur
et le directeur artistique des célébrations du cinquantenaire
de la Faculté de musique de l’Université de Montréal en
2000-2001.
Esprit rigoureux et artiste curieux, Jean-Jacques Nattiez demeure fidèle
à cette image qu’il évoque en conclusion des Fondements d’une
sémiologie de la musique : « Le chercheur construit un monde
de concepts et d’énoncés comme le compositeur d’avant-garde s’aventure
dans le domaine encore inouï des sons : jamais en repos, toujours soucieux
de plus de clarté, perpétuellement questionné par les énigmes
de la science et les mystères de la musique, je n’attends qu’un prochain
thème pour reprendre l’exploration. »