Le prix Georges-Émile Lapalme se devait d’honorer Jean-Marc Léger, un homme dont les engagements lucides, fervents et féconds correspondent aux mérites que cette distinction veut souligner.
On hésite toutefois, tant l’activité de Jean-Marc Léger s’est déployée sans sacrifier sa cohérence, à souligner une réussite plus que l’autre. Dès le début de sa carrière, il se pourvoit d’un bagage aux contours ambitieux. À 24 ans, il détient deux licences et une maîtrise : en droit, en sciences sociales et en histoire. Ces savoirs, il les investit aussitôt dans un type de journalisme que le Québec avait quelque peu négligé après des années de vive attention : l’information internationale. Pendant cinq ans à La Presse et pendant un autre lustre au Devoir, il patrouille le secteur, identifie les lignes de force, éclaire les théâtres où se lèvent de jeunes indépendances nationales. Chemin faisant, Jean-Marc Léger s’emploie à donner aux journalistes québécois un environnement professionnel où la culture, l’éthique, le souci linguistique constituent d’intangibles préoccupations. Il garde le cap sur ces valeurs lorsqu’il devient secrétaire général, puis président de l’Union canadienne des journalistes de langue française. Même cap quand il accède à la présidence de l’Association internationale des journalistes de langue française.
Lorsque naît enfin, sous l’impulsion de Georges-Émile Lapalme, le ministère des Affaires culturelles du Québec, Jean-Marc Léger assume la direction de l’Office de la langue française, le temps d’en préciser les horizons et la pédagogie. Après avoir porté le bébé sur les fonts baptismaux, Jean-Marc Léger revient au journalisme. Nous sommes en 1963 et l’homme n’a encore que 36 ans. Cette fois, il écrit et parle en éditorialiste, en éditorialiste renseigné, rigoureux, sans complaisance. L’époque est effervescente : la Révolution tranquille vit la nationalisation de l’électricité, des dizaines de pays testent leur autonomie, la montée en puissance des États-Unis incite les pays francophones à se mieux connaître. Jean-Marc Léger est de toutes les analyses, comme il sera de toutes les initiatives au soutien de la Francophonie. Modèle, guide et rassembleur, il fait du français un objet de fierté, une urgence nationale, un patrimoine transcendant les frontières.
Ses activités de journaliste et d’éditorialiste ne l’empêchent pas de se pencher sur le berceau de l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF) et d’en diriger le secrétariat général de 1961 à 1978. Comme si cela ne requérait pas déjà l’énergie de plusieurs vies, Jean-Marc Léger, dès son départ du Devoir, se colleta à l’énorme défi de mettre sur pied depuis Paris et d’animer, en zone diplomatiquement agitée et surveillée de près, l’Agence de coopération culturelle et technique. Sans lui, que serait aujourd’hui la place du Québec à la table internationale?
De retour au Québec après ces années parisiennes, il n’eut pas longtemps la possibilité de se consacrer en exclusivité à l’Agence universitaire de la Francophonie qui avait remplacé l’AUPELF, puisqu’il devint en 1978 délégué général du Québec à Bruxelles. Trois ans plus tard, de retour au Québec, c’est depuis d’autres créneaux qu’il poursuit sa persévérante « défense et illustration » de la Francophonie et de sa mission internationale. À titre de sous-ministre adjoint, il nourrit et renforce les relations internationales du ministère de l’Éducation, avant de se joindre au ministère des Relations internationales à titre, une fois encore, de sous-ministre adjoint. Un autre triennat se passe et le ministère des Affaires internationales confie à Jean-Marc Léger le poste de commissaire général à la Francophonie. Sans surprise, les Sommets francophones comptent sur sa compétence.
La décennie suivante verra Jean-Marc Léger diriger le Centre de recherche Lionel-Groulx voué à l’histoire de l’Amérique française et la Fondation portant aussi le nom de l’illustre historien.
Survol trompeur et… minimaliste. Il ne dit rien, en effet, des livres pénétrants et raffinés que Jean-Marc Léger consacre à l’Afrique (Afrique française, Afrique nouvelle, 1958), à la Francophonie ( La Francophonie, grand dessein, grande ambiguïté, 1987), à l’indépendance (Vers l’indépendance? Le pays à portée de main, 1989). Il néglige aussi les centaines de conférences, de lettres aux médias, de tables rondes grâce auxquelles Jean-Marc Léger ne cesse d’inciter les siens à la fierté linguistique et nationale et à la solidarité entre peuples francophones.
Cet homme n’est pas réductible à une seule visée ni même à une seule attitude. Il s’immergea dans la diplomatie, mais jamais pour y apprendre une langue feutrée et frileuse. Il y poursuivit, avec un entêtement souriant, le siège des institutions nécessaires au rôle international du Québec. S’il contribua, sa vie durant, à divers regroupements entre universitaires et pays francophones, jamais ce ne fut pour se dispenser des nécessaires audaces personnelles. Capable de collégialité, Jean-Marc Léger paya cent fois de sa personne. L’éditorialiste ne trouva pas toujours autour de lui des convictions et des perspectives semblables aux siennes; toujours, il livra haut et clair, avec les risques que cela comporte, les verdicts de sa conscience. Il n’a d’ailleurs jamais cessé de relever le gant lorsque ses valeurs lui semblaient attaquées.
Pour ce fervent Québécois, le français est un devoir et une gloire, un instrument et une volonté. Hissée par ses soins au raffinement et à la clarté, la langue française élimine le flou paresseux, les approximations périlleuses, les ronronnements soporifiques. La précision empêche le débat de s’enliser. L’élégance du verbe fait sentir à l’interlocuteur le respect dont Jean-Marc Léger l’honore, mais lui rappelle aussi le tribut que chacun doit à la langue. Lire Jean-Marc Léger, c’est apprendre de quoi la langue française est capable; c’est aussi se faire rappeler à l’ordre. Car la langue qu’écrit et parle, que défend et propage Jean-Marc Léger, c’est une langue belle, noble, dépouillée des scories populacières. En devient-elle éthérée, inefficace, sans prise sur le réel? Pour le croire, il faut n’avoir jamais lu ou entendu Jean-Marc Léger. Ce n’est pas parce que Cyrano s’exprime élégamment qu’il est moins bon bretteur et rien n’oblige le polémiste à s’abaisser en humiliant la langue. Jean-Marc Léger pratique un français élégant; qui le provoque découvre bientôt que ce français sait aussi se faire caustique et cinglant.
Que la langue fait vibrer l’âme même d’un peuple, toute la carrière de Jean-Marc Léger le démontre. La langue permet à un peuple de se chercher, de s’accomplir et de se dire. Quand elle se préserve des encanaillements démagogiques, la langue donne assise aux solidarités culturelles, amorce le dialogue des imaginaires, rompt les isolements qui accentueraient la fragilité, retentit bellement sur le monde. Ainsi servie, la langue française articule et unit en un tout cohérent l’admirable carrière de Jean-Marc Léger. Qu’il reçoive donc, en même temps que la gratitude de son peuple, le Prix du Québec qui honore la mémoire de Georges-Émile Lapalme.