On s’imagine souvent les mathématiciens comme des gens renfermés et n’ayant guère les pieds sur terre, à l’image du célèbre Professeur Tournesol. Luc Vinet est aux antipodes de ce stéréotype. Mathématicien et physicien brillant, il a voué une grande partie de sa carrière à l’organisation et au développement de la recherche et de ses institutions.
Luc Vinet naît à Montréal le 16 avril 1953. Ses parents l’imaginent ingénieur, lui se sent plutôt attiré par la physique théorique et les mathématiques. Dès l’école secondaire, il commence à lire sur le sujet, puis s’inscrit au collège avec une ambition : devenir professeur universitaire dans ces domaines, même si on le lui déconseille, car les possibilités d’emploi sont rares. À seize ans, il entre à l’Université de Montréal, décidé à réussir.
Luc Vinet est fasciné par l’incroyable efficacité des mathématiques à décrire des phénomènes naturels et à définir l’univers. Cet émerveillement constant le mène jusqu’à Paris, où il obtient un premier doctorat en physique théorique à l’Université Pierre-et-Marie-Curie en 1979, avant d’en décrocher un second l’année suivante, sur un sujet différent, à l’Université de Montréal. Le jeune chercheur fourmille d’idées. Il s’attaque d’abord aux équations de Yang-Mills, réputées extrêmement difficiles à résoudre. Tout au long de sa carrière, il s’intéressera particulièrement à la définition et à l’utilisation des symétries dans les modèles théoriques des systèmes physiques.
Luc Vinet s’exile ensuite brièvement aux États-Unis, le temps d’un stage au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), au cours duquel il rencontre sa future épouse. Mais c’est à Montréal que le scientifique espère développer un véritable groupe de recherche dans ses domaines de prédilection. En 1982, il revient à l’Université de Montréal comme chercheur boursier universitaire du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG). Il est nommé professeur titulaire dix ans plus tard.
Au département de physique, Luc Vinet recrute plusieurs de ses collègues et s’implique dans l’administration. Il lui semble naturel que ceux qui le suivront puissent bénéficier de meilleures conditions de travail que celles qu’il a connues au début de sa carrière. De 1993 à 1999, il dirige le Centre de recherches mathématiques (CRM). Sous sa gouverne, ce regroupement voit son financement doubler. Le CRM regroupe aujourd’hui 170 chercheurs et accueille chaque année environ 1 500 mathématiciens venus de partout dans le monde à la suite d’accords d’échange. Luc Vinet multiplie les contacts pour sortir les chercheurs de leur isolement. En 1999, il est à l’origine du MITACS, le réseau national de centres d’excellence en sciences mathématiques au Canada, puis du Réseau québécois de calcul de haute performance. Cette organisation permet aux scientifiques de toutes disciplines de mener des calculs complexes, que ce soit pour l’étude de nouveaux médicaments ou du climat.
Luc Vinet cherche aussi à faire sortir les mathématiques des universités, persuadé que le Québec ne retire pas assez de l’expertise de ses spécialistes. En 1996, il met sur pied et préside le Réseau de calcul et de modélisation mathématique (RCM2), un guichet unique d’expertise dans les domaines du calcul et de la modélisation, pour le compte d’une vingtaine d’entreprises partenaires. Avec Bell Canada, il conçoit aussi un nouveau modèle de collaboration directe : le Laboratoire universitaire Bell Emergis (LUBE), fondé en 1997, réunit des professionnels de Bell, des chercheurs académiques et des étudiants au sein d’équipes multidisciplinaires.
En parallèle, le chercheur poursuit ses travaux. En 1995, il démontre la conjecture de Macdonald et Stanley, qui avait résisté pendant plus de dix ans aux mathématiciens les plus chevronnés. Cette percée majeure en algèbre figure parmi les dix découvertes de l’année du magazine Québec Science. Auteur d’une centaine d’articles et de dix ouvrages scientifiques, il a donné depuis le début de sa carrière plus de 300 conférences dans le monde, en plus d’être professeur invité à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, et à l’Université de Californie, à Los Angeles.
En 1999, le mathématicien est choisi par l’Université McGill pour occuper le poste de vice-principal aux affaires académiques et celui de vice-recteur principal (provost), le plus important après celui de principal. Dès son arrivée, il met en œuvre un vaste plan de renouvellement du corps professoral visant à créer 1 000 postes en dix ans. Il atteint son objectif chaque année. Il pilote aussi la deuxième ronde de demandes de subventions à la Fondation canadienne pour l’innovation, la plus fructueuse que McGill ait connue à ce jour.
En juin 2005, Luc Vinet devient recteur de l’Université de Montréal. Il dégage une vision inspirée de cette grande institution qui s’articule autour de trois principes : toujours avoir l’étudiant au centre des préoccupations de l’Université; être en quête constante d’excellence autant en enseignement qu’en recherche; et œuvrer à faire de l’Université de Montréal une organisation moderne et exemplaire, forte d’une communauté solidaire et très engagée au sein de la société.
En quatre ans, le recteur Vinet chapeaute un nombre impressionnant d’initiatives : développement d’un nouveau campus et du projet des pavillons de sciences sur le terrain de la gare de triage d’Outremont acquis en 2006, création de l’École de santé publique, construction du Centre de biodiversité au Jardin botanique, établissement de la Cité du savoir à Laval… Luc Vinet est sur tous les fronts. Fervent défenseur de l’internationalisation des universités, il soutient que ces institutions doivent servir à appuyer ce qu’il nomme la « diplomatie du savoir ». Il encourage activement la participation du Canada à l’Espace européen de la recherche, tout en signant des contrats de solidarité avec des universités du Sud. L’infatigable recteur est aussi vice-président de la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec.
Entre deux missions, il trouve encore le temps de publier quelques articles scientifiques. Mais la force de rappel qui le maintient en piste, c’est avant tout sa famille, à laquelle il consacre le plus de temps possible. Sa femme, devenue neurologue après avoir repris des études à leur retour à Montréal, lui a donné trois garçons et une fille, aujourd’hui âgés de 11 à 19 ans. Toute la famille joue de la musique et s’adonne au ski. Le recteur n’a pas sollicité de second mandat. Pour l’instant, il aspire à relancer ses recherches, un peu délaissées ces derniers temps. Mais il avoue avoir bien d’autres projets en vue…