Depuis plus de 40 ans, Marcel Moussette se penche sur le patrimoine et sur la culture matérielle, un domaine d’études qui s’attache à connaître les sociétés à travers leurs objets. Ce chercheur, reconnu internationalement, est une figure marquante de l’archéologie historique au Québec et a grandement contribué à sa reconnaissance. Qui mieux que lui, formé dans plusieurs spécialités et orienté vers la recherche multidisciplinaire, peut révéler les différents aspects de cette approche et son importance dans la construction de la mémoire et de l’identité québécoises?
Marcel Moussette est né et a grandi à La Prairie, sur le bord du fleuve Saint-Laurent, un lieu dont la richesse patrimoniale a influencé son attrait pour les sciences humaines. « Dans ma famille, le savoir-faire artisanal relatif à la briqueterie, où ont œuvré mon père et mon grand-père durant toute leur vie de travail, se transmettait de génération et génération, dit-il. Ma voie semblait toute tracée, mais ma mère, une Montréalaise, passionnée de lecture, voulait que l’on fasse des études. » Après son cours classique, il fréquente donc l’Université de Montréal et y obtient un baccalauréat en biologie (1963). Il fait ensuite une incursion dans le domaine de la pêche expérimentale, « jusqu’à ce que les pêcheurs et leur technologie m’intéressent plus que le poisson », ajoute-t-il. Ses recherches en archives et l’enquête ethnographique réalisées dans le cadre de sa maîtrise en anthropologie (1967) conduisent à la publication du livre La pêche sur le Saint-Laurent (Boréal, 1979), un ouvrage défini comme un répertoire des méthodes et des engins de capture traditionnels, mais qui comporte de nombreuses données pour une histoire générale de la technologie de la pêche au Québec. Dans son avant-propos, il exprime déjà sa préférence pour les équipes multidisciplinaires, qui seules lui « apparaissent susceptibles de pouvoir faire progresser les connaissances de façon significative ». Ce point de vue marquera l’ensemble de sa carrière.
Dès les années 60, Marcel Moussette s’intéresse à l’archéologie historique nord-américaine. Archéologue puis historien de la culture matérielle pour Parcs Canada à Ottawa, il mène diverses recherches, la principale portant sur le chauffage, « un aspect central de l’adaptation des nouveaux venus européens au climat rigoureux de la vallée du Saint-Laurent ». Sa thèse de doctorat en arts et traditions populaires présentée à l’Université Laval, intitulée Le chauffage domestique au Canada (Presses de l’Université Laval, 1983), lui vaut la médaille Luc-Lacourcière, décernée annuellement par le Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions de l’Université Laval, le CELAT, à l’auteur du meilleur ouvrage en ethnologie de l’Amérique française. De 1975 à 1980, il participe à la mise sur pied de l’équipe de recherche en culture matérielle du bureau régional de Parcs Canada à Québec et la dirige.
C’est dans ce contexte, puis comme professeur à l’Université Laval à partir de 1981, qu’il pose les jalons de l’archéologie historique au Québec. Sa démarche rigoureuse l’amène à insister sur l’acquisition d’un vocabulaire exact, à établir des cadres de classification des objets ainsi qu’à réfléchir sur les théories et les techniques permettant d’appréhender les sites. Il est membre du Groupe de recherche en archéométrie de cette université dès ses débuts : « La conception de l’archéologie historique a évolué. D’abord marquée par les sciences humaines, au Québec elle s’est tournée de plus en plus vers les sciences pures dans les années 90. Ce changement est bienvenu, mais je crois qu’il faut quand même conserver un équilibre entre l’approche humaniste et celle plus technique de l’archéométrie. »
À l’Université Laval, Marcel Moussette enseigne tant en ethnologie qu’en archéologie, et ce, aux trois cycles. Il est également à l’origine d’un chantier-école et d’un laboratoire d’archéologie, devenus une référence. Son engagement conduit à la signature de deux ententes de fouilles archéologiques entre l’Université et des municipalités qu’il connaît bien et où se trouvent des arrondissements historiques, les villes de Québec et de La Prairie. Ces ententes contribuent à la formation pratique et théorique de plusieurs archéologues. Dans ce cadre, il dirige une cinquantaine de thèses et de mémoires et collabore à la révision ou à l’élaboration de programmes en ethnologie et en archéologie. Si bien qu’en 2009, Laval est la seule université de langue française en Amérique à offrir des diplômes en archéologie aux trois cycles. « L’enseignement universitaire et la direction de travaux de recherche ont été pour moi l’occasion de partager ma connaissance et mon expérience du métier, mais aussi d’établir une relation intellectuelle durable avec mes étudiants, la nouvelle génération, un dialogue qui continue de porter fruit jusqu’à ce jour! », souligne-t-il. L’œuvre de Marcel Moussette au sein de l’Université Laval est de plus indissociable du CELAT, dont il est l’un des chercheurs depuis 1982 et qu’il dirige de 2003 à 2006.
Par ailleurs, son esprit curieux explore plus particulièrement les traces de la Nouvelle-France en Amérique. Il scrute notamment les liens entre l’humain et son environnement terrestre et aquatique, tant en milieu urbain que rural. Mentionnons la fouille du premier Palais de l’intendant à Québec, de 1982 à 1990, et celle des sites ruraux de l’île aux Oies, de 1987 à 1997, pour lesquelles il a rédigé les synthèses Le site du Palais de l’intendant à Québec : genèse et structuration d’un lieu urbain (Septentrion, 1994) et Prendre la mesure des ombres : archéologie du site Rocher-de-la-Chapelle, île aux Oies (Éditions GID, automne 2009).
Marcel Moussette a constamment eu le souci de transmettre son savoir, que ce soit par des écrits, des communications ou encore des expositions. Sollicité par de nombreux comités à vocation patrimoniale, il a entre autres siégé à la Commission des biens culturels du Québec. Ses travaux lui ont permis de nouer des liens avec de nombreux chercheurs. La Société des Dix, qui réunit depuis 1935 dix spécialistes des sciences humaines préoccupés par le fait français au Québec et en Amérique, l’a accueilli dans ses rangs en 1997. De même, la médaille J. C. Harrington de la Society for Historical Archaeology, une des plus hautes distinctions dans cette spécialité, lui a été décernée en Grande-Bretagne en 2005. « La reconnaissance de l’archéologie au Québec a fait des progrès remarquables. Mais il faudrait faire plus de place à la recherche. Jusqu’à présent, ce sont surtout les grandes villes qui ont bénéficié de fouilles suivies d’analyses approfondies. Toutes les localités devraient avoir une possibilité d’accès à ce patrimoine », précise-t-il.
L’imagination de Marcel Moussette ne s’exprime pas seulement dans ses saisissantes reconstitutions du passé à partir des objets archéologiques; sa ferveur pour le récit l’a aussi entraîné à publier deux romans. « Il me faut mon heure de fiction chaque jour », avoue-t-il, et il aime bien suivre un auteur à travers l’ensemble de son œuvre, par exemple le créateur du roman fantastique Le Maître et Marguerite, l’écrivain russe Mikhaïl Boulgakov, ou encore l’Américaine Louise Erdrich qui explore en profondeur l’âme amérindienne. Sur un plan tout aussi personnel, il parle de sa famille comme « d’un lieu de liberté, de créativité et d’enrichissement mutuel ».
Bien qu’ayant pris sa retraite en 2007, Marcel Moussette est toujours professeur associé en archéologie au Département d’histoire de l’Université Laval et contribue à la formation d’étudiants aux cycles supérieurs. Il est également chercheur associé au CELAT. Des projets? Il parachève une synthèse très attendue sur l’archéologie de la présence française en Amérique, en collaboration avec un chercheur de l’Université de South Alabama. Et ensuite? Peut-être un voyage en Italie « pour admirer d’autres toiles de Caravaggio et pour retourner à Venise » et peut-être aussi entreprendre une nouvelle œuvre de fiction…
En 2009, le prix Gérard-Morisset récompense pour la première fois une carrière consacrée à l’archéologique historique. Au-delà de l’hommage, Marcel Moussette y voit « une consécration de ce champ de recherche par la société québécoise, qui s’est ainsi donné une autre façon de mieux connaître et comprendre son passé à partir des traces et vestiges matériels enfouis dans le sol ».