Née à Paris, Marguerite Mendell est arrivée au Québec à l’âge de trois ans. La professeure Mendell se souvient que son enfance a été bercée par les discussions animées et les échanges d’opinions. Elle précise que sa famille, originaire de l’Europe de l’Est, était particulièrement ouverte et que cette ouverture a sûrement influencé ses choix d’études et les chemins qu’elle a choisi d’emprunter.
Ainsi, alors qu’elle étudiait au premier cycle en sciences économiques à l’Université Concordia à la fin des années 1960, un cours l’avait particulièrement marquée : « C’était un cours d’histoire de la pensée économique. On y étudiait l’histoire et l’évolution de la pensée. On nous montrait qu’il n’y a pas de pensée unique, alors qu’aujourd’hui on enseigne une vision de l’économie quasiment unique. Cela m’avait beaucoup inspiré. »
C’est aujourd’hui, en tant que professeure titulaire à l’École des affaires publiques et communautaires de l’Université Concordia, que Marguerite Mendell insuffle sa vision singulière de l’économie. Elle est également cofondatrice et directrice de l’Institut Karl-Polanyi d’économie politique. Elle est d’ailleurs une spécialiste mondialement reconnue de l’œuvre de cet économiste hongrois et elle a organisé ou coorganisé onze colloques internationaux qui lui furent consacrés. Elle dirige aussi l’équipe de recherche sur l’économie sociale de l’Université Concordia dans le cadre d’un partenariat multiuniversitaire qui regroupe une trentaine d’organismes communautaires, syndicats et regroupements du Québec.
La professeure Mendell parle couramment le français, l’anglais et le hongrois. Elle est auteur, coauteur et coordonnatrice de rédaction d’un nombre impressionnant de monographies et de chapitres de livres, d’ouvrages collectifs et d’articles de revues reconnus pour leur qualité scientifique, souvent parus en français et en anglais, mais aussi traduits dans de nombreuses autres langues. Elle a également rédigé plus d’une dizaine de rapports de recherche substantiels pour des acteurs de la société civile, des gouvernements et des organisations internationales.
Elle partage sa carrière et ses travaux entre, d’une part, la recherche universitaire en économie solidaire où elle travaille à « accumuler assez d’évidences pour démontrer qu’il y a d’autres façons d’organiser l’économie », et, d’autre part, la pratique en s’impliquant auprès de nombreux organismes. En ce sens, sa contribution au développement économique communautaire et à l’économie sociale depuis 30 ans est remarquable.
Alors que la vision dominante actuelle voit l’économie de marché comme le seul modèle capable de mener à la rentabilité, l’économiste oppose un modèle différent. « L’économie sociale vise à ré-encastrer l’économie dans la société. C’est-à-dire que c’est la société qui détermine à travers ses besoins et ses désirs comment l’économie doit s’organiser. Dans cette vision, l’économie est un moyen d’atteindre les fins et non pas une fin en soi. C’est un autre paradigme qui choisit de privilégier les êtres humains plutôt que le rendement et le profit comme objectif principal. »
L’économie sociale se distingue en ce sens que les organisations qui la composent (organismes à but non lucratif, coopératives, entreprises collectives) répondent aux besoins qui ne sont comblés ni par le marché, ni par l’État. Leur structure juridique est également distincte de celle des entreprises privées. Ainsi, il n’y a pas d’actionnaires, mais bien des sociétaires ou encore des membres. Au Québec, ces organisations sont présentes dans tous les secteurs. Elles sont enracinées dans leurs territoires.
L’économiste insiste sur la capacité des entreprises collectives à réaliser des objectifs sociétaux tout en atteignant des objectifs de rendement et d’efficacité similaires ou supérieurs aux entreprises privées qui dominent actuellement nos sociétés.
Sans dire que l’on devrait remplacer toutes les entreprises existantes par des entreprises collectives, la voix de Marguerite Mendell s’élève pour nous rappeler que nous vivons dans une économie plurielle et qu’il est tout à fait légitime et possible d’envisager l’économie autrement.
Ainsi, pour elle, la meilleure organisation sociétale consiste en une combinaison d’entreprises privées, de celles dites d’économie sociale et d’entreprises publiques. « Il y a des forces dans chacun des modèles. Un système mixte avec un engagement de la part de l’État n’est pas seulement un souhait, mais quelque chose qui est logique, pragmatique. Les résultats sont meilleurs si on a une approche collaborative. »
Elle ajoute : « Il faut arrêter de regarder le monde d’une manière binaire : plus de marché ou plus d’État. La question qu’il faut se poser c’est : comment peut-on être plus créatif et plus innovant en travaillant ensemble? Le Québec est un milieu extraordinaire à cet égard. »
En effet, le Québec est reconnu pour être à l’avant-garde de la recherche, des politiques et d’une vaste gamme de projets à caractère communautaire dans le domaine de l’économie sociale. Pour la professeure, le nombre remarquable d’initiatives en ce domaine s’explique par différentes choses. « Le Québec a acquis à travers son histoire toute une tradition de coopération, notamment avec la création du Mouvement des caisses Desjardins au début du 20e siècle, qui a vu le jour pour répondre au besoin d’accès au crédit des milieux agricoles. Le rôle du mouvement coopératif dans le développement de l’économie québécoise s’est poursuivi par la suite. Il y a également une histoire riche et dynamique de l’engagement de la société civile dans le développement économique des territoires locaux et régionaux. » Par ailleurs, Marguerite Mendell donne pour explication de cette vitalité en économie sociale « la volonté de se démarquer et de construire un modèle québécois diversifié et concurrentiel, tout en rappelant l’importance du sentiment d’appartenance des Québécois dans ce modèle économique.»
Ainsi, les coopératives et les organisations à but non lucratif dans des milieux aussi divers que l’agriculture, l’éducation, les soins aux personnes, l’environnement, la fabrication, les médias, la communication, entre autres, répondent non seulement aux besoins en services des communautés, mais participent également à la définition de leur identité. Leur présence croissante dans une diversité de secteurs révèle un désir de travailler et d’entreprendre autrement.
Membre à part entière de cette mouvance, cette militante de l’économie sociale contribue activement à de nombreux projets sur le terrain. Entre autres, Mme Mendell figure parmi les membres fondateurs de l’Association communautaire d’emprunt de Montréal, premier fonds de crédit communautaire dont la mission est de générer du microcrédit pour les petites entreprises. Elle a également participé à la conception et à la mise en œuvre de la Fiducie du Chantier de l’économie sociale qui vise à favoriser l’expansion et le développement des entreprises collectives en améliorant leur accès au financement. Plus récemment, elle a pris part à la création de CAP Finance, le premier réseau de finance solidaire au Québec. Les efforts déployés par la professeure Mendell en vue de créer de nouveaux instruments financiers, d’établir des comparaisons internationales sur les meilleures pratiques en économie sociale et de favoriser la mise en place de politiques publiques visent au final à réduire la pauvreté.
Ambassadrice du modèle québécois en économie sociale, son expertise est reconnue à travers le monde entier. Elle transmet ses vastes connaissances de l’économie sociale au Québec dans le cadre de colloques d’experts, de rassemblements au sein de la société civile et de rencontres internationales, notamment celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de l’Organisation internationale du travail (OIT) et de l’Union européenne (UE). Elle était présente dernièrement à titre de conférencière à l’Université de Beijing et à l’Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social. Elle prononcera, en novembre 2013, la conférence d’ouverture au premier Forum international sur l’économie organisé par le Seoul Social Economy Development Center , nouvellement créé par le maire de Séoul.
La professeure Mendell a été, en 2012, la première lauréate du prix Pierre-Dansereau de l’engagement social du chercheur, prestigieuse distinction remise par l’Association francophone pour le savoir (Acfas).
L’économiste insiste sur la capacité de chacun à changer les choses et à influencer son milieu, et conclut : « La société évolue, mais pas mes valeurs que sont la justice sociale ou encore l’équité. Cela dit, les moyens d’atteindre mes valeurs évoluent et l’économie en est un. Plus les gouvernements collaborent avec les acteurs socio-économiques, plus c’est gagnant-gagnant pour l’ensemble de la société. »