Michel Chrétien, lauréate

Michel Chrétien, prix Armand-Frappier 2022

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Biographie

« Comme l’artiste, le scientifique débute devant un canevas blanc. Chaque jour, il ajoute une touche de couleur par ses expériences, ses lectures et ses intuitions. À la fin de sa carrière, il obtient une toile unique, la sienne. » Ainsi le Dr Michel Chrétien décrit-il sa profession aux jeunes en formation à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM).

Pour reprendre son analogie, le lauréat du prix Armand-Frappier 2022 crée une œuvre magistrale. Dès 1967, ce neuroendocrinologue formule la théorie des prohormones, selon laquelle le corps fabrique, à partir de précurseurs, des substances telles que l’endorphine (qu’il découvre en 1976). Il explore ces composés par un procédé, l’endoprotéolyse, qui révolutionne l’étude de plusieurs maladies : diabète, obésité, cancer, alzheimer, infections virales, etc. Ses découvertes font pleuvoir les récompenses, dont le prix Wilder-Penfield 2015. L’homme aux 615 articles est le 7e scientifique canadien le plus cité au monde dans les années 1980. Depuis 2018, il figure même dans le Larousse!

Si les percées savantes du Dr Michel Chrétien impressionnent, ses succès de gestion en font autant. Cet infatigable bâtisseur fonde et dirige au fil des ans de nombreux lieux d’érudition. Au passage, il défend le financement public de la recherche et la liberté d’enseignement. Son engagement contribuera à renforcer l’innovation au pays.

La recherche comme « nécessité absolue »

Le progrès des connaissances doit être considéré « comme une nécessité absolue plutôt que comme un luxe toléré ». Voilà ce que plaide l’expert dans une lettre publiée dans Le Devoir en 1974. Durant cette période, il présente aussi le mémoire qui engendre le programme de chercheurs boursiers du Fonds de recherche du Québec – Santé. « L’État doit faire confiance aux scientifiques ainsi qu’il le fait aux créateurs », dit-il encore aujourd’hui.

En 1960, après son internat à l’Université de Montréal, le Dr Chrétien pousse sa formation auprès de grands maîtres. Il étudie la recherche clinique avec Jacques Genest à l’Hôtel-Dieu de Montréal; la médecine expérimentale avec John Symonds Lyon Browne à McGill; l’endocrinologie avec George Thorn et George Cahill à Harvard; et la chimie des protéines avec Choh Hao Li à Berkeley. Plus tard, il côtoie Leslie Iversen à Cambridge et Roger Guillemin (prix Nobel de 1977) au Salk Institute pour s’initier à la neuroendocrinologie. « En science, des études diversifiées s’imposent pour assurer le succès à long terme », estime-t-il.

À 31 ans, il s’installe à l’IRCM, où il crée le premier laboratoire des protéines au Québec. Il implante des cours bilingues en biologie qui figurent aux programmes de l’Université de Montréal et de McGill – une première. En 1984, il prend la tête de son établissement. Sous sa gouverne, l’IRCM s’agrandit et augmente ses activités de recherche. Il recrute 16 directeurs de laboratoire dont, fait notable, 6 sont des femmes. « La rareté de la gent féminine dans ma profession me chicotait, relate-t-il. Dans ma famille, mes sœurs avaient autant de place que mes frères. » Près de 40 % des postes clés créés durant son mandat vont ainsi à des chercheuses, une mesure d’équité qui encourage l’évolution sociale.

Son influence en politique scientifique

En 1993, Michel Chrétien est déjà une sommité quand son frère Jean, de deux ans son aîné, est élu premier ministre du Canada. Dans la décennie suivante, le milieu de la science fleurit. Apparaissent alors les Instituts de recherche en santé, les Bourses du millénaire, la Fondation canadienne pour l’innovation, Génome Canada et 2 000 Chaires de recherche du Canada. Holà, l’exode des cerveaux! Le nombre de scientifiques investigateurs croît, comme leur productivité. Le Canada et le Québec brillent davantage sur la scène mondiale du savoir.

Selon nombre d’observateurs, cette période fertile doit beaucoup à l’influence du Dr Chrétien, aussi diplomate que déterminé. « Mon action a été discrète, assure-t-il humblement. J’ai toujours discuté des enjeux de mon métier avec mon frère. Tant mieux si des décisions éclairées en ont résulté. »

De 1998 à 2012, il s’installe dans la capitale canadienne pour diriger l’Institut Loeb de recherche en santé et cofonder l’Institut de biologie des systèmes d’Ottawa. L’année suivante, il se joint au Dr Jeremy Carver pour lancer le Consortium international sur les antiviraux, qui réseaute des scientifiques des cinq continents pour contrer les infections émergentes.

Son influence continue de s’étendre. Déjà, dans la décennie 1980, il accueillait à Montréal 50 stagiaires de Chine et instaurait un colloque bisannuel avec l’Institut Pasteur de Paris. Aux États-Unis, les prestigieuses conférences de recherche Gordon l’invitent en 1994 à créer une série de symposiums sur l’endoprotéolyse. En Angleterre, la Société royale de Londres le reçoit en 2009 comme fellow (membre), un honneur encore jamais attribué à un médecin canadien-français. En Allemagne, il convainc en 2012 le World Health Summit, événement en politique de la santé, d’admettre dans ses rangs l’Université de Montréal et l’IRCM.

Une œuvre qui se poursuit

À 86 ans, Michel Chrétien continue son œuvre. En 2012, il revient à l’IRCM et poursuit des recherches sur la COVID-19, l’athérosclérose, le cancer, le cholestérol et l’alzheimer. Encore récemment, il découvre dans quatre familles du Québec une mutation d’un gène qui protège des maladies cardiovasculaires et du foie. « Ce n’est pas chrétien comme ces personnes sont bénies des dieux », blague-t-il!

Pour se détendre, il lit moult biographies au son de la musique classique. Et surtout, il entretient l’autre passion de sa vie : sa famille. Avec Micheline Ruel, sa compagne depuis 62 ans, il dorlote leurs deux enfants, leurs quatre petits-enfants et leurs trois arrière-petits-enfants.

Michel Chrétien reçoit maintenant avec émotion le prix Armand-Frappier, nommé d’après l’un de ses héros de jeunesse. Le tableau de sa carrière, à quoi ressemble-t-il? On imagine des couleurs vibrantes et des traits hardis, à la manière de Riopelle, peintre qu’il admirait pour son audace. « Dans une société qui se respecte, la recherche doit être considérée au même titre que la culture », conclut-il. Une entreprise à laquelle il aura apporté sa touche de maître.

Résumé de la carrière de Michel Chrétien

Pour Michel Chrétien, la recherche est aussi bien la quête de la découverte qu’une profession à promouvoir. En 1967, il a formulé la théorie des prohormones et découvert l’endorphine, propulsant ainsi le Québec comme chef de file en neuro-endocrinologie et en métabolisme. Sous sa gouverne, l’Institut de recherches cliniques de Montréal s’est agrandi et a prospéré par l’embauche de nombreux chercheurs, dont plusieurs femmes. Le Dr Chrétien défend avec ferveur la liberté académique et le financement de la recherche. Son influence s’étend sur plusieurs continents.

Information complémentaire

Crédit photo :
  • Éric Labonté