La plupart des gens font tout ce qu’ils peuvent pour fuir les ennuis. Michel Drouet, lui, va au-devant d’eux! Cet ingénieur physicien a passé sa carrière à relever des défis technologiques pour des entreprises. « Ce qui me passionne, c’est de résoudre des problèmes, précise-t-il. Je suis un bricoleur, un créatif, un non-conformiste. J’aime trouver des solutions inédites. »
De toute évidence, il a eu bien du plaisir au fil des ans. Cet inventeur prolifique a obtenu vingt brevets pour des procédés industriels à haute température. Il a notamment mis au point des technologies pour produire de l’aluminium, des torches pour incinérer les déchets, de la poudre pour imprimer des objets en 3D. Ses innovations sont utilisées aux quatre coins du monde, au Québec et du Japon jusqu’en Afrique du Sud.
Dire que ce visionnaire se destinait à devenir mécanicien automobile. « Mon plan a mal tourné, hein? » lance-t-il avec humour. Michel Drouet grandit dans le village français de Grandvilliers auprès de sept frères et sœurs. Dans sa famille, on n’étudie pas longtemps. À l’école technique, une professeure lui conseille toutefois de poursuivre sa formation, en lui offrant même les cours d’anglais requis pour l’admission au cours d’ingénieur. Grâce à elle, il obtient un diplôme d’ingénieur mécanique à Paris. Suivront une maîtrise en aéronautique au Massachusetts Institute of Technology et, en 1967, un doctorat en physique à l’Université de Montréal.
Michel Drouet est aussi persévérant que curieux. Rien ne peut l’empêcher de tester une idée qui lui vient. « Je n’accepte jamais un concept comme du bon pain. Je goûte avant », dit-il.
Cette histoire en témoigne. En 1975, lors d’une conférence, il entend un spécialiste raconter qu’on a mesuré des champs magnétiques intenses autour de plasmas produits par une puissante impulsion laser. Le plasma, un état de la matière, se présente dans ce cas comme une boule de feu. Une idée frappe le jeune homme. S’il y a des champs magnétiques là-dedans, il doit bien y avoir des courants électriques, non? Dès son retour, il se rend à Varennes, à son laboratoire à l’Institut de recherche d’Hydro-Québec. Il fixe une minuscule sonde de courant à une plaque de cuivre et déclenche l’impulsion laser. Il mesure vingt mille ampères dans la boule de feu. C’est énorme! Sa découverte fascine la communauté scientifique, en approfondissant la compréhension des phénomènes jouant un rôle dans une explosion nucléaire. L’ingénieur sera invité à présenter des conférences sur le sujet, entre autres dans plusieurs centres de recherche militaire, comme ceux de Los Alamos et de Livermore, aux États-Unis. Il en tirera aussi un doctorat d’État soutenu à l’Université de Paris en 1978.
Pour Michel Drouet, la science n’est pas un objectif en soi. C’est un moyen de produire quelque chose. « Le plus beau à mes yeux, c’est de voir mes inventions utilisées dans l’industrie », confie-t-il.
Le secteur métallurgique profite également de son regard novateur. L’ingénieur a consacré des années à améliorer la valorisation des écumes d’aluminium. Pour récupérer le métal contenu dans ces sous-produits d’usine, il fallait auparavant les chauffer dans des fours au gaz ou au mazout en y ajoutant des sels fondants nocifs pour l’environnement. Et si on utilisait plutôt une torche à plasma d’air? En 1987, il participe à la mise au point du procédé, qui sera implanté par Alcan dans une usine de Chicoutimi, vendue ensuite à la Scepter Aluminum Company.
Mais la technologie n’est pas parfaite, car le plasma d’air brûle une partie du métal récupérable. Lors d’une conférence, Michel Drouet se fait interpeller à ce sujet par des représentants d’une aluminerie italienne. Il dîne alors avec eux pour mieux comprendre leurs préoccupations en matière d’efficacité. À l’heure du café, il les remercie, en annonçant qu’il travaille déjà sur un système plus efficace. « C’était vrai… depuis cinq minutes. La technologie présentée avant le repas a été supplantée par celle inventée au dessert! » Dans ce nouveau dispositif, nommé DROSCAR, la torche est remplacée par deux électrodes de graphite dans une gaine d’argon, ce qui prévient la combustion d’aluminium. Des fours de ce type sont installés au Laboratoire des technologies de l’énergie de Shawinigan, mais aussi en France, au Japon et en Afrique du Sud.
« Michel Drouet a marqué à sa façon le monde de l’aluminium au Québec. Ses inventions et nouveaux procédés représentent des avancées importantes pour cette industrie », estime Marc Lefebvre, président de l’entreprise Entrepac, située à Baie-Comeau. En 1994, M. Drouet remporte d’ailleurs le trophée de l’Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie.
En 1995, l’inventeur décide de quitter son emploi pour exploiter sa technologie de traitement des écumes d’aluminium DROSCAR. Malheureusement, la licence lui échappe. Mais un matin de décembre, il sent germer une nouvelle idée : il va fournir l’énergie requise pour la coulée du métal grâce à la combustion d’une partie du résidu de traitement. La technologie DROSRITE est brevetée deux ans plus tard.
« La nécessité est mère de l’invention, dit l’homme avec philosophie. Ça m’est arrivé de frapper un mur et de trouver une solution en l’espace de quelques secondes. Le processus inventif fonctionne étrangement. Une chose est sûre, il exige de la résilience. »
Michel Drouet s’attelle ensuite à un tout autre défi. En 1998, avec l’entreprise Perma, il perfectionne une torche à plasma d’air capable de consumer rapidement de grandes quantités de déchets. Le produit est adopté par la marine américaine, qui l’installe sur deux porte-avions. M. Drouet participera aussi à l’adaptation de cette technologie pour traiter les boues de l’incinérateur de Salaberry-de-Valleyfield.
Le projet dont il est le plus fier, c’est cette poudre de titane extrafine destinée à l’impression 3D. Cette technologie séduit l’entreprise AP&C, qui l’acquiert en 2004 et qui invite Michel Drouet à se joindre à elle afin qu’il améliore la qualité de cette poudre. L’ingénieur dote le réacteur d’un dispositif qui sépare la poudre de titane de la poussière ambiante. Le résultat : une substance pure et fluide, aux grains bien sphériques; un matériau de choix pour façonner une variété d’objets, dont les implants biomédicaux. L’usine AP&C de Boisbriand prospère, si bien que la firme suédoise Arcam l’acquiert en 2013 pour la somme de 35 millions de dollars.
De l’avis de Michel Drouet, l’impression 3D annonce une révolution industrielle à laquelle le Québec devra participer. « Il faut valoriser l’invention et prendre les mesures requises pour en tirer profit », plaide celui qui est maintenant chef scientifique de Technologies MGA, à Montréal. Par ailleurs, il participe aux essais en laboratoire d’un nouveau procédé de valorisation de déchets industriels. Non, sa carrière scientifique n’est pas terminée!
Quand il n’est pas en train de réfléchir à une future innovation, le lauréat du prix Lionel-Boulet 2016 discute des méandres de l’esprit humain avec sa conjointe, qui est psychologue. En retraçant sa propre carrière, il se trouve privilégié. « Jusqu’à maintenant, j’ai toujours eu des jobs qui m’ont permis de tester des idées farfelues, fait-il, un sourire dans la voix. Ça, c’est formidable. »