Ce moment agréable où l’on glisse doucement dans le sommeil,
en route vers le monde des rêves, voilà le principal sujet d’étude
de Mircea Steriade. Toutefois, ce qui l’intéresse, ce ne sont pas tant
les lambeaux de conscience que conserve alors l’esprit que la façon dont
le cerveau et, plus précisément, les cellules du thalamus et du
cortex modifient leur activité lors du passage de l’état de veille
au sommeil.
Le docteur Steriade dirige le Laboratoire de neurophysiologie de la Faculté
de médecine de l’Université Laval, qu’il a lui-même fondé
en 1969. Sous sa direction, ce laboratoire va s’imposer comme l’un des meilleurs
centres de recherche au monde sur le comportement des cellules dans le contrôle
cérébral du cycle veille-sommeil.
Une carrière sur deux continents
Mircea Steriade fait des études de médecine, couronnée
par un doctorat en 1952, avant de se diriger vers la recherche en sciences neurobiologiques.
Il obtient en 1955 un second doctorat en sciences de l’Institut de neurologie
de l’Académie des sciences de Bucarest. Il présente alors une
thèse ayant pour sujet l’influence du cervelet sur l’activité
électrique du cortex cérébral. La publication d’une monographie
sur le même sujet lui permet de quitter la Roumanie pour effectuer un
stage postdoctoral à Bruxelles, auprès d’un éminent neurophysiologiste,
le professeur Frédéric Bremer.
De retour à Bucarest en 1958, Mircea Steriade dirige pendant dix années
le Laboratoire de neurophysiologie de l’Institut de neurologie. Il y démontre
pour la première fois que les signaux électriques provoqués
par des stimulations lumineuses dans le thalamus (principal relais entre les
organes des sens et le cortex) sont augmentés lors de l’éveil
par des stimulations lumineuses.
En 1968, la rencontre de Mircea Steriade, en France, avec un chercheur de l’Université
de Montréal, Jean-Pierre Cordeau, marque un tournant décisif dans
sa carrière et dans sa vie. Il quitte la Roumanie et vient poursuivre
ses recherches au Québec, à l’Université Laval. Il y trouve
un terrain neuf et des conditions de travail qui vont permettre à sa
recherche de s’épanouir. Trente-trois années plus tard, les travaux
du docteur Steriade se situent toujours à la fine pointe de la recherche
fondamentale sur les états de sommeil et de veille. Ses recherches sont
constamment soutenues par le Conseil de recherches médicales du Canada
(récemment transformé en Institut de recherche en santé
du Canada), par d’autres organismes fédéraux et provinciaux ainsi
que par le National Institute of Health des États-Unis et un organisme
international prestigieux (Human Frontier Science Program).
Pendant le sommeil
Le docteur Steriade se penche d’abord sur les fluctuations de l’activité
des neurones thalamiques et corticaux aux différents niveaux de vigilance.
Avec son équipe, il met en évidence, par des méthodes physiologiques,
les neurones du thalamus et du cortex cérébral qui entrent en
action pendant l’état de veille et l’état de sommeil. Il montre,
de plus, comment ces états présentent deux types de fonctionnement
différents.
Cependant, l’événement contribuant de plus près au rayonnement
des travaux de Mircea Steriade est sans aucun doute la découverte du
noyau réticulaire entourant le thalamus, comme générateur
de certains signaux électriques caractéristiques de la phase d’endormissement.
Ces signaux se traduisent, sur l’électro-encéphalogramme, par
des oscillations en forme de fuseaux. La découverte de ces signaux permet
aux chercheurs d’établir un lien entre l’activité des cellules
du thalamus et du cortex et l’épilepsie du type « petit-mal ».
En effet, ces crises se produisent surtout pendant les périodes de sommeil
caractérisées par les mêmes signaux en fuseaux.
Au cours des dernières années, l’équipe du professeur
Steriade s’est penchée sur une oscillation nouvelle, plus lente, qui
apparaît pendant les phases tardives du sommeil et disparaît lorsque
le sujet est éveillé. C’est la première fois que ces rythmes
lents d’origine corticale sont étudiés et que leurs mécanismes
cellulaires sont élucidés.
Un auteur prolifique
Deux importantes monographies, parues en 1990 (Thalamic Oscillations and
Signaling et Brainstem Control of Wakefulness and Sleep), rendent compte
des travaux du docteur Steriade. Ces derniers sont aussi l’objet d’une analyse
laudative dans la revue Science, qui n’hésite pas à parler
d’apogée technique et d’ouvrages destinés à faire époque.
En 1997, Mircea Steriade publie deux volumes sur le thalamus qui seront élogieusement
qualifiés d’œuvre monumentale dans la revue Trends in Neuroscience.
En 2001, il signe The Intact and Sliced Brain, une monographie qui compare
les résultats obtenus in vivo avec ceux des études menées
en tranches isolées du cerveau.
Travailleur inlassable, Mircea Steriade publie de très nombreux articles
(330 à ce jour) dans les meilleures revues de sa spécialité,
notamment dans Science, Nature, le Journal of Neuroscience, le
Journal of Neurophysiology, ainsi que le Journal of Physiology
et Neuroscience. Il écrit également des ouvrages théoriques
concernant l’histoire des connaissances sur le cerveau ou les rapports entre
le cerveau et la conscience. Éditeur en chef d’une nouvelle revue parue
en 2001, Thalamus and Related Systems, Mircea Steriade fait en outre
partie du comité éditorial de quatre autres revues de neuroscience.
Membre d’honneur de la Société de neurologie de Paris, il reçoit,
en 1965, la médaille Claude-Bernard de l’Université de Paris et
devient, en 1989, le premier lauréat du Distinguished Scientist Award
de la prestigieuse Sleep Research Society. Depuis 1994, le docteur Steriade
est membre de la Société royale du Canada (Académie des
sciences).
Ses nombreuses études, les ouvrages qu’il a publiés et les distinctions
qui lui ont été remises démontrent bien que Mircea Steriade
continue de faire preuve d’un flair et d’une productivité qui le situent
au premier plan de la recherche en neurophysiologie. Avec lui, cette recherche
connaît d’ailleurs à l’heure actuelle une évolution à
un rythme accéléré.