Monique Leyrac, lauréate

Naissance le 25 février 1928 à Montréal, décès le 15 décembre 2019 à Cowansville

Entrevue

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Biographie

Dans le village des Cantons-de-l’Est où Monique Leyrac s’est établie, il arrive que des gens lui demandent si elle chante encore. « Pas même dans ma salle de bain », répond-elle de son ton légèrement gouailleur.

À 85 ans, l’icône des années soixante jouit d’une retraite confortable, au pied d’une montagne verdoyante, au milieu de son immense jardin. Artiste multidisciplinaire avant la lettre, reconnue aussi bien pour sa maîtrise vocale que pour ses talents de comédienne, elle jure ne ressentir aucune nostalgie à l’égard de sa longue et prodigieuse carrière. Sauf que, depuis quelque temps, à son grand étonnement, elle a recommencé à fredonner les airs de sa jeunesse.

Née en 1928, à Montréal, Monique Leyrac a été la première artiste de la chanson québécoise à s’illustrer sur la scène internationale. « J’ai grandi durant la crise, dans une famille très pauvre. Quand ma mère est partie travailler en usine, c’est moi qui me suis occupée de la maison. Je mémorisais tous les couplets à l’eau de rose que j’entendais à la radio. Ce sont eux qui me reviennent aujourd’hui. »

À 15 ans, elle passe une audition pour le rôle principal dans Le Chant de Bernadette, un radioroman produit par la station CKAC. Contre toute attente, elle est choisie. « Ce fut le plus beau jour de ma vie », écrit-elle dans Mon enfance à Rosemont, un récit autobiographique publié en 1983. Dans le tramway la ramenant à la maison, parmi les travailleurs, Monique Leyrac comprend que son destin vient de basculer. « J’ai toujours su saisir ce que la vie m’a offert. »

Après un passage au Faisan doré à Montréal, elle s’embarque, en compagnie de Charles Aznavour, pour New York où ils vont voir Édith Piaf se produire au Versailles. Puis, direction Paris où elle passera un an à chanter dans les différentes boîtes à la mode. Elle effectue ensuite une tournée en Belgique et au Liban. « J’ai parcouru le monde pas mal, résume-t-elle. Entre les tours de chant, j’allais au musée. Je suis complètement autodidacte. À part les quelques cours de théâtre que j’ai suivis avec Jeanne Maubourg durant ma jeunesse, j’ai toujours dirigé mon affaire moi-même. »

En 1958, elle tient divers rôles à la scène dont celui de Polly dans
L’Opéra de Quat’sous. « On jouait à Québec, raconte-t-elle. Après le spectacle, un type est venu nous saluer. C’était Gilles Vigneault. Moi, je ne le connaissais pas. Il disait s’en aller à Montréal. J’ai proposé de l’emmener. Il faisait un temps à ne pas mettre un chien dehors. On avançait à 20 milles à l’heure et ça a duré toute la nuit. Et jusqu’à la fin, il m’a chanté des chansons. C’était extraordinaire. »

À la même époque, la télé de Radio-Canada lui propose de prendre la barre de Pleins Feux, la grande émission de variétés du dimanche soir. « Il fallait du contenu. J’ai donc appelé Vigneault et aussi Claude Léveillée pour qu’ils me fournissent du matériel. Par la suite, ils ont beaucoup insisté pour que j’enregistre un disque de leurs chansons. Ce fut mon premier microsillon. »

En 1965, au Festival international de la chanson de Sopot en Pologne, elle rafle le Grand Prix du Festival pour son interprétation de Mon pays de Vigneault et celui de la Journée polonaise avec La petite mélodie qui revient. Ce doublé sera suivi d’un Grand Prix du Festival de la chanson d’Ostende en Belgique. Ces honneurs marquent une étape décisive dans l’histoire de la culture québécoise et provoquent un sentiment intense de fierté nationale. Plusieurs se souviennent de sa silhouette racée sur les écrans noir et blanc de nos télévisions. « J’ai longtemps passé pour une porte-parole du mouvement nationaliste. Mon cœur était là bien sûr, mais je déteste prendre parti. J’ai lutté toute ma vie pour ma liberté. J’ai toujours fait ce que j’ai voulu. »

Fin des années soixante, sa présence charismatique et sa voix chargée d’intensité lui ouvrent les portes des plus grandes salles de concert du monde. Après une tournée canadienne qui la conduit jusqu’à Vancouver, elle triomphe au Town Hall de New York et au Massey Hall de Toronto. Elle se produit au Carnegie Hall ainsi qu’à l’Olympia. Elle est proclamée trois fois « meilleure chanteuse de l’année » et trois fois « femme de l’année » par les rédactrices des rubriques féminines de la presse canadienne. Elle passe également en vedette principale au Ed Sullivan Show. « J’y ai fait moins d’effet que les Beatles mais tout de même… » À Londres, après un concert en l’honneur de la princesse Margaret, on lui présente un jeune inconnu. Il s’appelle Luc Plamondon et ils sont appelés à travailler ensemble.

Quelques années plus tard, elle fait appel à l’auteur des
Chemins de l’été (Dans ma camaro…), pour un spectacle très innovateur qu’elle entend monter avec l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM). « Luc débutait comme parolier, rappelle-t-elle. Je lui ai proposé d’écrire des textes sur des musiques classiques pour mon concert avec l’OSM. »

Elle a déjà une quinzaine d’albums à son actif lorsqu’elle entame, avec André Gagnon, la création d’un récital consacré à Émile Nelligan. Jugeant l’aventure suicidaire, les compagnies de disques refusent de s’impliquer. Qu’à cela ne tienne, Leyrac prend tout sur ses épaules. À la surprise générale, les premiers soirs au Patriote de Montréal affichent complet. Monique Leyrac chante Nelligan recevra le même traitement partout à travers le Québec, en tournée en Ontario également, pour terminer sa course triomphale au Théâtre de l’Odéon, à Paris. « Un succès inespéré. Les gens venaient dans ma loge après le rideau, tombaient sur mon épaule en pleurant. »

Ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’elle met son talent au service des poètes québécois. Elle se lance notamment dans un récital incomparable des chansons de Félix Leclerc sans parler de tous les auteurs-compositeurs dont elle a fait résonner les couplets de Moscou à Rivière-du-Loup.

Première artiste québécoise à présenter des solos, à l’aise aussi bien chez Molière que chez Michel-Marc Bouchard, Monique Leyrac a renouvelé les arts de la scène. Comme conceptrice de spectacles, elle a fusionné chant et théâtre pour accoucher d’une formule unique, très avant-gardiste. Que ce soit sous les traits de Sarah Bernhardt, pour évoquer le tandem
Brecht-Prévert, ou pour rendre hommage à Baudelaire, elle a su chaque fois étonner, toucher l’âme, servir les mots, incarner la poésie quoi.

Plusieurs aujourd’hui voudraient la voir de nouveau sous les feux de la rampe. « Même si elle avait la voix chevrotante! » implorait Pierre Harel dans une chronique publiée l’an dernier. « Elle saurait être grande! Elle saurait être noble! Elle l’a toujours été! »

Information complémentaire

Date de remise du prix :
12 novembre 2013

Membres du jury :
Danielle Bilodeau
Thérèse Boutin
Diane Juster
Raymond Legault, président
Édouard Lock

Crédit photo :
  • BAnQ, Monique Leyrac, A.Désilets – 1960-1970
Crédit vidéo :
Production : Sylvain Caron Productions Inc.
Réalisation : Sylvain Caron
Coordinateur de production : Frédéric Blais-Bélanger
Caméra et direction photo : Frédéric Blais-Bélanger
Prise de son : Serge Bouvier, Jean-François Paradis
Maquillage : Camille Rouleau
Montage : Frédéric Blais-Bélanger, Sylvain Caron, Ian Morin
Mixage sonore : Studio SonG
Musique originale : Luc Gauthier
Entrevues : Suzanne Laberge
Texte :
  • Hélène de Billy