En 1992, le premier multiplexeur sous-marin au monde est installé au beau milieu de l’Atlantique. Cet appareil, qui permet d’aiguiller les télécommunications par fibre optique entre l’Amérique du Nord et l’Europe, n’a jamais connu depuis la moindre panne. À l’origine de cette prouesse, une compagnie de Pointe-Claire, MPB Technologies, qui compte 250 employés et le plus haut taux de titulaires d’un doctorat de toutes les entreprises canadiennes. Et à l’origine de MPB se trouve un homme, Morrel P. Bachynski, physicien, ingénieur, mais également entrepreneur hors pair et brillant gestionnaire.
Morrel P. Bachynski se définit lui-même, non sans humour, comme un « cultivateur de la R-D ». Né d’un père ukrainien et d’une mère polonaise à Bienfait, en Saskatchewan, il aurait pu, à l’instar de son frère, décider de travailler dans l’entreprise familiale comme fermier. Toutefois, ses parents le poussent vers les études et ses professeurs du secondaire l’encouragent à aller à l’université. Il choisit le génie physique, pour son côté pratique. Grandir à la ferme apprend à innover quand on doit tout réparer avec les moyens du bord! De toute évidence, c’est un bon choix, car ses notes sont excellentes. Après sa maîtrise, Morrel P. Bachynski quitte Saskatoon pour le Québec, histoire de voir du pays. À 24 ans, il termine son doctorat à l’Université McGill et s’installe définitivement à Montréal, où il commence sa carrière de chercheur chez RCA Canada. Il y joue un rôle prépondérant dans la mise au point de nouvelles technologies spatiales et de dispositifs opto-électroniques, qui donneront par la suite naissance à deux entreprises phares de l’industrie québécoise : ETS Canada, qui emploie aujourd’hui près de 500 personnes, et PerkinElmer Optoélectronique, qui compte plus de 600 salariés à Vaudreuil.
Gravissant rapidement les échelons de la hiérarchie, Morrel P. Bachynski est vice-président responsable de la recherche-développement lorsqu’en 1976 RCA annonce la fermeture de son laboratoire de Sainte-Anne-de-Bellevue. On lui offre une mutation aux États-Unis, mais le physicien refuse de s’expatrier. Il préfère se lancer dans une nouvelle aventure : fonder sa propre entreprise et offrir ainsi un emploi à la trentaine de chercheurs qu’il dirige alors. En 1977, sans aucune subvention gouvernementale, il crée MPB Technologies, «sa propre ferme», dit-il en plaisantant. Récolter ce que l’on sème sans chercher à devancer le rythme de la nature, se mettre à l’abri du mauvais temps en évitant l’endettement, viser l’équilibre plutôt que la croissance, ces préceptes empreints de sagesse terrienne le guident sur les chemins du succès. Morrel P. Bachynski est à la fois le père de l’entreprise et l’ingénieur chef d’orchestre qui inspire ses collaborateurs et sait les écouter. Son dossier de publications scientifiques – plus de 90 à ce jour, et la liste continue de s’allonger! – est d’une rare fécondité pour un industriel. Il est également coauteur d’un ouvrage de référence sur la cinétique des particules de plasmas. Il prouve qu’il sait aussi transformer de nouvelles connaissances en occasions d’affaires.
Au fil des ans, on doit à Morrel P. Bachynski plusieurs innovations majeures en matière d’optique, de photonique et de physique, à titre individuel et au nom de son entreprise. Plutôt discret, l’ingénieur entrepreneur s’enflamme lorsqu’il parle des activités de sa firme et de ses réalisations. Pour la recherche spatiale, MPB construit notamment des équipements utilisés à bord de la station Mir. La compagnie est aussi le principal fournisseur du programme Tokamak de recherche sur la fusion nucléaire, un des plus gros projets scientifiques jamais entrepris au Québec. Ces réussites permettent à la compagnie de se tailler une réputation mondiale dans ces domaines. Aujourd’hui, MPB Technologies conçoit et commercialise différents types de lasers, destinés à la recherche scientifique, à l’industrie de l’optique ou au milieu médical. L’entreprise fournit en outre de nombreux dispositifs sophistiqués aux compagnies de télécommunications, tels que le multiplexeur sous-marin, et, de plus, des optimiseurs photoniques, qui améliorent la transmission du signal lumineux dans les fibres optiques et permettent ainsi de faire de substantielles économies. MPB est également à la tête d’un consortium de cinq organisations québécoises pour la conception de systèmes de télérobotique et peut s’enorgueillir d’être l’un des dix plus grands laboratoires de recherche industrielle au Québec.
Dès ses débuts comme chef d’entreprise, Morrel P. Bachynski sait se familiariser avec la mécanique complexe des marchés d’exportation et connaît un franc succès à l’étranger. Au Canada, sa compagnie est considérée comme un modèle, qui lui vaut de nombreuses distinctions, telles que le Canada Enterprise Award en 1977, le prix PME (Québec) en 1988 et la Médaille d’or du Canada Award for Business Excellence en 1990. À titre individuel, ses talents de chercheur et de gestionnaire de la R-D sont aussi récompensés, notamment par l’Association canadienne pour la gestion de l’innovation, l’Association de la recherche industrielle du Québec et l’Association canadienne des physiciens. Il reçoit en outre le Prix scientifique du Québec en 1974, et le titre de docteur honoris causa des universités McGill, Concordia et de Waterloo au cours de la dernière décennie.
Ne comptant pas ses heures de travail, gardant tout juste assez de temps pour se maintenir en forme et se détendre sur les courts de tennis, Morrel P. Bachynski se porte toujours volontaire pour animer la recherche scientifique au Canada. En 1968, il est déjà président de l’Association des physiciens du Canada et président du comité canadien de l’Union scientifique internationale de communications radio. Par la suite, il assume de nombreuses autres responsabilités, occupant notamment les postes de vice-président de l’Académie des sciences de la Société royale du Canada et de président de l’Association des scientifiques, ingénieurs et technologues du Canada ainsi qu’en étant membre du conseil d’administration de l’Académie canadienne du génie. Il est aussi un membre clé du consortium de recherche industrielle PRECARN. Et même si toute sa carrière se déroule dans le secteur privé, Morrel P. Bachynski tient toujours à s’investir dans la recherche publique, notamment comme membre de comités consultatifs de plusieurs universités canadiennes.
Malgré toutes ses récompenses et le succès de sa compagnie, le chercheur entrepreneur sait rester humble et garder les pieds sur terre. Travailler dur, innover, résoudre des problèmes et prendre plaisir à oeuvrer… Morrel P. Bachynski n’arrêterait pour rien au monde!