Paul Chamberland, lauréate

Naissance le 16 mai 1939 à Longueuil, décès le à 

Entrevue

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Biographie

C’est un homme doux. Et un homme en colère. C’est un utopiste dégrisé, un inquiet qui espère. C’est surtout un résistant, Paul Chamberland. Et un écrivain. Pour lui, c’est la même chose : « Je vois l’écriture comme une précieuse ressource pour comprendre en quoi résister est nécessaire et par rapport à quoi, envers qui, ou en vue de quoi. »

Écrire, résister. C’est le parcours d’une vie pour ce poète et essayiste né à Longueuil en 1939. Après une enfance qu’il juge « sans histoire », il découvre à 16 ans Baudelaire et Rimbaud, griffonne ses premiers poèmes dans la foulée. Très tôt, il a ce qu’il appelle « la pré-science d’une œuvre totale » et « un désir puissant de la réaliser ». Mais, constate-t-il aujourd’hui : « Je me suis toujours avancé sans jamais l’atteindre. »

C’est à l’adolescence, aussi, qu’il ressent ce qu’on pourrait appeler l’appel du sacré. « J’avais à la fois un désir très intense de sainteté et de poésie, ça formait un alliage pour moi. »

Il va bien devenir séminariste, mais son rêve de prêtrise va finir par le lâcher. Vers l’âge de 20 ans. Pas assez mystique pour lui, le monde religieux dans lequel il évolue. « J’éprouvais un sentiment de révolte contre le matérialisme spirituel du milieu catholique québécois. Je rêvais d’une espèce de liberté spirituelle, et je me disais qu’il serait grandement temps qu’on débouche sur cette liberté. »

La liberté, c’est dans la poésie qu’il va la trouver. Dès 1962, il publiera Genèses, suivi en 1964 de Terre Québec, qui lui vaudra le Prix de la province de Québec. Puis, un an plus tard, ce sera L’afficheur hurle. Où la poésie elle-même sera mise à mal : « et tant pis si j’assassine la poésie / ce que vous appelleriez vous la poésie / et qui pour moi n’est qu’un hochet / car je renonce à tout mensonge / dans ce présent sans poésie / pour cette vérité sans poésie… »

C’est dans les mêmes années qu’il cofonde la revue Parti pris, sous le credo indépendance-socialisme-laïcité. « L’indépendance était pour nous la forme que prenait notre désir de révolution. Nous avions une visée internationaliste. Nous n’avons jamais prôné un nationalisme qui voulait marquer une identité ferme, une espèce de noyau homogène. L’indépendance, pour nous, c’était faire sauter les verrous pour aller plus loin, c’était sortir de notre situation de colonisés qui nous gardait en prison et nous empêchait de nous ouvrir au monde. »

Après les années mystiques, puis la période ouvertement engagée politiquement, il y aura une cassure. Une autre. Nourrie, celle-là, par des études en littérature avec le sociologue marxiste Lucien Goldmann, à Paris. Et par Mai 68, vécu sur le terrain. Au retour, ce sera la plongée dans la contre-culture, avec des participations à Mainmise et Hobo-Québec.

Viendront ensuite les années dites de la commune, de 1973 à 1978, à Morin Heights, où hommes, femmes et enfants expérimenteront au quotidien l’utopie. À leurs yeux, c’est clair, à l’époque : « L’utopie est réalisable, pour nous c’est commencé. »

Puis c’est le désenchantement. La période rose est finie. C’est une prise de conscience effrayante : la planète fout le camp, le désastre nous pend au bout du nez, on court droit vers un mur. Voilà ce qui prend le devant, dans les années 1980, pour Paul Chamberland.

Un bémol, cependant : « Devenant vert, je suis resté rouge. C’est-à-dire que la question de la critique politique est demeurée, même si l’idéal révolutionnaire était mort. »

Autrement dit : « Je me suis penché sur la question de la justice, sur le lien entre les inégalités, la monstruosité de l’économie, d’une part, et, de l’autre, la dégradation du milieu terrestre. Pour moi, c’était un seul problème, avec au centre la dérive moderne du nihilisme. »

Il se tourne alors vers la philosophie. « La jonction entre la politique et l’éthique est devenue au centre de mon questionnement, de mes écrits. »

Nourrie de ses lectures de Nietzsche, Heidegger, Levinas, entre autres, sa réflexion aboutira en 1989 à Un livre de morale. Suivi dans les années 1990 par trois volumes inclassables, parus sous le vocable de géogrammes. « Je considère que c’est un mouvement d’écriture qui a échoué. Mais cela reste un échec significatif par rapport à une utopie d’écriture. Je voulais revenir à une cure d’amaigrissement de l’image, de la métaphore. Je voulais ramener la poésie au sens littéral des mots. Faire l’équivalent en poésie de ce qu’avaient été de grands romans monstres, comme ceux de Joyce et de Proust. J’ai échoué, mais ça m’a permis de reprendre le fil de la poésie. »

Cela l’a conduit à écrire ses recueils Intime faiblesse des mortels, Prix de poésie Terrasses Saint-Sulpice de la revue Estuaire 1999, et Au seuil d’une autre terre, Prix de poésie de la Société des écrivains canadiens 2004. Cela l’a mené aussi à rédiger ses essais En nouvelle barbarie, Prix de la revue Spirale 2000, et Une politique de la douleur, prix Victor-Barbeau 2005. Quatre livres qui se répondent, se complètent. Où l’auteur s’interroge sur la façon de préserver ce qu’il y a d’humain en nous. Sur la façon, pour notre humanité, et notre terre, de survivre dans l’avenir. « Pour moi, mes derniers livres, et Une politique de la douleur, en particulier, c’est une façon de résister contre un submergeant sentiment d’angoisse, d’impuissance, de désespoir, qui ne sont pas seulement les miens. »

Le poète en lui réfléchit tout le temps, et le penseur vibre dans la fulgurance de l’instant. Un homme entier, droit, Paul Chamberland, un homme vigilant. Pour qui écrire de la poésie, des essais, c’est aller au-delà des usages du langage dans la société, aller à l’encontre des formules inauthentiques, mensongères. C’est sortir de la langue de bois, des clichés, nécessairement. C’est mettre le doigt sur les enjeux humains, qui se jouent à travers le langage même.

Un homme singulier, Paul Chamberland. Pour qui la singularité n’a rien à voir avec l’expression ou l’extension narcissique du moi. Pour qui la singularité, c’est l’épreuve de la liberté. Et donc, une responsabilité. « La singularité, c’est mon devoir de répondre de l’autre et non pas d’exprimer toutes les facettes d’un superbe égo. »

Il a derrière lui une œuvre considérable. Une trentaine de livres en tout. Mais à 68 ans, Paul Chamberland, qui a pris sa retraire de l’enseignement il y a trois ans, n’a pas dit son dernier mot : « L’échéance, le danger et l’inquiétude face à ce que devient la biosphère sont toujours là. Je continue d’écrire, je suis toujours tiré vers l’avenir. Même si je sais que comme individu, l’avenir c’est la mort, l’avenir est au-delà de la simple existence individuelle, n’est-ce pas? »

Ainsi, en préambule d’ Au seuil d’une autre terre, Paul Chamberland écrit : « Ta vie commence où s’achève la mienne : dans l’autre siècle. Qu’est devenue la Terre à ton époque? »

Information complémentaire

Date de remise du prix :
6 novembre 2007

Membres du jury :
Hugues Corriveau, président
Alain Beaulieu
Ann Charney
Christiane Lahaie

Crédit photo :
  • Rémy Boily
Crédit vidéo :
Production : Ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale du Québec
Réalisation : Alain Drolet
Caméra et direction photo : Richard Tremblay
Caméra : Alain Drolet
Prise de son : Donald Fortin
Montage : Andréane Cyr, Digipoint
Montage sonore : Stéphane Carmichael, Studio Expression
Programmation DVD : Jean Michaud, Digipoint
Compression numérique : Hugo Comtois, IXmédia
Musique originale : Alexis Le May
Musiciens : Katia Durette, Yana Ouellet, Stéphane Fontaine, Annie Morier, Caroline
Béchard, Suzanne Villeneuve, Benoît Cormier, Jean Robitaille, André Villeneuve, Daniel Tardif,
Alexis Le May, Éric Pfalzgraf
Narratrice : Sophie Magnan
Entrevue : Marie-Christine Trottier

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Texte :
  • Danielle Laurin