La génétique n’a pas encore livré tous ses secrets, mais des pas de géant ont été faits depuis une vingtaine d’années dans ce domaine. Grâce aux travaux réalisés au laboratoire de recherche de Philippe Gros, professeur titulaire au Département de biochimie de l’Université McGill, des percées ont été réalisées dans la compréhension des facteurs génétiques reliés à plusieurs maladies infectieuses. Causant encore 17 millions de décès par an à travers le monde, les maladies infectieuses représentent un véritable défi qu’a su relever avec brio le professeur Gros depuis le début de sa brillante carrière.
Considéré comme un expert mondial dans le domaine de la résistance aux médicaments et de la susceptibilité aux maladies infectieuses, Philippe Gros se penche aussi sur les anomalies génétiques. De concert avec des chercheurs italiens, l’équipe du professeur Gros a fait des découvertes importantes sur le spina-bifida. Alors qu’un enfant sur 1 000 naît avec cette malformation congénitale grave, les découvertes du professeur Gros ont mis le doigt sur les facteurs génétiques à l’origine de cette maladie. « Cette découverte peut avoir un impact important sur le diagnostic ou l’évaluation des risques, affirme Philippe Gros. Par exemple, un diagnostic avant la naissance permettrait aux médecins de suivre une grossesse de façon plus rigoureuse. »
Plusieurs problèmes de santé ont longtemps été considérés comme trop compliqués ou trop reliés à des facteurs environnementaux pour que la génétique des maladies puisse être d’un quelconque secours. Or, le génie de ce chercheur est justement d’avoir appliqué l’approche génétique là où l’on pensait que le défi était trop difficile à relever. Ce choix a porté ses fruits : en 1986, il publie sa découverte du premier gène qui cause une résistance aux médicaments anticancéreux dans la revue Cell, une référence internationale dans le domaine de la génétique. Cette découverte permet d’expliquer pourquoi certaines personnes atteintes de cancer résistent aux traitements, alors que d’autres connaissent une rémission. Il a poursuivi cette importante recherche afin d’explorer les facteurs génétiques de la résistance à la malaria et à d’autres maladies qui dévastent l’espèce humaine comme la tuberculose et la lèpre. Depuis le début de sa carrière, Philippe Gros a publié près de 325 articles, dont 110 uniquement au cours des cinq dernières années.
Se distinguant ainsi dans trois domaines de connaissances, ce chercheur travaille à partir de modèles génétiques de la souris. Puisqu’il est pratiquement impossible d’avoir du matériel clinique humain pour étudier la susceptibilité aux infections, le professeur Gros a choisi la souris car sa physiologie permet de prévoir ce qui arrive chez l’être humain. « Je suis un généticien de la souris, affirme-t-il d’emblée. Cet animal présente une richesse unique sur le plan génétique. Le génome de la souris a d’ailleurs été l’un des premiers à être séquencé. » Au terme de plus de 25 ans de recherche, Philippe Gros est ainsi devenu le chef de file mondial de l’application de modèles de souris aux importantes découvertes génétiques chez l’être humain.
Né en 1956 à Cavaillon, un petit village du sud de la France où son père était enseignant, Philippe Gros est arrivé au Québec à l’âge de sept ans. Il accomplit son parcours scolaire à la vitesse d’une étoile et commence l’université à l’âge de 16 ans. Étudiant à l’Université de Montréal où il complète une maîtrise en microbiologie et immunologie, il décide de faire son doctorat à l’Université McGill en médecine expérimentale sous la direction du professeur Emil Skamene (prix Armand-Frappier, 2001). Animé par un désir de pousser encore plus loin ses recherches en génétique moléculaire, il cumule des stages postdoctoraux à l’Université Harvard et au Massachusetts Institute of Technology (MIT). En 1985, à l’âge de 29 ans, il se joint au corps professoral de l’Université McGill. Il a fait de cette université son véritable port d’attache malgré les nombreuses offres reçues.
Philippe Gros est aussi titulaire de plusieurs brevets déposés et a cofondé, avec des collègues, deux sociétés de biotechnologie dont il reste aujourd’hui actionnaire. Plusieurs de ses étudiants travaillent dans ces sociétés. « La formation de gens très qualifiés issus de notre équipe de recherche représente une partie importante du transfert de nos connaissances », considère-t-il.
Comment expliquer un tel succès? Esprit critique, reconnaissant avoir déjà été plus « féroce » dans son rôle d’évaluateur de projets de recherche, il considère qu’un bon chercheur doit avant tout sortir des sentiers battus. « J’ai aussi rencontré les bonnes personnes au bon moment », estime Philippe Gros. Il reconnaît avoir beaucoup de chance d’être entouré d’aussi bons collaborateurs et étudiants. « Ce sont vraiment eux qui font le travail au laboratoire, dit-il. Je donne les idées et les directions, mais la qualité des gens qui m’entourent y est pour beaucoup. » Le laboratoire du professeur Gros compte présentement une équipe de 23 chercheurs.
Bien qu’il ait porté plusieurs chapeaux au cours de sa carrière, Philippe Gros entend concentrer son attention auprès du Groupe d’étude des traits complexes. Après huit ans d’attente, ce groupe déménage au sein du Centre multidisciplinaire des sciences de la vie, inauguré en 2008 à l’Université McGill. Fort enthousiaste à l’idée de travailler dans de nouveaux locaux et avec une équipe élargie d’une soixantaine de chercheurs, Philippe Gros se réjouit des prochaines découvertes qu’il compte faire. « Avec la présence de nouveaux chercheurs, nous allons développer une synergie afin d’utiliser encore mieux des outils génétiques pour étudier différents types d’infections, préconise-t-il. Notre équipe va pouvoir aussi approcher d’autres maladies grâce à l’utilisation de plateformes et de ressources communes, ce qui nous permettra d’être encore plus compétitifs. »
Philippe Gros est un bourreau de travail et reconnaît avoir une « très forte capacité d’analyse ». Or, outre sa passion pour la microbiologie, il trouve néanmoins le temps de jouer au hockey dans une « ligue de garage » l’hiver avec des copains du voisinage. L’été, il enfourche sa motocyclette aussi souvent que possible pour se rendre au laboratoire et s’échappe à son chalet dans les Laurentides où ni la télévision, ni l’Internet ne peuvent le distraire de ses moments de repos en famille. Père de quatre enfants de 13 à 23 ans, Philippe Gros accorde une grande importance à la vie de famille. Il déclare que ses succès en recherche n’auraient pu être possibles sans le soutien inconditionnel de sa famille et de son épouse Catherine en particulier. Bien qu’il ne cherche pas à orienter le choix de carrière de ses enfants, son aîné termine à son tour une maîtrise en microbiologie.
Le professeur Gros a reçu de nombreux prix et reconnaissances pour l’excellence de son travail. Nommé chercheur émérite des Instituts canadiens de recherche en santé, il est également chercheur international du Howard Hugues Medical Institute aux États-Unis. Sa performance exceptionnelle en recherche lui a valu de recevoir, entre autres, la médaille d’excellence Michael Smith en l’honneur de ce lauréat du prix Nobel de chimie et la prestigieuse Bourse Steacie du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, ainsi que le prix Rawls de l’Institut national du cancer du Canada. Enfin, le professeur Gros est membre de la Société royale du Canada.
« Il ne faut pas avoir peur d’aller dans des directions peu balisées, dit-il. C’est plus audacieux, mais combien plus productif de suivre un chemin qui permet de faire des découvertes plus intéressantes et susceptibles de faire avancer de façon importante un domaine en particulier. »