« Mon premier plaisir a toujours été celui d’ausculter
l’anatomie de la planète » , indique Pierre Dansereau, et les aspirations
auxquelles tend l’« écologiste aux pieds nus » ont guidé
sa carrière scientifique vers des voies inexplorées. Reconnu comme
l’un des fondateurs de l’écologie moderne – l’Encyclopaedia Britannica
le situe parmi les principaux théoriciens de cette science -, cet
observateur du milieu se voue, depuis plus de 60 années, à l’étude
des relations de l’être humain et de son milieu, conférant à
l’écologie ses premières lettres de noblesse sur le plan international,
et ce, bien avant que se développent les considérations environnementalistes.
Son confrère André Lafond reconnaît toute la portée
des travaux du scientifique, à l’heure où les individus s’éveillent
au respect de l’environnement : « Tout le développement de l’écologie
s’est fait dans la nouvelle perspective qu’a amenée Pierre Dansereau,
par cette influence qu’il a eue dans sa façon de concevoir sa discipline.
De la simple contemplation de la nature qu’était l’écologie, il
a fait une science capable d’accéder à une compréhension
plus immédiate de notre environnement réel. »
Sur les traces du frère Marie-Victorin
À son retour d’Europe, à la fin des années 30, après
avoir obtenu à Genève un doctorat en sciences naturelles, Pierre
Dansereau constate que rares sont les universités qui acceptent cette
jeune science qu’est l’écologie. Il fait ses premières armes auprès
du frère Marie-Victorin, qu’il côtoie au jardin botanique de Montréal.
L’illustre botaniste représente, certes, un modèle, mais Pierre
Dansereau s’en démarque néanmoins rapidement, ainsi que des grands
naturalistes québécois qui l’ont inspiré. Il intègre
très tôt de nombreux paramètres qui décrivent le
monde végétal et animal en relation avec l’être humain,
préparant ainsi la venue des sciences de l’environnement.
Sa carrière encore jeune, Pierre Dansereau innove en introduisant au
Québec une nouvelle science élaborée en Suisse et en Allemagne
: la phytosociologie, qui emprunte les concepts de la sociologie humaine pour
les appliquer aux végétaux. Ses premiers efforts d’association
entre la sociologie des plantes et des populations forestières ont pour
résultat une étude portant sur l’érablière laurentienne,
une première contribution qui, par sa méthodologie et sa démarche
de globalisation, influe sur le développement de l’écologie, notamment
l’écologie forestière.
La fusion de deux champs d’études auparavant cloisonnés s’élargit
et donne lieu, à la fin des années 50, à une œuvre
d’importance qui s’impose, à l’échelle internationale, comme ouvrage
de référence, soit Biogeography : An Ecological Perspective.
La perspective multidisciplinaire adoptée, dans laquelle la géographie
est traitée sur une base biologique, donne un ton inédit à
l’ouvrage livrant une première synthèse des connaissances sur
les formes de végétation du monde.
Un humanisme scientifique
L’effort de synthèse de Pierre Dansereau va définitivement s’orienter
vers une nouvelle science, l’écologie humaine, qui effectue un rapprochement
entre les sciences de la nature et les sciences humaines. Ce tournant décisif
s’amorce au cours des années 60, lors d’un séjour de Pierre Dansereau
à New York, à titre de directeur adjoint du jardin botanique de
cette ville. Plongé en milieu urbain, il se rend compte que l’écologie
ne concerne pas uniquement la préservation des milieux naturels, mais
qu’elle doit également inclure l’étude du milieu travaillé
par l’être humain. Examiner le bitume au même titre que la tourbière.
Pierre Dansereau découvre dans le milieu urbain une architecture complexe
dont l’étude écologique, si elle veut en saisir toutes les structures,
doit passer autant par la psychologie que par l’économie, la politique
ou l’anthropologie. Les idées découlant de ce nouvel humanisme
scientifique attirent, dès le départ, une audience internationale
et forment la base du développement de l’écologie humaine. Depuis
plus de vingt années, les travaux du chercheur se situent à la
frontière de champs interdisciplinaires, en voie d’élaborer une
science englobant les diverses sphères du savoir humain.
Un citoyen du monde
La vision globale du chercheur profite à maints égards de ses
nombreux déplacements. Le monde constitue en effet aux yeux de Pierre
Dansereau un véritable laboratoire et un champ de réflexion privilégié.
Voilà comment on le retrouve au Nicaragua, dirigeant les travaux d’un
étudiant sur l’érosion des sols, au Mexique, pour l’aménagement
d’un parc national, en Scandinavie, en Arctique, en Nouvelle-Zélande
ou aux îles Canaries, où il approfondit sa connaissance des forêts
et des grandes formations végétales du monde. Son enseignement
suit un itinéraire aussi varié. Premier professeur à donner
un cours d’écologie à l’Université de Montréal,
il partage par la suite ses connaissances avec des étudiants et des professeurs
d’une vingtaine d’universités réparties sur cinq continents.
Pierre Dansereau, dont le savoir est alimenté par ses nombreuses excursions
planétaires, développe une pensée écologique qu’il
présente à l’occasion de colloques internationaux ou de consultations
publiques. Il est à l’origine du concept qu’il se plaît à
nommer l’« austérité joyeuse », programme d’action
mettant un frein à l’escalade de la surconsommation et du gaspillage,
au moyen de restrictions volontaires telle l’économie d’énergie.
Partant du grand principe écologique selon lequel tout est en interaction,
Pierre Dansereau se consacre à la compréhension de la biosphère.
Sa vision inclut l’activité de l’être humain dans un milieu où
tout doit coexister, le développement industriel aussi bien que les régions
sauvages. L’écologiste de la première vague écrit à
propos de son maître à penser, le frère Marie-Victorin :
« Nous avions un indigène de notre culture qui tirait une œuvre
de lui-même et du paysage qui l’entourait. » Aujourd’hui, les jeunes
générations d’écologistes éprouvent à l’endroit
de Pierre Dansereau une reconnaissance du même ordre.