Meilleur chimiste organicien du Québec, […] Pierre Deslongchamps
ira très loin, car il est parmi les meilleurs scientifiques de notre
planète.
Camille Sandorfy, professeur émérite, Département de chimie,
Université de Montréal.
À 62 ans, le scientifique Pierre Deslongchamps, reconnu mondialement
comme l’un des plus brillants spécialistes de la synthèse organique,
se bat… pour demeurer chimiste. Il résiste aux nombreuses sollicitations
qui lui sont faites pour diriger une grande équipe, car la recherche
fondamentale est le moteur de son activité scientifique. Il préfère
par-dessus tout jouer avec les molécules.
Le ryanodol : une cathédrale moléculaire
Pierre Deslongchamps est avant tout un stratège de la synthèse
organique. Plus que la création de molécules, l’élaboration
de méthodes et de processus astucieux pour y arriver le motive. Il entreprend,
dès le début de sa carrière, de faire la synthèse
de la « cathédrale moléculaire » qu’est le ryanodol
(un insecticide), suscitant ainsi chez certains professeurs des réactions
de surprise et d’incrédulité. « Pour arriver à faire
cette synthèse, je devais imaginer d’autres techniques », explique
le professeur de Sherbrooke, qui invente une quarantaine d’opérations
chimiques au cours de cette recherche. Aujourd’hui, que la molécule du
ryanodol soit synthétisée n’a aucune importance, ce produit n’ayant
pas de valeur commerciale en raison de sa toxicité. Cependant, les stratégies
de construction révélées par Pierre Deslongchamps, pendant
douze années de travaux, constituent un apport déterminant, ouvrant
de nombreuses pistes d’exploration fructueuse.
La découverte de la généralité du principe du contrôle
stéréoélectronique, seconde grande contribution du scientifique,
représente l’une des retombées directes de l’étude de la
synthèse du ryanodol. Suivant cette théorie, l’orientation des
paires d’électrons non-liées et celles qui constituent les liens
dans une molécule détermine la forme que prend celle-ci et permet
de prédire comment elle se transformera lors d’une réaction chimique.
« C’est une façon de comprendre la réactivité chimique,
et cela ne pouvait venir du connu, explique le scientifique. Il fallait absolument
un résultat inattendu pour nous amener dans cette direction, et c’est
l’une des démarches entreprises pour effectuer la synthèse du
ryanodol qui a mené à la découverte de ce fonctionnement
moléculaire. » Selon lui, les résultats accidentels, qui
orientent la recherche vers des voies insoupçonnées autrement,
constituent l’un des avantages de la science expérimentale.
De découverte en découverte…
Le concept du contrôle stéréoélectronique concerne
tous les champs de la chimie; c’est cependant en matière de chimie biologique
qu’il s’applique le mieux. En éclairant le fonctionnement moléculaire,
cette découverte permettra la mise au point et le perfectionnement de
médicaments en vue de déclencher ou de stopper certaines productions
enzymatiques. Sachant que, dans les réactions chimiques du corps humain,
les enzymes se conforment aux lois du contrôle stéréoélectronique,
les biochimistes peuvent désormais affiner leurs stratégies ayant
pour objet de régler certains processus biologiques, notamment ceux des
cancers hormonaux. Pierre Deslongchamps s’intéresse d’ailleurs à
la synthèse d’une famille de stéroïdes cardioactifs, dont
certains peuvent être employés comme médicaments pour soigner
les maladies du cœur.
L’importance du contexte
Depuis 1967, Pierre Deslongchamps, professeur et chercheur, est attaché
à la Faculté des sciences de l’Université de Sherbrooke.
À ceux qui s’étonnent que l’on puisse arriver à des résultats
aussi spectaculaires dans une université éloignée des grands
centres de recherche en chimie organique, il répond que ce contexte est
stimulant et qu’il lui permet d’être créatif. « Dans un grand
centre, explique-t-il, j’aurais peut-être tenté de prendre des
voies plus classiques pour arriver à des fins plus rapidement. Dans le
climat de liberté et de flexibilité que l’on m’offre à
Sherbrooke, je peux changer de route, revenir en arrière, relancer ma
démarche d’une autre façon plus simple et plus belle. J’essaie
d’orienter mes étudiants dans ces directions, mais je n’ai pas de recette
magique. Il faut utiliser son intuition et saisir l’occasion qui se présente,
observer le fait qui surprend. »
Pierre Deslongchamps ne renie pas pour autant les grands centres. C’est bel
et bien dans une institution de prestige, l’Université Harvard, qu’il
poursuit ses études postdoctorales. À cette époque, le
jeune chimiste québécois est associé à l’équipe
du professeur Woodward, qui réussit la synthèse de la vitamine
B12, lui valant le prix Nobel de chimie.
Pierre Deslongchamps refuse ensuite le poste de chercheur que lui offre le
Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il préfère revenir
au Québec, confirmé dans son talent de chimiste : « Il est
important pour un jeune scientifique de se mesurer avec des gens d’ailleurs,
pour lui faire découvrir qu’en réalité le Québec
offre des moyens permettant de rivaliser avec n’importe quel autre pays. »
Les notions de liberté, de flexibilité, de création et
de beauté sont des constantes du discours du professeur Deslongchamps.
« Comme un artiste, le chimiste crée son objet, explique-t-il,
et c’est fascinant parce que, en laboratoire comme dans la nature, on peut créer
des molécules complètement inédites aux propriétés
très particulières. »
Pierre Deslongchamps est depuis 1998 président-fondateur de NéoKimia,
une compagnie basée sur la chimie de synthèse et de méthode
de computation pour la production de banques (librairies) de composés
macrocycliques semi-peptidiques potentiellement bioactifs. À l’heure
actuelle, il travaille notamment à la mise au point de nouvelles méthodes
générales pour la synthèse totale de composés macrocycliques
et polycycliques apparentés aux stéroïdes et aux terpénoïdes.
Ses nombreux prix et ses six doctorats honoris causa confirment l’impact que
Pierre Deslongchamps entretient depuis le début de sa carrière
sur la recherche en chimie.