Pierre Lahoud a consacré sa vie professionnelle et personnelle à répertorier les différents paysages du Québec, immortalisant le patrimoine tant naturel que bâti à travers sa photographie à vol d’oiseau.
Tout jeune historien et ethnologue diplômé de l’Université Laval, il commence sa carrière avec un contrat du ministère des Affaires culturelles, aujourd’hui connu sous le nom de ministère de la Culture et des Communications. On les mandate, son équipe et lui, pour inventorier les bâtiments anciens du Québec. Comment arriver à couvrir une contrée aussi vaste? « Par la voie des airs! », songe-t-il avec son collègue Pierre Bureau. Il se munit d’un appareil photo et grimpe à bord d’un petit avion dont il ouvre une fenêtre. C’est le début d’une passion pour celui que l’on surnomme désormais « l’historien photographe aérien ».
Ce mandat achevé, il poursuit son travail au gouvernement, mais il ne dépose pas sa caméra pour autant. Chaque fois que la météo s’avère favorable, il utilise ses ressources personnelles et remonte à bord du petit Cessna. Ses plans panoramiques et ses cadres serrés révèlent le Québec d’un point de vue rarement exploré et documentent tant le territoire, la densification des villes que les catastrophes naturelles. Généreux de nature, il offre ses photographies à toute organisation intéressée. Les municipalités profitent de l’occasion, les conservant précieusement ou encore les intégrant à diverses publications.
Inventif, l’historien est derrière plusieurs autres initiatives hors du commun. Avec le concours de l’Université Laval, il fonde en 1998 « Villes et villages d’art et de patrimoine », permettant aux petites localités d’engager des spécialistes en patrimoine. En 2005, il crée « la cenne à Lahoud », une taxe de 1 cent prélevée aux propriétaires de maisons de l’île d’Orléans pour chaque tranche de 100 $ d’évaluation municipale, afin de financer l’héritage de l’île. Quatre ans plus tard, afin que les Augustines trouvent les fonds nécessaires pour pérenniser leur monastère, il invente, avec des partenaires, le concept de « fiducie d’utilité sociale » qui donne lieu à Ia Fiducie du monastère des Augustines; ce type de fiducie sera repris par d’autres communautés religieuses. Construit en 2002, l’Espace Félix-Leclerc, qui comprend une boîte à chansons, un musée, une boutique et un centre de documentation, est également l’un de ses projets importants, mené entre autres avec Nathalie Leclerc, la fille du célèbre artiste. C’est également lui qui, avec d’autres collègues inspirés par la France, met sur pied l’Association des plus beaux villages du Québec, laquelle promeut leur préservation et met en valeur leur patrimoine architectural et leurs paysages.
Également auteur, l’historien fait paraître 50 livres sur son sujet de prédilection. Sa plus récente série, joliment dénommée Curiosités, illustre les particularités des régions du Québec. Pour les non-initiées et non-initiés, sa chronique dans le journal Le Soleil, « Vu de là-haut », lui permet de démocratiser son précieux savoir.
Ses photos aériennes, qui se comptent par milliers, sont consultées par des historiens, mais intéressent tout autant, en raison de leur qualité visuelle, leur quantité, leur cohérence et leur classement, les chercheuses et chercheurs d’autres domaines : l’ethnologie, l’architecture, le tourisme, l’histoire de l’art, l’urbanisme, la géographie, la littérature, la muséologie ou l’archéologie. En 2019, afin d’assurer leur pérennité et leur disponibilité pour le plus grand nombre, Pierre Lahoud fait un don inestimable de plus de 250 000 diapositives, tandis que 600 000 autres sont en cours de donation. Ses photographies quittent sa maison patrimoniale de l’île d’Orléans pour être confiées à Bibliothèque et Archives nationales du Québec et enrichir notre mémoire collective, un legs d’une rare ampleur à travers le monde.
Références incontestées ici comme ailleurs, l’historien et son œuvre trouvent écho à l’étranger. Ainsi, l’émission française Des racines et des ailes, réputée pour l’exemplarité de son contenu et diffusée dans 200 pays, s’associe à lui pour le tournage d’un épisode consacré au Québec. Il y ratisse le territoire afin de raconter son paysage, les gens qui l’habitent, son architecture et ses traditions.
Sa grande compétence en histoire lui a permis de siéger à des dizaines de comités et à des jurys. On l’a aussi récompensé de plus d’une quinzaine de prix et distinctions, et nommé chevalier de l’Ordre national du Québec en 2022. Il se dit extrêmement touché par le prix Gérard-Morisset : « D’une part, parce qu’il s’agit d’une reconnaissance par mes pairs et, d’autre part, j’ai toute ma vie admiré cet homme de contenu. Tout jeune, j’ai travaillé au Musée national des beaux-arts du Québec; l’on m’avait attribué son bureau et j’en ai toujours ressenti une grande fierté. Enfin, son travail d’inventaire, intervention primordiale pour l’avancement des connaissances, m’a toujours inspiré, voire guidé. »
« Aujourd’hui, les changements climatiques sont à nos portes et bouleversent nos façons de faire, je veux continuer à les documenter afin d’apporter aux générations suivantes le témoignage de ces bouleversements. Enfin, je veux continuer à sensibiliser les gens à la beauté, à la beauté de nos paysages et à l’importance de notre patrimoine. Tout cela est si fragile et il faut les protéger », conclut celui qui entend enrichir encore davantage l’immense legs déjà réalisé.