Robert Lacroix en est intimement persuadé : le développement
du Québec passe par la croissance de ses universités. Dans une
société qui repose de plus en plus sur le savoir, ces institutions
ont un rôle crucial à jouer, puisqu’elles sont à la fois
sources d’innovations et de découvertes et lieux de formation des futurs
acteurs de la société. Le discours est clair, l’homme est convaincant.
Depuis sa nomination en 1998 au poste de recteur de l’Université
de Montréal, un vent de renouveau souffle sur cette institution plus
que centenaire. Le temps des tours d’ivoire est révolu et la croissance
passe désormais par des partenariats avec la société et
le monde des affaires. Pour inaugurer cette ère de changement, Robert Lacroix
lance en 2000 la plus grande campagne de financement jamais menée
par une université francophone. Le recteur relève ses manches
et entame une mémorable tournée des personnalités susceptibles
de s’engager dans le développement de l’Université de Montréal :
Paul Desmarais, André Caillé, Robert Brown, Jean Coutu
et bien d’autres se laissent convaincre par cet homme sérieux, qui sait
parler leur langage. Le recteur Robert Lacroix persuade même des
chefs d’entreprise habituellement peu communicatifs de tourner des messages
publicitaires télévisés en faveur de l’Université !
L’opération est un franc succès.
La réussite exceptionnelle de cette campagne de financement ne doit
rien au hasard, mais beaucoup à la détermination d’un homme, brillant
économiste et administrateur avisé, qui a consacré plus
de 30 ans de sa vie à « son » université.
Pourtant, rien ne prédestinait ce fils d’ouvrier, huitième de
neuf enfants, à une telle carrière. Après l’un de ses frères
aînés, il est le second enfant de la famille à accéder
au cours classique, grâce aux sacrifices de ses parents. En 1960,
Robert Lacroix franchit pour la première fois les portes de l’Université
de Montréal et se prend d’une véritable passion pour l’économie,
une matière dans laquelle il excelle. Il quitte le Québec après
sa maîtrise, pour voir du pays, et passe quatre ans en Belgique où
il obtient son doctorat à l’Université de Louvain en 1970.
Dès son retour, il est nommé professeur au Département
de sciences économiques de l’Université de Montréal. Il
se lance alors tête baissée dans la recherche sur ses deux sujets
de prédilection : l’économie des ressources humaines et l’économie
de l’innovation. Ses travaux donnent lieu à la publication de quinze
ouvrages et de nombreux articles scientifiques.
Au fil des ans, Robert Lacroix s’engage aussi dans le développement
des centres de recherche, à commencer par le Centre de recherche et de
développement en économique, qu’il dirige de 1985 à 1987.
En 1994, il fonde le Centre interuniversitaire de recherche en analyse
des organisations (CIRANO). Ce dernier, qui acquiert rapidement une réputation
internationale, devient aussi un modèle de transfert de connaissances
et de collaboration avec les secteurs public et privé. Au cours des quatre
années qu’il passe à la tête du CIRANO, le futur recteur
côtoie le monde des affaires et tisse de précieux liens avec plusieurs
chefs d’entreprise. Le secteur privé doit consacrer d’importants fonds
à la recherche universitaire, croit-il, mais il doit également
pouvoir s’attendre à un bon retour sur son investissement.
En parallèle, Robert Lacroix se dévoue corps et âme
au développement de l’Université de Montréal. Dès 1977
et jusqu’en 1983, il dirige le Département de sciences économiques
où il instaure une série de mesures en vue d’améliorer
les performances en matière de recherche du corps professoral. Grâce
à cette nouvelle approche qui sera maintenue par la suite, le département
en question se classe aujourd’hui dans le peloton de tête des universités
nord-américaines. En 1985, l’économiste remet au recteur
alors en poste un document de 400 pages qui expose sa vision de l’avenir
de l’Université de Montréal. Le rapport Lacroix rompt avec
les traditions établies : en présentant notamment un tableau
de la performance comparée des différents départements
en termes de fonds de recherche et de publications, il affirme clairement que
la recherche constitue la clé de voûte de l’entreprise universitaire,
dans toutes les disciplines. Le message est entendu ; il guidera les transformations
de l’institution pour la décennie suivante.
De 1987 à 1993, Robert Lacroix est doyen de la Faculté
des arts et des sciences, qui compte alors environ 600 professeurs. Sous
son mandat, plusieurs regroupements de recherche sont mis sur pied, ainsi qu’un
autre centre de liaison et de transfert, le Centre de recherche en calcul appliqué
(CERCA). Depuis 1998, le recteur Robert Lacroix préside aux
destinées de l’Université de Montréal. Mobiliser les énergies,
tout en respectant la liberté essentielle au travail universitaire, trouver
les ressources pour réaliser les rêves, voilà, en quelques
mots, comment l’économiste envisage sa fonction. Sous son leadership,
l’Université de Montréal continue de se transformer. Il convainc
le gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral et des
donateurs privés de financer la construction de quatre nouveaux pavillons
qui accueilleront quelque 1 200 chercheurs et étudiants, dès
l’été 2004. Le premier édifice, le pavillon J.-Armand-Bombardier,
regroupera des chercheurs et des étudiants de l’École polytechnique
et de l’Université de Montréal en fonction d’un nouveau concept
d’organisation, approprié aux projets de recherche interdisciplinaires
et aux partenariats avec le secteur privé. Le deuxième pavillon
accueillera les chercheurs du Centre des technologies aérospatiales du
Conseil national de recherches du Canada (CNRC). Quant aux pavillons Marcelle-Coutu
et Jean-Coutu, ils abriteront respectivement la Faculté de pharmacie
et le nouvel Institut de recherche en immunovirologie et cancer (IRIC). Notons
aussi l’arrivée de nouveaux acteurs sur le campus, tels que l’Institut
de statistique de l’UNESCO et même le Centre national de la recherche
scientifique de France, dont l’un des quatre laboratoires situés hors
de l’Hexagone sera logé à l’Université de Montréal.
Tout au long de sa carrière, Robert Lacroix s’engage au sein de
nombreux comités et conseils d’administration d’organisations vouées
aux sciences économiques, à la recherche ou aux affaires, telles
que la Canadian Economic Association, l’Institut canadien de recherches avancées,
le Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche (FCAR),
Emploi-Québec, l’Institut des banquiers canadiens ou la Chambre de commerce
du Montréal métropolitain. L’économiste est élu
membre de la Société royale du Canada en 1989 et nommé
membre de l’Ordre du Canada en 2000, ainsi qu’officier de l’Ordre national
du Québec en 2001. Lorsque sonnera l’heure de sa retraite, qu’il
a déjà fixée en mai 2005, Robert Lacroix aura passé
35 ans au service de son alma mater. S’ennuiera-t-il ? Certainement
pas. Il compte bien continuer de servir la cause des universités, en
gardant cette fois quand même un peu de temps pour recommencer à
écrire, faire du sport et pour se consacrer aux onze femmes de sa vie
: son épouse ainsi que leurs trois filles et sept petites-filles.